Projets de loi C-10 et C-11

Défaitiste, Ottawa abdique face aux GAFAM

Cela aura pris 30 ans, mais en novembre dernier, Ottawa a enclenché le processus pour encadrer les activités des grandes entreprises numériques.

Entre autres, le projet de loi C-10 ferait en sorte que les plateformes de diffusion en temps réel comme Netflix soient soumises à la Loi sur la radiodiffusion. De plus, le projet de loi C-11 mettrait à jour nos lois sur la protection de la vie privée, qui datent de l’ère pré-Google.

Ces actions et déclarations, qui donnent l’impression d’être des actes de résistance face aux pouvoirs disproportionnés des GAFAM, reflètent plutôt notre résignation face à l’impact des plateformes numériques. À Ottawa, plutôt que de prévenir les torts, on semble avoir accepté que certaines entreprises numériques en causeraient à grande échelle. Tout ce que nous pourrions faire, c’est de gérer les dommages. C’est adopter une attitude défaitiste.

Le projet de loi C-11 forcerait les entreprises numériques à révéler sur demande comment nos informations personnelles ont mené à certaines recommandations. Par contre, la loi n’empêcherait pas Facebook de recueillir d’innombrables données personnelles, et ce, même chez les individus qui n’ont pas de compte Facebook. On évite ainsi de s’attaquer à la source du problème.

Grâce à C-10, YouTube serait largement exempté d’être soumis à la Loi sur la radiodiffusion, puisqu’une grande part du contenu qui circule sur la plateforme provient des utilisateurs. Le résultat ? YouTube pourrait continuer de placer des annonces de bière avant la lecture de dessins animés pour enfants, ou encore laisser circuler des menaces de mort, comme celle qu’avait publiée Steve Bannon aux États-Unis, qui avait indiqué vouloir faire empaler la tête du DAnthony Fauci sur un pic.

Cette exemption liée au contenu utilisateur s’appliquerait également à Pornhub, une entreprise établie à Montréal qui a laissé circuler – et même recommandé – des dizaines de milliers de vidéos d’agressions sexuelles sur des femmes et des mineurs.

Le ministre Steven Guilbeault propose également de s’attaquer au contenu illégal en ligne. Les articles sur le sujet semblent indiquer qu’une loi obligerait les plateformes comme YouTube et Pornhub à retirer certains contenus illégaux dans un délai de 24 heures. Par contre, ils ne seraient pas responsables de trouver de tels contenus et ils ne seraient pas pénalisés pour en avoir fait la promotion, pourvu que lesdits contenus soient retirés à la suite d’un avis.

Quand Pornhub a été accusée de diffuser massivement des contenus illégaux, l’entreprise s’est défendue en disant que c’était la faute de son système automatisé qui n’avait pas été en mesure de sonner l’alarme.

Lorsque le Congrès américain avait interrogé Mark Zuckerberg, histoire de comprendre pourquoi autant de contenus illégaux pouvaient être aperçus sur Facebook, le PDG a avancé que l’intelligence artificielle jouait un grand rôle dans la modération du réseau social, mais qu’elle est encore essentiellement inefficace. M. Zuckerberg tentait ainsi de faire accepter le principe selon lequel les entreprises ne sont pas responsables des défaillances de leurs algorithmes.

C’est absurde. Les algorithmes n’encaissent pas de chèques. Pourtant, le gouvernement Trudeau semble prêt à accepter cet argument des GAFAM et l’enchâsser dans une loi. Donc, au lieu de faire comprendre à Facebook qu’elle peut soit mener ses opérations légalement au pays, soit plier bagage, Ottawa semble avoir abdiqué et permettra à Facebook et compagnie de violer notre droit à la vie privée et même le droit pénal, pourvu qu’ils gèrent les préjudices qui en résultent de manière prescrite, c’est-à-dire en fournissant quelques explications.

Une approche souveraine et éthique se baserait sur le principe que les activités illégales sont inacceptables. Comment y parvenir ?

Tout d’abord, l’exemption générale accordée aux médias sociaux doit être éliminée du projet de loi C-10. De plus, la collecte de données personnelles sans consentement doit tout simplement être interdite.

Les dirigeants devraient être tenus responsables pour les dérives de leur entreprise et s’exposer à des peines sévères allant jusqu’à l’emprisonnement.

Celles et ceux parmi nous qui sont inquiets de l’attitude défaitiste d’Ottawa doivent s’exprimer maintenant avant qu’il ne soit trop tard et que nous nous engagions dans 30 autres années de mépris de nos lois, histoire d’accommoder les géants de la Silicon Valley.

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