François Legault donne son appui au Parti conservateur

Une intervention troublante

L’auteure s’adresse au premier ministre, François Legault

Monsieur le Premier Ministre, en mars 2020, au début de la pandémie, vous avez enjoint aux septuagénaires – dont je suis – de ne pas quitter leur domicile. Je vous ai désobéi et suis allée prendre l’air chaque jour. Pour ma santé mentale ! Aujourd’hui, vous me suggérez, puisque je suis une fière Québécoise, de voter pour le Parti conservateur du Canada. Je ne le ferai pas. En fait, votre intervention du 9 septembre dernier me trouble profondément.

D’abord, parce que mes compatriotes et moi-même sommes capables de décider nous-mêmes à qui ira notre vote. Il est rare qu’un chef politique donne de tels conseils. Nous direz-vous bientôt où placer notre X lors des élections municipales ?

Deuxième raison de m’y opposer : les conservateurs, malgré leurs louvoiements, sont contre une réglementation rigoureuse des armes à feu. Et moi, à l’instar de PolySeSouvient, je suis pour. Ça suffit les massacres !

Troisième raison : le déni dramatique du Parti conservateur devant les défis majeurs qu’appellent les changements climatiques, la menace la plus sérieuse à l’avenir de la planète. Sans compter l’appui d’Erin O’Toole au troisième lien, ce projet pharaonique en même temps qu’anti-écologique. De plus, le chef conservateur s’apprête à déchirer une entente de 6 milliards de dollars sur les garderies. Une bonne entente pour les familles québécoises.

Avez-vous pensé à ça, Monsieur Legault, en déclarant que l’approche de monsieur O’Toole est bonne pour la nation québécoise ?

Ce n’est pas tout. J’ai bien compris ce que vous voulez : que personne ne puisse remettre en question le projet de loi 96 et la loi 21. J’appuie le PL96 car je crois que des mesures additionnelles de protection du français doivent impérativement être adoptées au Québec. Je suis souverainiste et la langue commune, j’y crois ! Je suis indignée par le « Québec bashing » en provenance du Canada anglais sur cette question.

Par contre, je suis outrée que vous prétendiez qu’on ne peut être à la fois nationaliste et en désaccord avec certains articles de la loi 21. Comme si l’interdiction du port de signes religieux chez des enseignantes était en elle-même un symbole fort de la laïcité de nos institutions. Je croirai à votre engagement à l’égard de l’indépendance totale de l’État face aux religions quand vous ouvrirez un débat social sur la taxation privilégiée des Églises et sur le financement des écoles privées religieuses. Mais c’est tellement plus simple de s’en prendre à des enseignantes musulmanes portant un voile ! Monsieur le Premier Ministre, je ne marche pas dans ce sentier-là même si je conviens aisément que le Québec doit être libre de ses choix.

Et finalement, vous voulez récupérer un autre pan de la politique canadienne d’immigration et vous comptez sur le Parti conservateur du Canada pour vous appuyer. Je devrais m’en réjouir car je crois, évidemment à la capacité du Québec de s’occuper de ses affaires ! Mais vous m’inquiétez, monsieur Legault ! Déjà, à l’intérieur du système actuel, vous vous êtes organisé ces dernières années – avec la complicité silencieuse du gouvernement Trudeau –, pour accepter moins de personnes réfugiées au Québec. Ces personnes étant, vous le savez, surtout des femmes et des enfants. Vous avez réduit à sa plus simple expression la possibilité pour les travailleuses et travailleurs sans statut qui ont travaillé avec courage dans nos établissements de santé durant la pandémie, d’accéder à un programme de régularisation rapide de leur statut. Et maintenant, vous voulez exiger la connaissance du français pour que des grands-parents vietnamiens, colombiens, ghanéens et autres, puissent venir rejoindre leurs enfants et petits-enfants vivant ici.

Bien sûr, monsieur O’Toole va accepter de discuter de tout cela avec vous ! Il partage probablement vos points de vue. Moi ? Non et c’est un non ferme. Le Québec que j’aime est celui de la solidarité, pas de l’exclusion.

Pour toutes ces raisons, je ne voterai pas pour les conservateurs. Mon vote ira à un député engagé, généreux et loyal qui s’appelle Alexandre Boulerice. Nous partageons des valeurs communes et je compte sur lui pour rappeler tout de même à son chef que la décentralisation a bien meilleur goût !

Finalement, Monsieur Legault, plutôt que de donner des leçons aux Québécois et Québécoises sur la manière de voter au fédéral, qu’attendez-vous pour indiquer clairement si oui ou non vous mettrez en place, au Québec, un mode de scrutin qui évite aux citoyennes et citoyens de pratiquer des contorsions électorales ? Vous aimeriez voir un gouvernement minoritaire au Canada ? Puisque l’indépendance du Québec n’est pas à l’ordre du jour de votre parti, je conçois que vous vouliez donner au Québec un certain rapport de force. Un gouvernement fédéral obligé de collaborer avec d’autres partis, c’est plutôt une bonne idée ! Mais alors, allons au bout de cette logique : nous avons besoin de partis politiques québécois qui œuvrent ensemble, à l’Assemblée nationale, pour le bien-être des gens. Vous avez exprimé ce souhait à plusieurs reprises depuis au moins cinq ans. Qu’attendez-vous pour annoncer la reprise des discussions autour du projet de loi 39 sur l’instauration d’un mode de scrutin proportionnel mixte ? Dois-je croire, Monsieur le Premier Ministre, que vous commencez à aimer un peu trop le pouvoir pour avoir envie de le partager ? J’ose espérer que ce n’est pas le cas. Mais vous seul pouvez répondre à ma question.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.