Bibliothérapie

LES LIVRES QUI NOUS SOIGNENT

Qui n’a pas déjà lu au moins une fois dans sa vie un livre qui lui a fait du bien ou qui lui a fait voir la vie autrement ? C’est l’idée à l’origine de la bibliothérapie, qui prescrit des livres plutôt que des pilules pour soigner les maux de l’âme. Dites, ça finit bien, docteur ?

UN DOSSIER DE NATHALIE COLLARD

Bibliothérapie

La thérapie par les livres

Les livres nous font réfléchir ou nous divertissent, mais ils peuvent aussi nous aider à guérir. C’est la prémisse de la bibliothérapie, une approche qui s’inscrit dans la foulée de l’art-thérapie et de la musicothérapie. Encore mal connue chez nous, la bibliothérapie est plus répandue dans certains pays européens comme l’Angleterre et le Danemark ainsi qu’en Nouvelle-Zélande.

En Angleterre, où le concept est très avancé, certaines compagnies d’assurances vont même jusqu’à rembourser des livres prescrits par le médecin. Le programme Reading Well Books on Prescription, lancé il y a deux ans grâce à la collaboration entre professionnels de la santé et bibliothèques publiques, met une trentaine de livres de croissance personnelle à la disposition des Britanniques qui souffrent de dépression, d’anxiété, de phobie ou de désordres alimentaires.

Cette initiative, inspirée d’un programme qui existe depuis 2003 au pays de Galles, permet à des médecins de « prescrire » des livres à leurs patients. Dès la première année du programme, environ 275 000 personnes ont participé et le taux d’emprunt des titres offerts dans le réseau des bibliothèques publiques a grimpé de 113 %.

Une autre institution anglaise, The School of Life, fondée par l’écrivain anglais Alain de Botton, propose un service de bibliothérapie sous forme de séminaires, de formations ainsi que de conseils en ligne.

LES LEÇONS DE ROBINSON CRUSOÉ

En France et dans la francophonie, Régine Detambel est une référence en bibliothérapie. Son approche est toutefois très différente de celle des Anglais. Pas question de « prescrire » des livres. Elle utilise plutôt la littérature dans le cadre d’une approche thérapeutique.

« Je suis kinésithérapeute de formation, note l’auteure jointe au téléphone par La Presse. J’ai commencé à écrire des romans à l’âge de 21 ans. J’ai toujours su que la littérature avait un contenu thérapeutique. J’ai fait 14 ans de psychanalyse et l’écriture m’a toujours fait du bien.

« Au début de ma carrière, j’ai travaillé avec les personnes âgées. C’était bien avant que l’art-thérapie entre en institution. J’ai constaté que ces gens vivaient sans récit, sans imaginaire et qu’ils ne parlaient qu’au passé. C’était triste, il manquait une dimension à leur vie. »

C’est à ce moment qu’elle a conçu ses premiers ateliers. La bibliothérapeute, qui vit à Montpellier, préfère les romans et la poésie aux livres de croissance personnelle – « des recettes toutes faites qui imposent une norme », selon elle.

Parmi les livres qu’elle apprécie : Robinson Crusoé, pour aborder la condition humaine, et Harold et Maude, pour un public plus âgé.

« Il y a toujours un livre pour aborder une problématique, assure l’auteure de l’ouvrage Les livres prennent soin de nous, publié l’an dernier chez Actes Sud. Plutôt que de prescrire des livres, je parle de bibliocréativité. J’anime des ateliers où il y a une rencontre entre l’animateur et les participants. On part du livre pour échanger et pour s’exprimer. Le même texte peut signifier plusieurs choses pour plusieurs personnes, et à partir d’un passage, on peut aborder obliquement un problème ou une situation délicate. »

Régine Detambel utilise aussi l’écriture et les arts plastiques pour amener les « patients » à s’exprimer.

« Je travaille à partir de la force et de l’énergie du texte », ajoute Régine Detambel, qui forme des gens – enseignants, psychologues, bibliothécaires – d’un peu partout dans la francophonie. 

« Pas besoin d’être malade pour assister à un atelier de bibliothérapie. Tout le monde a besoin de nourrir son psychisme. »

— Régine Detambel

BIBLIOTHÉRAPEUTE AMBULANTE

Au Québec, le phénomène en est encore à ses balbutiements. C’est en écoutant une entrevue avec Marc-Alain Ouaknin (auteur de Bibliothérapie – Lire, c’est guérir) que Katy Roy a découvert la thérapie par les livres. Cette diplômée en littérature, qui s’intéresse aussi à la psychologie et à la philosophie, a fondé La Bibliothèque Apothicaire en 2009.

