Attaquer le sentiment d’injustice
Comment une poupée vaudoue peut-elle diminuer le sentiment d’injustice au travail ? Pour mieux comprendre, La Presse s’est entretenue avec l’auteure de l’étude publiée en février dans la revue Leadership Quarterly, la psychologue Lindie Liang de l’école de commerce de l’Université Wilfrid Laurier.
Pourquoi vous intéresser à l’injustice au travail ?
Durant mes études supérieures, j’ai été frappée par l’importance du problème du sentiment d’injustice au travail. C’est une émotion parfois justifiée, parfois suscitée involontairement par un supérieur lui-même débordé ou alors moins sensible aux sentiments qu’il suscite. La vengeance liée à l’injustice en milieu de travail est beaucoup plus fréquente qu’on ne le croit parce que, souvent, elle est déguisée.
En quoi consistait votre expérience ?
Nous avions 229 cobayes. Nous demandions à certains de se souvenir d’un ancien patron et à d’autres plus précisément de se souvenir d’un moment où un ancien patron avait été injuste. La moitié de ceux qui se souvenaient d’un moment d’injustice au travail recevait comme instruction de prendre une poupée, de s’imaginer qu’elle représentait ce patron injuste et de « faire mal » à la poupée. Aux autres, on demandait d’essayer de ne plus penser au patron injuste. Avec des tests cognitifs, nous avons vu que la poupée vaudoue diminue le sentiment général d’injustice. C’est un genre de justice restauratrice : ça ne punit pas le coupable, mais ça amenuise le sentiment d’injustice de la victime.
Mettre des épingles dans une poupée vaudoue à l’effigie de son patron ne risque-t-il pas d’être vu comme un acte agressif ?
C’était une simple manière d’étudier l’intensité du désir de vengeance suscité par un sentiment d’injustice et l’efficacité de la justice restauratrice. Je ne pense pas que ce soit une intervention psychologique réaliste. Cela dit, il nous est tous arrivé d’avoir des mots très durs envers un supérieur en compagnie de collègues de travail. C’est un peu le même phénomène qui est en jeu. Si ça nous fait du bien, en autant que ça ne mette pas les autres collègues mal à l’aise, on ne doit pas s’en sentir coupable outre mesure. Certains vont penser qu’ils sont ridicules de se venger ainsi d’un patron injuste, mais mes travaux montrent que le soulagement est bien réel. Ça ne règle pas une situation toxique, mais après une mauvaise journée, ça peut aider.
Est-ce qu’il y a plus de sentiments d’injustice quand le patron est du sexe opposé ?
Rien ne permet de le penser. Ça devrait s’appliquer autant pour les dyades patron-employé homme-homme, femme-femme, homme-femme ou femme-homme. Cela dit, dans le climat social actuel, il pourrait être délicat pour un homme d’utiliser une poupée vaudoue de sa patronne. J’ai une collègue ici à Wilfrid Laurier, Laurie Barclay, qui travaille sur l’écriture pour contrer les effets négatifs de se sentir injustement traité par son patron. C’est une approche moins extrême.
Est-ce qu’il y a plus ou moins de désir de vengeance quand une erreur de l’employé est à la source du sentiment d’être traité injustement ?
Je n’ai pas analysé cette question. Il est possible que si un employé trouve que son patron a réagi injustement à une erreur, ce soit un déni de cette erreur. Ou alors, que le supérieur ait sévi trop durement en comparaison avec des erreurs commises par d’autres employés. Tout cela est difficile à quantifier et très subjectif. C’est pour cette raison que nous nous concentrons sur le sentiment de l’employé, indépendamment de ses actions.
Un employé injustement traité peut-il être tenté de se venger sur d’autres employés, voire sur sa famille ? On connaît tous l’histoire du gars qui donne un coup de pied à son chien après une mauvaise journée au bureau.
C’est l’une des principales raisons pour lesquelles il faut s’occuper du sentiment d’être injustement traité par son supérieur. Ça peut pourrir le climat de travail, il peut y avoir un effet domino. Et ça peut contaminer d’autres sphères de la vie des employés.
Les patrons n’ont-ils pas un rôle à jouer dans tout cela ?
Certainement. La source d’un sentiment d’être injustement traité est généralement le patron, même s’il s’agit d’un employé difficile, voire paranoïaque. C’est le patron qui a le pouvoir de gérer ses employés, qui doit s’adapter aux caractéristiques psychologiques et affectives de chacun. Il y a, parallèlement aux études sur les employés, un domaine de recherche sur les patrons. Par exemple, certaines interventions de type « pleine conscience » [mindfulness] semblent donner des outils aux patrons pour mieux traiter les sentiments d’injustice de leurs employés, voire prévenir leur apparition. Si un patron est davantage conscient de ses propres émotions grâce à la pleine conscience, il ne deviendra pas égocentrique. Au contraire, il sera plus attentif à ses subordonnés.