À quand un ministre de l’Avenir ?

Et si le moment était venu pour le Québec de se doter d’un ministre de l’Avenir ?

J’imagine qu’il y en a qui froncent les sourcils en lisant cette proposition. Qui se disent qu’à peu près tous les ministères, d’une façon ou d’une autre, réfléchissent à l’avenir.

C’est vrai… mais à mon avis, pas suffisamment.

Les changements en cours et à venir, dans plusieurs secteurs, bouleversent notre quotidien. S’il y a un moment dans l’histoire du Québec moderne où nous avons plus que jamais besoin d’une vision à long terme pour la création de politiques publiques qui auront un impact durable, c’est maintenant.

Pensons aux développements de l’intelligence artificielle et aux impacts majeurs qui s’annoncent dans de nombreux domaines, à commencer par celui du travail.

Pensons aux changements démographiques profonds auxquels fait face le Québec – le vieillissement de la population par-dessus tout – qui nécessiteraient enfin une réflexion à la hauteur du défi que ça représente.

Pensons enfin aux défis environnementaux, dont la lutte contre les changements climatiques. Le ministre de l’Environnement ne suffit pas à la tâche, ça paraît. Il est aussi trop souvent marginalisé par les titulaires de ministères à vocation économique. Et si on lui offrait un allié ?

L’autre bonne raison de nommer un ministre de l’Avenir, c’est que le gouvernement est notoirement réactif. Il y a des problèmes : il tente de les régler.

Le Québec aurait besoin d’un ministre dynamique, bien entouré, qui voit venir les problèmes.

Un ministre dont le mandat est de prévenir. Pas de guérir.

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La première fois que j’ai vu passer l’idée d’un ministère de l’Avenir, c’est il y a quelques années, en lisant un recueil de chroniques rédigées entre 1961 et 1966 par André Laurendeau. Il était à l’époque rédacteur en chef du Devoir.

Le contexte était bien sûr complètement différent. Il réclamait « un effort vigoureux et conscient pour construire les élites » du Québec francophone.

Ce sont toutefois deux évènements récents qui m’ont récemment poussé à explorer cette idée. Le premier, c’est la publication d’un petit essai stimulant : Ministères inédits. Le philosophe Normand Baillargeon et le poète Christian Vézina ont rédigé ce livre pour explorer « quels ministères manquent actuellement aux gouvernements pour servir efficacement le bien commun ».

Ils aimeraient voir apparaître, par exemple, un ministère des Affaires démocratiques, un ministère de la Décroissance et un ministère du Silence. (Voir texte à l’écran suivant.)

Le deuxième évènement, c’est une récente sortie publique du collectif G15+, qui regroupe une quinzaine d’organisations de la société civile du Québec.

Ce collectif a été formé à la demande du premier ministre François Legault, en 2020, « afin de préparer l’après-COVID-19 ». Il vient de dévoiler 45 propositions pour que le Québec devienne « la première société nord-américaine basée sur la recherche du bien-être ».

Je me suis entretenu avec trois des membres de cette coalition, qui ont souligné la diversité des crises auxquelles la province fait face.

« Le fait que tout est transversal appelle à des actions et à une réflexion qui tient compte des limites environnementales, du vieillissement de la population, des questions culturelles, etc. », a résumé la directrice générale du Chantier de l’économie sociale, Béatrice Alain.

« Ce que la crise de la COVID a mis en évidence, c’est que les crises sont multifactorielles et interreliées », a ajouté la directrice générale d’Équiterre, Colleen Thorpe.

Le gouvernement ne peut pas être seul pour réfléchir à un avenir meilleur pour le Québec. D’où l’idée de cette coalition, qui cherche à provoquer un dialogue constructif à l’extérieur de l’appareil gouvernemental.

Il reste que leur initiative me semble cadrer parfaitement avec l’idée de nommer, à Québec, un ministre de l’Avenir.

« S’il y avait eu un ministère de l’Avenir il y a 25 ans, il aurait recommandé, dès lors, des actions pour contrer les changements climatiques qu’on annonçait. Il aurait sonné l’alarme sur cette problématique-là. »

— Denis Bolduc, secrétaire général de la FTQ et membre du collectif G15+

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Bon, maintenant, on ferait comment ? Il faut pouvoir ancrer cette idée dans la réalité pour ne pas rester dans le domaine de l’utopie.

Car, non, elle n’est pas farfelue, m’a dit Nelson Michaud, professeur titulaire à l’École nationale d’administration publique.

« Il est connu que la vision à court terme est plus payante politiquement. Si un premier ministre souhaitait imprégner son mandat d’une vision à plus long terme, ce serait tout à fait logique qu’il aille dans une direction comme celle-là. »

— Nelson Michaud, professeur titulaire à l’École nationale d’administration publique

J’ai aussi interrogé un ancien conseiller de François Legault, Pascal Mailhot, aujourd’hui à l’agence de service-conseil TACT.

« À la base, il faudrait que les ministères eux-mêmes aient cette capacité. Il y a beaucoup de personnel qui est censé analyser les tendances et les voir venir à l’avance. Il y a beaucoup de notes qui s’écrivent. Mais ça ne remonte pas nécessairement jusqu’en haut », m’a-t-il expliqué.

Alors comment l’idée pourrait-elle se traduire ?

Parmi les scénarios évoqués par les deux experts, le plus indiqué semble celui d’un secrétariat dont serait responsable un ou une ministre (comme Martine Biron, chargée de la Condition féminine).

Notamment parce qu’un ministère, « ça fait des politiques, ça fait des cadres réglementaires », m’explique Pascal Mailhot. Alors qu’un secrétariat serait « détaché de l’opérationnel », ce qui conviendrait davantage à sa fonction.

Il relèverait donc du Conseil exécutif et disposerait des ressources nécessaires, y compris une équipe consacrée.

Entendons-nous aussi sur le fait que ce nouveau ministre aurait besoin du soutien du premier ministre pour éviter que ses recommandations s’empoussièrent sur une tablette.

Mais tout ça est faisable, donc. Et souhaitable. Oui, ça prendrait une bonne dose de volonté politique. Mais ne dit-on pas qu’une situation exceptionnelle appelle des mesures exceptionnelles ?

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