Musique

TOP 10 KEB FRANCO

Pour conclure l’année 2018, nous vous présentons les listes des meilleurs albums choisis en toute subjectivité par notre journaliste et critique Alain Brunet. Voici d’abord sa sélection keb franco – québécoise francophone –, tous styles confondus.

Premier juin

Lydia Képinski

Chivi Chivi

Lydia Képinski est la plume, la voix, la musique la plus marquante de l’Amérique francophone en 2018. Le choix et l’agencement des mots, la façon dont ils se couchent, s’assoient ou se cabrent sur les sons. L’abondance des vrais flashs littéraires, la qualité des thèmes, les angles choisis dans les plus beaux recoins de l’inconscient, dans cette intimité des êtres qui vibrent très fort et qui aspirent à la grande odyssée. Le timbre et la puissance de la voix qui les porte, les musiques coldwave, électro-rock, post-punk (guitares et basse, Lydia, batterie, Stéphane Lemieux, etc.). Musiques généralement épurées, assez substantielles et charnues dans leur réalisation (Blaise Borboën Léonard), toujours au service de la parole d’une jeune femme n’ayant pas encore atteint le quart de siècle.

La nuit est une panthère

Les Louanges

Bonsound

Sans renier sa souche, Vincent Roberge est le seul parolier québécois francophone à souder ses mots au nujazz, à la chillwave, à la soul/R&B, aux plus fines moutures du hip-hop actuel, mais aussi à l’assortir d’une dégaine punk à l’anglaise. L’amalgame un peu sale que constituent ces riches influences sonores, de leur beatmaking allumé, de leur exécution à la fois indolente et compétente (William Côté, batterie, Pierre-David Girard, basse, Félix Petit, saxo et claviers, Jérôme Beaulieu, claviers), de la voix un tantinet fripée du jeune vingtenaire, de son ressenti poétique, voilà autant de facteurs probants de cette production. Sans prétention, contre toute attente, La nuit est une panthère invite au changement.

Le sens des paroles

Alaclair Ensemble

Disques 7ième Ciel

Juché sur son mirador, Alaclair Ensemble voit encore loin, en témoigne le nouvel opus Le sens des paroles, qui maintient la barre très haut. Fort de ce nouvel opus à la hauteur des précédents, Maybe Watson, Vlooper, KenLo Craqnuques, Claude Bégin, Robert Nelson, Eman et Mash ont récemment explosé la scène du Club Soda. Excellent beatmaking à l’appui, humour consommé, usage ludique de charades, chroniques de société, chroniques du quotidien, tsunami de syllabes, dosage de styles à l’appui (soul/R&B, trap, afro-cubain, pop, etc.), voilà un autre étalon du hip-hop franco et/ou franglo, généreuse offrande de 14 titres.

Les choses extérieures

Salomé Leclerc

Audiogram

Salomé Leclerc n’avait jamais habité son corps comme on l’observe dans cet album au titre qui, paradoxalement, désigne les cercles plus ou moins éloignés de sa périphérie. Ç’aura pris trois albums pour qu’elle assume tout ou presque tout, sans la retenue qu’on pouvait lui reprocher. Recrutés pour leur bienveillance et leur direction artistique, Philippe Brault et Antoine Corriveau n’ont certes pas nui à l’éclosion tardive de cette chanteuse, songwriter et multi-instrumentiste si douée, celle qu’on attend au tournant depuis ses débuts discographiques en 2011. Tout est incarné dans Les choses extérieures : la voix, les guitares, la basse, les rythmes, le galbe des fréquences électriques ou numériques, les mots à la fois ciselés et directs, sans détour inutile.

Soufflette

Obia le Chef

Disques 7ième Ciel

Conçus par High Klassified, Kaytranada, Freakey!, DoomX et Benny Adam, les beats servent le verbe d’Obia le Chef qui, au-delà de sa tribu, s’impose parmi les meilleurs paroliers du hip-hop franco-montréalais. Ce MC connaît ses origines haïtiennes, ses parents lui ont soigneusement légué ce patrimoine, il en étoffe sa culture montréalaise, urbaine, black, cosmopolite, créole, francophone. Le flow du Chef est hybride, un brin créolisé, un brin keb persillé d’anglais, un brin français normatif. À l’évidence, ce chef a le sens de la parole, sait rapper subtilement, sait aussi trouver le juste équilibre entre la langue écrite et celle de la rue. Obia a atteint la maturité, écoutez-le avec attention.

Dans la forêt numérique

Jérôme Minière

Autoproduction

Dans la forêt numérique, sorti en décembre, soit au moment où la liste des meilleurs albums était dressée, constitue un diptyque avec Une clairière, prévu bientôt sous étiquette Objet Disque (Fr). Ainsi Jérôme Minière se plonge dans cette forêt numérique, en explore l’écosystème, les contradictions, les déviances, la solitude, l’anonymat, la « haine invisible » qui s’y manifeste, et on en passe. L’auteur n’a rien d’un pamphlétaire dans le cas qui nous occupe, c’est-à-dire qu’il exprime plutôt un formidable ressenti doublé d’une réflexion en profondeur sur ce monde virtuel dont nous sommes désormais dépendants, pour le meilleur et pour le pire. Formulés sans fioritures, ses propos sensibles se déclinent dans un cyber-folk-rock brillant, dont seul notre homme-orchestre a le secret. Encore un opus de haute volée qui, on le souhaite, débordera le cercle des convaincus.