Elle favorise une approche symbolique et propose des consultations individuelles ou de groupe ainsi que des rencontres spontanées en entreprise, dans les bibliothèques et les lieux publics (elle était l’invitée du festival de littérature Metropolis Bleu l’an dernier). Elle offre aussi ses séminaires en établissement, comme à l’Institut de réadaptation en déficience physique de Québec.

« De tout temps, on a utilisé des contes pour mieux se connaître et prendre soin de soi, observe Katy Roy, qui est étudiante au doctorat en psychologie. Dans les rencontres que je propose, on part de la problématique identifiée par la personne et on utilise un conte, un poème ou un extrait de roman pour lancer l’échange. Ça aide les gens à identifier les défis dans leur vie et trouver en eux les ressources pour les relever. »

Un livre peut-il remplacer une thérapie ?

Catherine Éthier est étudiante au doctorat en psychologie à l’Université du Québec à Trois-Rivières. Ces jours-ci, elle achève sa thèse qui portera sur l’efficacité d’un livre de bibliothérapie auprès de gens souffrant de troubles anxieux. Elle a donc fait lire Le piège du bonheur de Russ Harris, un best-seller de croissance personnelle traduit en 22 langues, à six personnes durant six semaines. « Ce livre est utilisé par les thérapeutes en complément d’un suivi, explique Catherine Éthier, mais il n’a jamais été testé empiriquement. »

La chercheuse a pris des mesures avant, pendant et après la lecture du livre. Les participants devaient également répondre à des questions tous les jours. « Les livres de croissance personnelle peuvent être efficaces pour traiter l’anxiété, la dépression légère ainsi que des problématiques liées à l’alimentation ou à la sexualité. Ce qui est nouveau avec notre étude, c’est qu’on essaie de voir s’ils peuvent être un bon outil d’autotraitement. » Catherine Éthier présentera ses résultats dans le cadre du colloque de l’ACFAS le printemps prochain.

C’est quoi, la bibliothérapie ?

C’est un pasteur de l’Église unitarienne, Samuel McChord Crothers, qui a utilisé le mot « bibliothérapie » pour la première fois, dans le magazine The Atlantic, en septembre 1916. Mais c’est seulement en 1966 que l’Association of Hospital and Institution Libraries a officiellement reconnu le terme en le définissant comme « l’utilisation de lectures choisies comme soutien dans le cadre d’un traitement thérapeutique en médecine ou en psychiatrie », ou encore des « lectures dirigées qui peuvent contribuer à la résolution de problèmes personnels ». Depuis 1983, aux États-Unis, il existe même une Association nationale de bibliothérapeutes qui accrédite ses praticiens, alors qu’au Canada, ceux qui s’intéressent à la bibliothérapie sont membres de la Canadian Applied Literature Association.

Bibliothérapie

Frédéric Lenoir vous veut du bien

La puissance de la joie

Frédéric Lenoir

Fayard, 216 pages

En librairie, le philosophe Frédéric Lenoir est un succès instantané. Deux jours après sa sortie au Québec, son nouveau livre, La puissance de la joie, était déjà parmi les plus vendus. Entretien avec cet historien des religions, auteur d’une quarantaine d’ouvrages, qui refuse le titre de gourou.

Pourquoi vous êtes-vous intéressé à la joie ?

Après avoir écrit une enquête philosophique sur le bonheur, j’ai réalisé qu’il y avait un autre courant dont j’avais moins parlé et qui me ressemble beaucoup plus, un courant qui dit : ne cherchons pas à éliminer la souffrance, mais cherchons plutôt à cultiver la joie, à la développer. Car la joie nous aide à traverser les peines et la souffrance de l’existence. Je trouve ce courant beaucoup plus adapté à notre époque et à ce que nous sommes.

Qu’est-ce qui nous empêche de ressentir de la joie ?

