Vie au travail

Une poupée vaudoue au bureau

Une poupée vaudoue aide à endurer un patron injuste, selon une nouvelle étude ontarienne qui fait partie d’un nouveau champ de recherches : les effets délétères d’un sentiment d’injustice sur le bien-être et la performance des employés.

Un dossier de Mathieu Perreault

Vie au travail

Attaquer le sentiment d’injustice

Comment une poupée vaudoue peut-elle diminuer le sentiment d’injustice au travail ? Pour mieux comprendre, La Presse s’est entretenue avec l’auteure de l’étude publiée en février dans la revue Leadership Quarterly, la psychologue Lindie Liang de l’école de commerce de l’Université Wilfrid Laurier.

Pourquoi vous intéresser à l’injustice au travail ?

Durant mes études supérieures, j’ai été frappée par l’importance du problème du sentiment d’injustice au travail. C’est une émotion parfois justifiée, parfois suscitée involontairement par un supérieur lui-même débordé ou alors moins sensible aux sentiments qu’il suscite. La vengeance liée à l’injustice en milieu de travail est beaucoup plus fréquente qu’on ne le croit parce que, souvent, elle est déguisée.

En quoi consistait votre expérience ?

Nous avions 229 cobayes. Nous demandions à certains de se souvenir d’un ancien patron et à d’autres plus précisément de se souvenir d’un moment où un ancien patron avait été injuste. La moitié de ceux qui se souvenaient d’un moment d’injustice au travail recevait comme instruction de prendre une poupée, de s’imaginer qu’elle représentait ce patron injuste et de « faire mal » à la poupée. Aux autres, on demandait d’essayer de ne plus penser au patron injuste. Avec des tests cognitifs, nous avons vu que la poupée vaudoue diminue le sentiment général d’injustice. C’est un genre de justice restauratrice : ça ne punit pas le coupable, mais ça amenuise le sentiment d’injustice de la victime.

Mettre des épingles dans une poupée vaudoue à l’effigie de son patron ne risque-t-il pas d’être vu comme un acte agressif ?

C’était une simple manière d’étudier l’intensité du désir de vengeance suscité par un sentiment d’injustice et l’efficacité de la justice restauratrice. Je ne pense pas que ce soit une intervention psychologique réaliste. Cela dit, il nous est tous arrivé d’avoir des mots très durs envers un supérieur en compagnie de collègues de travail. C’est un peu le même phénomène qui est en jeu. Si ça nous fait du bien, en autant que ça ne mette pas les autres collègues mal à l’aise, on ne doit pas s’en sentir coupable outre mesure. Certains vont penser qu’ils sont ridicules de se venger ainsi d’un patron injuste, mais mes travaux montrent que le soulagement est bien réel. Ça ne règle pas une situation toxique, mais après une mauvaise journée, ça peut aider.

Est-ce qu’il y a plus de sentiments d’injustice quand le patron est du sexe opposé ?

Rien ne permet de le penser. Ça devrait s’appliquer autant pour les dyades patron-employé homme-homme, femme-femme, homme-femme ou femme-homme. Cela dit, dans le climat social actuel, il pourrait être délicat pour un homme d’utiliser une poupée vaudoue de sa patronne. J’ai une collègue ici à Wilfrid Laurier, Laurie Barclay, qui travaille sur l’écriture pour contrer les effets négatifs de se sentir injustement traité par son patron. C’est une approche moins extrême.

Est-ce qu’il y a plus ou moins de désir de vengeance quand une erreur de l’employé est à la source du sentiment d’être traité injustement ?

Je n’ai pas analysé cette question. Il est possible que si un employé trouve que son patron a réagi injustement à une erreur, ce soit un déni de cette erreur. Ou alors, que le supérieur ait sévi trop durement en comparaison avec des erreurs commises par d’autres employés. Tout cela est difficile à quantifier et très subjectif. C’est pour cette raison que nous nous concentrons sur le sentiment de l’employé, indépendamment de ses actions.

Un employé injustement traité peut-il être tenté de se venger sur d’autres employés, voire sur sa famille ? On connaît tous l’histoire du gars qui donne un coup de pied à son chien après une mauvaise journée au bureau.

C’est l’une des principales raisons pour lesquelles il faut s’occuper du sentiment d’être injustement traité par son supérieur. Ça peut pourrir le climat de travail, il peut y avoir un effet domino. Et ça peut contaminer d’autres sphères de la vie des employés.