Dans le noir

Safia Nolin

Bonsound

Dans la grande cuisine québécoise, il y avait peut-être eu un excédent de buzz autour de Safia Nolin, anti-star étrangement propulsée au firmament de l’ADISQ pour les raisons que l’on sait. Sur les réseaux sociaux, tout ce fiel de beaufs à l’endroit de sa personne l’avait servie, peut-être exagérément. On pouvait conclure à la surévaluation, jusqu’à la sortie de cet album. Joseph Marchand et Philippe Brault ont parfaitement saisi ce qu’il fallait accomplir pour transcender l’émotion brute et les magnifiques inflexions vocales de Safia Nolin. Les effets de distorsion et de réverbération, l’amplification des imperfections dans le jeu, les thèmes abordés sans détour par la parolière (peur de la maladie et de la mort, absence du père, amour non réciproque, excuses du corps, excuses du cœur, etc.) font de cet album une vraie réussite artistique. Montréal sans lumière ? N’importe quand avec Safia Nolin.

Émilie Clepper et la grande migration

Émilie Clepper

La Tribu

La chanteuse Émilie Clepper s’était immergée dans l’americana du paternel, sept années de transhumance états-unienne et texane, et la voilà soudain qui pose sa voix dans l’espace francophone. Sa tessiture de contralto et son expression cuivrée font aujourd’hui alliance avec la parolière Sara Garneau, la contrebassiste Patricia Deslauriers, le percussionniste PE Beaudin, le pianiste et arrangeur Vincent Gagnon, le tout coréalisé par Benoît Pinette (Tire le coyote) et Stéphane Rancourt. Folk pianistique légèrement mâtiné d’électro, de trip-hop et de jazz acoustique, cet opus exploite le riche filon d’une autre américanité.

Darlène

Hubert Lenoir

Simone Records

Fou furieux devant public, survolté, paroxystique, Hubert Lenoir est un carnassier de la scène. Plus grand que nature, son personnage superandrogyne est un puissant laxatif pour une vaste part du Québec en proie à la constipation ! Qu’est-ce qu’on se réjouit de le voir s’ébaudir sans réserve, avaler des Félix… et puis de voir Mario Pelchat s’en formaliser ! Voilà sans conteste l’éclosion la plus spectaculaire de l’année, ze transbibitte bionique de 2018, voilà notre mouton noir par excellence. De concert avec les arrangeurs et réalisateurs Alexandre Martel et Julien Chiasson et une équipe de musiciens chevronnés, ce jeune mec de Québec-ville fait du neuf avec du vieux ou du très vieux (glam rock, jazz pop, southern R&B, gospel, reprise de JP Ferland, on en passe). Son public n’y voit que du feu, inutile de l’ajouter.

Zay

FouKi

Disques 7ième Ciel

Au tournant de la vingtaine, FouKi et son beatmaker QuietMike pourraient être marquants pour les adolescents et fans de hip-hop de leur âge. Le flow du jeune MC montréalais exhale certes les fumées vertes et les vapeurs d’alcool, jeunesse se passe néanmoins avec cette quête d’élévation poétique fondée sur le dialecte franglo-montréalais des cours d’école, créole urbain duquel la beauté peut parfois émerger. Lucide et inspiré malgré ses étourdissements nocturnes, FouKi sait le pouvoir des mots, sait en exploiter la musicalité, sait caler les syllabes dans le rythme et les sons imaginés par QuietMike, auxquels se joignent les mots de Koriass, Jam, Vendou, Mike Shabb et Kevin Na$h.

AUTRES ALBUMS MARQUANTS DE 2018

Petites mains précieuses, d’Ariane Moffatt, Simone Records

Oui (tout, tout, tout, toutttte), de Yes Mccan, Make It Rain Records

Notre album solo, du Vent du Nord & De Temps Antan, La Compagnie du Nord

Liqueur, de Fanny Bloom, Grosse Boîte

Hélas Vegas, de David Marin, Simone Records

Nos idéaux, de Dumas, La Tribu

Sa couleur, d’Amé, Oblik/Believe

La femme taupe, de Victime, Michel Records

Mon herbier du monde entier, de Ponctuation, Blow the Fuse Records

Loïc April, de Loïc April, Bonsound

Dave Chose, de Dave Chose, Bonsound

Daniel, de Jesuslesfilles, Bonsound

La hiérarchill, de Jérôme 50, Grosse Boîte

L’amour et le chaos, d’Alfa Rococo, Coyote Records

Super lynx deluxe, de Galaxy, Lazy At Work

Ton corps est déjà froid, de Pierre Lapointe et les Beaux Sans-Cœur, Audiogram

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