Quand on voyage dans la plupart des autres régions du monde, la joie de vivre est extrêmement présente chez les adultes et même chez les gens très pauvres. Tous les enfants sont naturellement dans la joie de vivre et je me suis posé la question : pourquoi la perd-on en Occident ? C’est parce qu’on attache énormément d’importance à notre petit moi, à notre ego. Et donc on considère que la vie doit répondre à nos aspirations alors que dans d’autres parties du monde, les gens ne pensent pas comme ça. Ils disent : la vie est comme elle est.

On dira que c’est du fatalisme, mais c’est une forme d’acceptation de la vie telle qu’elle est, alors que nous, nous sommes toujours à revendiquer les choses. On aime la vie quand elle correspond à nos aspirations, sinon on râle.

Est-ce que la lucidité et le fait d’être informé de tout ce qui va mal dans le monde est compatible avec la joie ?

On identifie le monde aux journaux télévisés qui nous montrent tous les malheurs : les guerres, le terrorisme, etc. Ce n’est pas le monde. Dès que vous voyagez, vous voyez qu’il y a des gens heureux partout. Le monde va beaucoup mieux qu’il y a 50, 100 ou 200 ans. La misère a reculé, l’éducation et l’égalité progressent partout. Il y a des quantités de maladies qui ont été éradiquées, la sensibilité aux droits de l’homme est beaucoup plus forte.

Il faut relativiser. Il y a du malheur sur la terre et il y en aura toujours et ce n’est pas une raison de ne pas être heureux. Notre malheur n’apportera rien au malheur du monde. Alors que si on est dans la joie, cela nous donne envie de nous engager, d’aider les autres. Il y a une dimension altruiste qui nous place dans la compassion. Donc, si on veut vraiment améliorer les choses dans le monde, vaut mieux être joyeux que déprimé.

Ça s’apprend, la joie ?

Ça s’enseigne. Je donne des ateliers philosophiques aux enfants et je suis en train de développer une méthode qui mêle méditation et philosophie pour les enfants de 6 à 11 ans. Quand je leur pose la question : “Qu’est-ce qui vous rend heureux ?”, la plupart me répondent “Réaliser mes désirs”. C’est ce qui domine.

J’étais en Guadeloupe avant de venir ici, dans une région beaucoup plus pauvre, dans une école publique fréquentée par des petits enfants noirs de la classe populaire. À l’exception d’un enfant, tous m’ont répondu que ce qui les rendait heureux, c’est de rendre heureux leurs proches. Ces enfants étaient rayonnants, on voit qu’ils ont été éduqués dans une culture du don, du partage. L’éducation est centrale dans la prise de conscience que notre bonheur se passe avec les autres.

Est-il trop tard pour les adultes ?

Je crois que c’est plus difficile, mais c’est possible quand même. On peut réapprendre l’attention parce qu’on s’aperçoit que dans nos vies super actives, on n’est pas présent, on fait plein de choses à la fois. On fait le repas, on supervise les devoirs des enfants, on écoute la radio tout en pensant à ce qu’on n’a pas eu le temps de faire durant la journée et du coup, il n’y a aucune joie. La joie ne peut venir que dans la qualité de présence à soi-même et aux autres. On n’appréciera pas le rayon de soleil si on pense à ses impôts.

Vos livres sont très populaires. Croyez-vous que cette réception traduit un besoin profond, ou est-ce circonstanciel, parce que nous traversons une période difficile de l’histoire ?

Avant, les gens étaient satisfaits uniquement par le monde matériel, ils ne cherchaient pas autre chose. À partir du moment où on s’aperçoit que le monde matériel est très instable – et la crise économique a provoqué cette prise de conscience –, on comprend qu’il faut chercher le bonheur ailleurs.

Je ne juge pas les motivations des gens, mais je constate qu’il y a un vide de sens qui explique le retour de la philosophie, de la psychologie… Ce ne sont pas des idéologies, mais plutôt des propositions rationnelles qu’on peut s’approprier. Chaque individu recherche une façon de donner un sens à sa vie. La philosophie, tout comme le bouddhisme et la psychologie positive, nous permet d’avoir des réponses adaptées à chaque individu. Avec cette idée très importante qu’on changera le monde en se changeant soi-même. Le premier qui l’a dit, c’est Spinoza au XVIIe siècle, sauf qu’il n’a pas été entendu.

Qu’est-ce que les gens viennent chercher quand ils assistent à vos conférences, quand ils lisent vos livres ?

