Des locataires au bord du gouffre

La pénurie de logements qui frappe le Québec est loin d’être un problème strictement montréalais, bien au contraire. Chaque région compose avec des défis et des réalités qui lui sont propres. La Presse s’est penchée sur le cas de trois villes où la situation est particulièrement critique. Aujourd’hui, le dernier volet de notre série : Granby.

0,1 %. C’est le taux d’inoccupation à Granby, l’un des pires de la province, selon la Société canadienne d’hypothèques et de logement. À l’approche du 1er juillet, 400 personnes étaient toujours sur la liste d’attente des logements sociaux, un nombre en nette augmentation au cours des dernières semaines.

« C’est une situation critique », admet Rachel Côté, personne-ressource au sein du comité d’urgence créé par la Ville en vue du 1er juillet. En trois semaines, elle a reçu pas moins d’une soixantaine d’appels de personnes en recherche de logement.

La pénurie touche des gens de tous les âges et de toutes les classes sociales. « Il y a des personnes qui ont de l’argent, d’autres qui sont en situation précaire. Certaines sont prêtes à payer 1500 $ par mois pour leur logement, mais elles n’en trouvent pas », se désole Mme Côté. Selon elle, la pandémie a précipité cette crise : « Les gens ont décidé de se stabiliser, de prendre des maisons. Certains habitants de Montréal ou d’ailleurs ont pris leur retraite dans notre région, car Granby, c’est un beau mixte de ville et de campagne. »

Faute de logements disponibles, Rachel Côté propose aux citoyens des solutions de substitution. « Je peux leur suggérer des choses auxquelles ils n’ont pas pensé, par exemple aller dans d’autres villes aux alentours, vérifier auprès de leur famille s’il y a des personnes qui pourraient les héberger en urgence. »

Pour ceux qui n’ont toujours pas trouvé, l’avenir est beaucoup plus incertain. Si certains doivent loger au motel avant de trouver un logement, d’autres risquent de tomber dans l’itinérance. Une situation très inquiétante pour Karine Lussier, coordinatrice du Groupe Action Solidarité Pauvreté, qui voit doubler chaque semaine le nombre d’appels reçus.

« La tempête, ça va être après le 1er juillet. Beaucoup de gens vont habiter dans des campings et se promener un peu partout pour l’été. Mais quand tout va fermer à la rentrée, ils vont revenir et se retrouver dans la rue. »

— Karine Lussier, coordinatrice du Groupe Action Solidarité Pauvreté

Mme Lussier dénonce l’inaction de Québec sur la question du logement. « Ça fait longtemps que le communautaire dit que cela ne va pas bien, mais le gouvernement ne nous écoute pas. » Le gouvernement Legault a par ailleurs annoncé mercredi la construction de 3000 logements abordables et sociaux dans un délai de trois à cinq ans.

Devant l’urgence, Karine Lussier demande l’ouverture d’un nouveau centre de jour pour pallier une demande toujours grandissante. Les services d’hébergement d’urgence existants sont en effet déjà surchargés. « Ça fait 15 ans que je travaille ici, et c’est la première année qu’on voit une aussi longue liste d’attente », témoigne Marie-Ève Thiberge, directrice générale du centre L’Auberge sous mon toit.

Des citoyens en détresse

La crise du logement a des répercussions immédiates sur la vie de nombreux Granbyens. C’est le cas de Danny Robidoux, ancien résidant qui a été contraint de quitter son logement à la suite de travaux d’aménagement. En recherche d’appartement depuis le 1er mars, il a dû déménager à Acton Vale, à 30 minutes de voiture, où il partage deux 1 ½ avec sa compagne et les deux enfants de cette dernière. Ne disposant pas de moyen de locomotion, sa conjointe et lui ont perdu leur emploi.

Si M. Robidoux n’a pas réussi à retrouver de logement à Granby, c’est à cause des « dix mille critères que les propriétaires exigent », estime-t-il.

« Aussitôt qu’on a dit qu’on avait des enfants et un animal de compagnie et qu’on allait fumer à l’extérieur, c’est comme si on était des pourritures. »

— Danny Robidoux, ancien résidant de Granby

Danny Robidoux dit avoir constaté des pratiques abusives de la part de certains propriétaires, qui ont exigé le paiement d’un acompte ou une vérification de ses antécédents judiciaires.

Il a approché de multiples services d’aide, sans succès. « Tout ce qu’ils ont fait, c’est me renvoyer vers des sites que je consultais déjà », regrette-t-il. Résidant de Granby pendant 15 ans, il craint de rester dans cette situation pendant un long moment. « Au moins, on n’est pas dehors, on a un toit sur la tête. Mais ce n’est vraiment pas l’idéal pour les enfants », lance M. Robidoux.

Des solutions insuffisantes ?

La mairesse de Granby, Julie Bourdon, est consciente de l’ampleur de la tâche à accomplir. Si le comité d’urgence était selon elle une mesure de court terme à l’approche du 1er juillet, elle n’exclut pas d’étendre le service pour l’offrir toute l’année. Mme Bourdon compte également sur l’aide du gouvernement provincial dans le cadre du Programme d’habitation abordable Québec (PHAQ), qui contribuerait à financer deux projets, respectivement de 28 et 90 logements, pour une levée de terre d’ici un à deux ans.