Les patrons n’ont-ils pas un rôle à jouer dans tout cela ?

Certainement. La source d’un sentiment d’être injustement traité est généralement le patron, même s’il s’agit d’un employé difficile, voire paranoïaque. C’est le patron qui a le pouvoir de gérer ses employés, qui doit s’adapter aux caractéristiques psychologiques et affectives de chacun. Il y a, parallèlement aux études sur les employés, un domaine de recherche sur les patrons. Par exemple, certaines interventions de type « pleine conscience » [mindfulness] semblent donner des outils aux patrons pour mieux traiter les sentiments d’injustice de leurs employés, voire prévenir leur apparition. Si un patron est davantage conscient de ses propres émotions grâce à la pleine conscience, il ne deviendra pas égocentrique. Au contraire, il sera plus attentif à ses subordonnés.

Vie au travail

L’injustice au travail en six points

Les poupées vaudoues ne sont pas la seule parade contre les patrons odieux. Avant de démissionner ou de porter plainte, on peut aborder son supérieur d’un autre ton ou chercher à être moins en colère malgré l’injustice. Les recherches sur l’injustice au travail dévoilent parfois des pans insoupçonnés de la psyché humaine.

Un journal intime

Depuis une demi-douzaine d’années, la psychologue Laurie Barclay, de l’Université Wilfrid Laurier, teste une parade au sentiment d’injustice au travail : un journal intime, 20 minutes par jour sur quatre jours. « Ça part du principe qu’écrire à propos d’une expérience négative permet de s’en distancier et aussi de trouver des solutions, des manières de panser ses plaies, dit Mme Barclay. C’est une solution particulièrement efficace si l’employé n’a pas l’intention de démissionner et veut simplement passer l’éponge sans essayer d’obtenir des excuses formelles de son patron. Ça diminue le besoin de vengeance, qui peut parfois agir inconsciemment en nous faisant faire des erreurs ou en étant désagréable au bureau ou à la maison. »

Se venger sur sa famille

En 2006, une étude auprès de 206 superviseurs de grandes entreprises américaines a montré que si leurs employés les trouvaient injustes, ces derniers étaient plus susceptibles d’avoir des tensions dans leur vie familiale. « Ça montre assez bien le déplacement de la vengeance », explique la psychologue Lindie Liang.

Quatre types d’injustice

1. Distributive : ne pas donner une promotion méritée

2. Procédurale : attribuer des congés en priorité aux employés plus récents

3. Interpersonnelle : manquer de respect. « C’est l’injustice la plus dure sur le moral des employés », dit la psychologue Laurie Barclay.

4. Informationnelle : faire les horaires à la dernière minute, changer les tâches fréquemment

L’illusion de la performance

Un cas de figure assez courant, selon la psychologue Laurie Barclay, est le patron qui traite ses employés durement en croyant augmenter leur productivité. « Ç’a été assez bien démontré dans un livre récent [NDLR : Understanding the High Performance Workplace, de la Société de psychologie industrielle et organisationnelle, 2016]. Dans ces cas-là, il est possible d’intervenir auprès du patron pour lui expliquer qu’il démotive les employés plutôt que de les encourager. »

Fausse contrition

La fausse représentation d’une injustice aggrave les sentiments négatifs chez les employés, selon la psychologue Laurie Barclay. « Par exemple, déguiser un manque de respect en injustice procédurale, ou alors un patron qui veut avoir l’air d’être juste tout en étant en fin de compte injuste, ou qui s’excuse sans vraiment y croire. Le risque que les employés répliquent en attaquant le patron ou les autres employés, ou en faisant mal leur travail, augmente dans ces cas-là. »

Les syndicats

En 1998, surfant sur la vague antisyndicale nord-américaine, le consultant en ressources humaines américain Bill Catlette affirmait dans son livre Contented Cows Give Better Milk qu’un propriétaire d’entreprise désirant éviter l’établissement d’un syndicat parmi ses employés devait mettre sur pied un mécanisme de résolution des conflits à l’intention des employés s’estimant victimes d’injustice. Mais curieusement, peu d’études comparent le sentiment d’injustice des employés dans un cadre syndiqué ou non. « C’est une donnée assez subjective, alors il y a peu d’études démographiques de ce genre », dit la psychologue Laurie Barclay.

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