Ce que j’apporte de particulier, c’est un référencement philosophique. Je ne veux pas rester seulement dans le conseil de croissance personnelle, même si j’assume complètement le fait que je donne aussi des conseils de vie. Je reçois des mails de gens qui me disent : j’avais un cancer, ça m’a aidé à me battre ; mon mari est mort, j’ai pu faire le deuil grâce à tel livre. C’est très bouleversant de voir à quel point des ouvrages peuvent être soutenants. Les gens cherchent des points d’appui, des boussoles.

Vous sentez-vous une responsabilité ?

Ça me pèse. Il y a des gens qui cherchent des gourous qui donnent des réponses à tout. Des gens me demandent : pouvez-vous m’accompagner ? Je réponds non systématiquement. Je ne suis ni un psy ni un gourou ou un confesseur. Je fuis les rencontres personnelles avec mes lecteurs parce que je me rends compte qu’ils m’idéalisent totalement. Quand je fais un séminaire devant des gens, je commence par dire : je ne suis pas un maître spirituel. J’explique des choses, je donne des clés qui peuvent vous aider, mais moi-même je chemine, je n’arrive pas tous les jours à vivre l’instant présent et à être dans la bienveillance…

Une fois, j’entends une dame dans la première rangée qui dit : « Quelle humilité, ça prouve que c’est un grand maître spirituel » [rires]. Bref quand on veut un gourou, on le trouve, mais moi je fais tout pour ne pas cultiver ça. J’aide plutôt les gens à réfléchir par eux-mêmes.

La puissance de la joie

Extrait

« Ouvrir son cœur, c’est accepter de vivre dans une certaine vulnérabilité, accepter la possibilité de tout accueillir, y compris celle d’être blessé. C’est prendre le risque de vivre pleinement. Or, nous préférons bien souvent nous cloisonner, nous protéger, nous contenter de survivre. »

Bibliothérapie

Dis-moi ce qui ne va pas, je te dirai quel livre lire…

Nous avons demandé aux bibliothécaires de la Grande Bibliothèque de jouer aux bibliothérapeutes pour La Presse+. Esther Laforce, Marie-Ève Plamondon et Ariane Chalifoux, bibliothécaires au niveau Arts et littérature à la Grande Bibliothèque, ont accepté de se prêter au jeu.

POUR TRAVERSER UN DEUIL

ROMANS

L’album multicolore de Louise Dupré, Héliotrope, 2014

Recommencements d’Hélène Dorion, Druide, 2014

La plus que vive de Christian Bobin, Gallimard, 1999

L’enfant éternel de Philippe Forest, Gallimard, 1998

POÉSIE

Le corps inachevé de Johanne Morency, Triptyque, 2012

POUR SURVIVRE À UNE PEINE D’AMOUR

ROMANS

Les cascadeurs de l’amour n’ont pas droit au doublage de Martine Delvaux, Héliotrope, 2011

Carnets de naufrage de Guillaume Vigneault, Boréal, 2000

QUAND ON COMBAT UNE MALADIE, UN CANCER

ROMAN

Testament de Vickie Gendreau, Le Quartanier, 2012 

QUAND ON TRAVERSE UNE CRISE EXISTENTIELLE

BANDE DESSINÉE

Une année en quarantaine de Claude Auchu, Les Intouchables, 2011

Le combat ordinaire de Manu Larcenet, Dargaud, 2014

QUAND ON VIT UN PROBLÈME D’ESTIME DE SOI

BANDE DESSINÉE

Jane, le renard et moi d’Isabelle Arsenault et Fanny Britt, La Pastèque, 2012

POUR LES COUPLES QUI ONT VÉCU DES PROBLÈMES À CONCEVOIR UN ENFANT

Clinique de Martine Batanian, le Marchand de feuilles, 2014

« On fait le pari, dit Esther Laforce, que ces œuvres agiront au final comme on voudrait qu’agisse toute œuvre littéraire : par les mots, par le travail du texte, exprimer ces émotions qui nous habitent, nous aider à les reconnaître et à les nommer, susciter l’empathie et, pourquoi pas (revenons à Aristote !), créer une forme de catharsis. Je ne peux pas garantir que chaque lecteur accrochera à ces œuvres et qu’elles leur feront effectivement du bien, mais je crois que toutes ces œuvres en sont de très belles. Plusieurs des œuvres de la liste mettent en scène le travail d’écriture lui-même, qui peut être le début d’un travail de guérison. »

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