« J’ai bon espoir d’obtenir les financements, dit la mairesse. Vu la situation actuelle, on n’a quasiment pas le choix de donner des logements abordables à Granby. » Toutefois, le cabinet de la mairesse nous a appris mercredi que seul le lotissement de 90 logements avait été retenu par le PHAQ. Une offre très insuffisante, selon Karine Lussier : « Il doit manquer environ 1000 logements, si ce n’est pas plus. »

D’autres exemples criants

Rimouski, Drummondville, Rouyn-Noranda et Saint-Georges présentent des taux d’inoccupation parmi les plus bas au Québec, selon le rapport sur le marché locatif de la Société canadienne d’hypothèques et de logement. Survol.

Rimouski

Avec 0,2 %, Rimouski affiche l’un des taux d’inoccupation les plus bas du Québec. Il s’agit d’une baisse considérable par rapport au taux d’inoccupation de 2020, qui était évalué à 0,9 %.

Selon l’agent des communications de la Ville de Rimouski, Frédéric Savard, l’affluence de nouveaux résidants explique cette réalité.

Il décrit également Rimouski comme une ville accueillant de nombreux étudiants. D’après le site web de Rimouski, ce nombre est estimé à 5000.

« Il y a un gros caractère d’attractivité à Rimouski. On est une ville de services, une ville étudiante et une ville d’accueil. »

— Frédéric Savard, agent des communications de la Ville de Rimouski

Pour remédier à la situation, un service d’aide à la recherche de logement (SARL) a été mis en place par la Ville et l’Office de l’habitation Rimouski-Neigette.

Le SARL propose aux gens à la recherche urgente de logements des solutions de logement temporaires.

« De notre côté, on est en refonte du plan d’urbanisme », déclare Frédéric Savard, qui évoque aussi des projets déjà en cours de réalisation comme celui du groupe Fari, une résidence pour aînés.

Il mentionne aussi les 44 logements sociaux qui seront construits à la maison mère des Sœurs de Notre-Dame du Saint-Rosaire.

Drummondville

La ville de Drummondville connaît une crise du logement. Sa forte croissance économique expliquerait son taux d’inoccupation de 0,2 %, estime la mairesse Stéphanie Lacoste.

« On a beaucoup d’entreprises qui recrutent de la main-d’œuvre, ce qui fait qu’on a beaucoup d’arrivants. On manque donc de logements », constate-t-elle.

Mme Lacoste décrit également une tendance qu’elle a observée un peu partout au Québec.

« De plus en plus, les gens vivent seuls, donc ça prend plus de logements. »

Stéphanie Lacoste garde toutefois espoir. Les investissements de Drummondville dans les logements subventionnés et les logements abordables l’encouragent.

« On a des investissements record pour ce qui est du résidentiel. On a aussi fait un plan directeur de densification autour des grands axes routiers qui sont desservis par le système de transport en commun », déclare-t-elle.

Rouyn-Noranda

La crise du logement en Abitibi-Témiscamingue ne date pas d’hier. Elle subsisterait depuis 2005, selon Bruce Gervais, coordonnateur de l’Association des locataires de l’Abitibi-Témiscamingue (ALOCAT).

Rouyn-Noranda n’y échappe pas. La municipalité régionale de comté affiche un taux d’inoccupation de 0,3 %.

« Pour qu’il y ait une crise du logement, il faut qu’il y ait un taux d’inoccupation en bas de 3 % pendant plus de six mois. [Ici], le taux d’inoccupation n’a jamais été en haut de 3 % pendant plus de six mois. »

— Bruce Gervais, coordonnateur de l’Association des locataires de l’Abitibi-Témiscamingue

Bruce Gervais brosse le portrait « isolé » de Rouyn-Noranda : une ville qui susciterait peu d’attention des médias et des politiciens.

« La CAQ n’a pas livré les 15 000 logements qu’elle avait promis, déplore Bruce Gervais. L’isolement y est pour quelque chose. Même Mme Andrée Laforest, ministre des Affaires municipales et de l’Habitation du Québec, n’a pas été capable de dire qu’il y avait une crise du logement en Abitibi-Témiscamingue. »

L’isolement n’est pas l’unique élément qui explique le bas taux d’inoccupation de Rouyn-Noranda.

« Le prix de l’or a bondi entre 2005 et 2007, ce qui a provoqué l’arrivée de travailleurs à Rouyn-Noranda », ajoute le coordonnateur de l’ALOCAT.

Résultat du bas taux d’inoccupation : les prix ont explosé.

« Les gens ont beaucoup de difficulté à accepter une hausse du prix du logement et les propriétaires mettent énormément de pression sur les locataires », indique Bruce Gervais.

Pour résoudre l’enjeu et mettre en lumière la crise, son association monte une banque de données des photos et des cas de personnes à la recherche de logement.

Saint-Georges 

Le taux d’inoccupation de Saint-Georges est évalué à 0,3 %. L’arrivée d’ouvriers étrangers expliquerait ce manque de logements.

Victime d’une pénurie de main-d’œuvre, la ville s’efforce d’attirer des travailleurs venant de l’extérieur, indique la mairesse suppléante de Saint-Georges, Manon Bougie. La ville affiche d’ailleurs un taux de chômage de 3,6 %, inférieur à l’ensemble du Québec, qui tourne autour de 6,1 %, selon les statistiques du ministère de l’Économie et de l’Innovation.

Manon Bougie parle également d’un grand nombre de familles séparées et d’un nombre d’aînés qui seraient « moins attirés » par les résidences de personnes âgées et qui iraient davantage vers le logement locatif.

Ces facteurs « exacerbent » la crise du logement de Saint-Georges, selon elle.

Pour pallier le problème, la mairesse suppléante prévoit la création de près de 1649 logements au cours des 5 prochaines années.

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