OPINION ALIMENTATION

De la ferme à l’assiette

Nous devons réfléchir au chemin parcouru par les aliments que nous consommons

C’est l’été au Canada et, pour plusieurs d’entre nous, le temps est venu de dépoussiérer le barbecue et de se préparer pour la saison des grillades. Toutefois, dès aujourd’hui, les consommateurs du Québec pourraient avoir plus de mal à ajouter de la viande d’origine locale à leur panier d’épicerie en raison d’un changement à la réglementation touchant les petits abattoirs.

Selon les nouvelles règles de salubrité alimentaire, les petits abattoirs seront tenus d’améliorer leurs installations pour des raisons de santé publique, sans quoi ils devront fermer leurs portes.

La question des abattoirs soulève toujours un certain malaise. Quand il s’agit de consommation de viande, la plupart d’entre nous préfèrent ignorer le chemin parcouru par l’animal entre la ferme et l’assiette. Il est beaucoup plus facile de parler de fruits biologiques, de légumes du terroir, de fromages de fabrication artisanale et de bières de microbrasserie. Mais la façon dont les animaux sont transformés en viande est une question cruciale qu’il faudrait aborder dans nos débats sur l’alimentation responsable.

Au Canada, deux multinationales, Cargill et JBS, abattent 95 % de nos bovins. En raison de la consolidation de l’industrie et de la réglementation stricte en matière d’inspection des viandes, les petits exploitants ont du mal à soutenir la concurrence. En 2004, lorsque la Colombie-Britannique a adopté des normes strictes en matière de salubrité alimentaire en réponse à la crise de l’encéphalopathie spongiforme bovine et à d’autres crises alimentaires, elle a érigé tellement de barrières structurelles pour son industrie des petits abattoirs que ceux-ci ont presque tous fermé leurs portes. La réglementation a eu des conséquences si désastreuses pour les agriculteurs locaux que, par la suite, la province a dû prendre des mesures pour atténuer ses effets néfastes.

Partout au pays, les petits abattoirs sont de moins en moins nombreux et de plus en plus espacés. En conséquence, les producteurs doivent parcourir de plus grandes distances pour mener leurs animaux à l’abattoir et doivent parfois traverser les frontières provinciales et nationales. Les plus longs déplacements nuisent au bien-être des animaux, coûtent cher aux agriculteurs et contribuent à augmenter l’empreinte de carbone associée à la production de viande. Ils diminuent également la capacité des communautés à se procurer des aliments locaux, ces dernières devant compter sur la viande importée d’ailleurs.

Il nous faut des règlements qui tiennent compte du bien-être des animaux et des droits des travailleurs engagés dans les abattoirs, l’un des types d’emplois les plus dangereux de notre économie. Nous devons également nous méfier des solutions universelles qui présument que les petites installations où l’on abat de cinq à dix animaux par jour peuvent et doivent être soumises aux mêmes règles que les installations industrielles qui transforment des centaines et des milliers de bêtes. 

Plutôt que de concentrer toutes les activités d’abattage dans les installations spécialisées, il faudrait envisager de recourir aux techniques d’abattage à la ferme et à l’utilisation d’abattoirs mobiles. Il s’agit de solutions plus humaines que le recours aux abattoirs provinciaux ou fédéraux et mieux adaptées aux besoins des producteurs de viande locaux.

À l’occasion de la fête du Canada, lorsque nous célébrerons autour d’un barbecue avec la famille et les amis, prenons le temps d’observer le contenu de notre assiette et de nous demander d’où viennent les aliments. Quelles étaient les conditions d’élevage de l’animal avant qu’il ne soit sacrifié ? Qui était l’agriculteur qui en faisait l’élevage ? Sur quelle distance l’animal a-t-il été transporté avant d’arriver à notre assiette ? La salubrité alimentaire est essentielle à un système alimentaire sain, mais le débat sur l’alimentation est loin de se limiter à cette question.

*Les recherches de l’auteure portent sur la réglementation dans les domaines de l’alimentation et de l’agriculture ainsi que sur les politiques axées sur les solutions de rechange à l’agriculture industrielle.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.