Éthique

Pierre Fitzgibbon s’exposerait à un autre blâme

Québec — Le premier ministre François Legault rejette la recommandation de la commissaire à l’éthique Ariane Mignolet, qui demande à Pierre Fitzgibbon de placer dans une fiducie sans droit de regard ses intérêts dans deux entreprises. Il faut plutôt lui donner la chance de les vendre, soutient-il. Même si cela l’exposerait à un autre blâme de la commissaire.

L’opposition refuse de modifier le code d’éthique comme le demande François Legault pour que des situations comme celles de M. Fitzgibbon soient permises.

La démission du ministre de l’Économie, qui demeure député, a continué de faire des vagues à l’Assemblée nationale jeudi.

Dans son rapport déposé en Chambre mercredi, la commissaire Ariane Mignolet concluait que M. Fitzgibbon était « encore, à ce jour, en manquement à l’article 46 du Code » d’éthique. Cet article prévoit qu’un ministre ne peut avoir d’intérêts dans des entreprises qui font des affaires avec l’État.

Le député a des intérêts dans White Star Capital et dans ImmerVision, deux entreprises non cotées en Bourse. Pierre Fitzgibbon n’a pas vendu ses parts dans les deux entreprises jusqu’ici parce qu’il essuierait des pertes de plus de 1 million de dollars.

Dans une situation jamais vue, la commissaire a recommandé de suspendre M. Fitzgibbon à l’Assemblée nationale jusqu’à ce qu’il se départe de ses intérêts ou qu’il renonce à son poste de ministre et confie ses intérêts à une fiducie sans droit de regard.

En entrevue, M. Fitzgibbon a soutenu qu’il placerait ses intérêts en fiducie, car il n’avait « pas le choix », selon la commissaire.

Or, François Legault a clairement indiqué lors d’une mêlée de presse jeudi que ce ne serait pas le cas. Si le député a recours à une fiducie, il ne pourra vendre ses intérêts, a-t-il plaidé.

Le premier ministre considère qu’il faut « donner la chance [à Pierre Fitzgibbon] de négocier la vente de ses actions » à un prix raisonnable, ce qui ne serait pas possible avec une fiducie, selon lui.

Il a ainsi demandé à son parti de voter contre le rapport de la commissaire – le vote aura lieu ce vendredi. M. Fitzgibbon s’exposerait à un nouveau blâme de la commissaire Mignolet puisque sa recommandation serait rejetée.

François Legault souhaite que son député vende ses intérêts afin de le réintégrer au Conseil des ministres. M. Fitzgibbon n’est pas parvenu à le faire à sa satisfaction depuis le début du mandat. Selon M. Legault, le député aurait reçu des offres dans les 24 dernières heures.

« Un code d’éthique, ce n’est pas un bibelot »

L’opposition s’est déchaînée contre cette situation. Le premier ministre protège son « député chouchou » en refusant de lui demander de respecter la règle qui s’applique à tout parlementaire, a dénoncé le libéral Marc Tanguay.

Le gouvernement lance l’opération « Sauvons le million de Fitzgibbon ! », a tonné M. Tanguay.

De son côté, Gaétan Barrette, qui est radiologiste, a évoqué ses propres sacrifices financiers pour démontrer que les explications de François Legault ne tenaient pas la route à ses yeux. « Vous publiez les revenus des radiologistes chaque année dans les journaux… Faites le calcul, après huit ans, combien de millions j’aurai laissés sur la table. Je le savais, j’ai fait le choix du service public. En quoi le dollar de M. Fitzgibbon vaut plus moralement que le mien ? Il y a juste dans la tête de François Legault que ça a une valeur différente. […] Ne faisons pas de M. Fitzgibbon un martyr de l’éthique. Il faut en revenir », a-t-il soutenu lors d’une mêlée de presse.

François Legault martèle que le code d’éthique, adopté en 2010, est « désuet » et décourage des gens d’affaires de se lancer en politique. Une distinction doit être faite entre actions en Bourse et placements privés, a-t-il dit. Il faut donc modifier le code, selon lui. Il lui faut toutefois l’appui des partis de l’opposition. Il ne l’a pas. Il accuse les chefs des autres partis de refuser « de discuter d’arrangements pour qu’au gouvernement du Québec, on ait plus d’entrepreneurs ».

Il est « faux » de dire que les gens d’affaires ne se lancent pas en politique en raison du code d’éthique, a soutenu Dominique Anglade.

« La barre du limbo ne va pas monter plus haut pour laisser passer M. Fitzgibbon. C’est les mêmes règles pour tout le monde et c’est le seul cas depuis l’adoption [du code d’éthique]. »

— Pascal Bérubé, chef parlementaire du Parti québécois

« Si d’aventure [le premier ministre] va dans cette voie, il va nous trouver sur son chemin, il n’est pas question qu’on dilue le code d’éthique. Un code d’éthique, ce n’est pas un bibelot, là, ça a une importance dans une institution comme celle-ci », a soutenu de son côté le député de Québec solidaire, Vincent Marissal.

Eric Girard « très heureux » de son nouveau mandat

Par ailleurs, le ministre des Finances, Eric Girard, détient maintenant le portefeuille de l’Économie et précise qu’il n’en a pas hérité de façon temporaire.

« Non. Le premier ministre m’a demandé d’assumer les fonctions [mercredi] et je suis très heureux qu’il ait pensé à moi. Si mon collègue revient, il faisait un travail remarquable, ce sera pour le mieux de l’équipe et ça me fera plaisir de lui redonner son poste. Mais moi, j’assume les responsabilités pleinement », a-t-il affirmé.

Eric Girard conserve dans son intégralité le personnel de cabinet qui travaillait sous M. Fitzgibbon. Il consultera ce dernier s’il en « sen[t] le besoin ».

Il a précisé que dès son arrivée au gouvernement, il avait placé ses avoirs dans une fiducie sans droit de regard. « J’ai eu des discussions avec la commissaire à l’éthique pour que ma situation soit conforme. Et c’est le cas. Alors, écoutez, chacun a ses responsabilités. J’ai organisé mes affaires personnelles pour être en pleine conformité. […] Dans mon cas, j’ai pu les placer essentiellement dans un mandat sans droit de regard sans avoir à encourir de pertes. Pour mon collègue, c’est une situation différente. »

Il a affirmé qu’il y a un « coût d’opportunité » à se lancer en politique. « J’ai moins de revenus que j’en avais dans le secteur privé, et on accepte ça. »

François Legault dit qu’il ne prévoit pas de remaniement ministériel, mais il lui est arrivé de causer la surprise à quelques occasions en rebattant les cartes depuis son arrivée au pouvoir.

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