New York — Même s’il vit à plus de 9000 km de Washington, Arieh Kovler a vu venir l’attaque du 6 janvier 2021 contre le Capitole des États-Unis avant presque tout le monde.
Le 21 décembre 2020, de son domicile de Jérusalem, en Israël, cet expert en communication d’entreprise a publié une série de tweets dont le premier devait s’avérer prophétique, à quelques détails près.
« Le 6 janvier, des milices trumpistes armées se rassembleront à Washington, sur ordre de Trump. Il est très probable qu’elles essaieront de prendre d’assaut le Capitole après que [le Congrès] aura certifié la victoire de Joe Biden. Je ne pense pas que cela ait encore été compris », écrivait-il en se fondant sur sa lecture régulière des sites favoris des extrémistes et des complotistes américains, comme Gab, 4chan et 8kun.
Près d’un an plus tard, Arieh Kovler, né à Londres il y a 40 ans et marié à une Américaine, s’étonne encore du manque de préparation de la police et de l’armée. Et même s’il s’attendait à encore plus de violence, il demeure troublé par ce qu’il a vu ce jour-là.
« Je suis juif, mais l’assaut du Capitole a produit sur moi un effet semblable à l’incendie de Notre-Dame de Paris. J’ai eu l’impression que quelque chose de sacré était détruit », confie-t-il au téléphone.
Et le reste de 2021 n’a pas chassé chez lui cette impression, bien au contraire.
« Nous avons peut-être assisté à la dernière élection démocratique aux États-Unis. »
— Arieh Kovler, expert en communication d’entreprise
Des développements troublants
Cette fois-ci, Arieh Kovler est loin d’être le seul à sonner l’alarme. À l’approche du premier anniversaire de l’assaut contre le temple de la démocratie américaine, de nombreux experts, journalistes et citoyens des États-Unis et d’ailleurs voient cet évènement sans précédent comme l’ébauche d’un coup d’État à venir.
Ils citent à l’appui plusieurs développements troublants qui ont suivi l’attaque du Capitole : l’adhésion d’une forte majorité de dirigeants et d’électeurs républicains au mythe d’une élection volée en 2020 ; l’adoption de lois électorales controversées par plusieurs États dominés par les républicains ; la marginalisation des responsables républicains ayant tenu tête à Donald Trump en 2020 ; l’apologie de la violence par des élus républicains du Congrès.
Ces développements poussent Theda Skocpol, politologue et professeure de sociologie à l’Université Harvard, à brosser un sombre portrait du Grand Old Party.
« Je dirais que le Parti républicain est désormais constitué d’une coalition de personnes prêtes à recourir aux menaces de violence et de personnes prêtes à s’en tenir à une manipulation maximale du système du Collège électoral et du contrôle des élections par les États. Si vous mettez ces deux choses ensemble, vous obtenez une formule pour un gouvernement dominé de façon permanente par la minorité », dit-elle.
Dans un tel contexte, Theda Skocpol n’hésite pas à évoquer la possibilité d’un « coup d’État légalisé » où le recours à la violence ne serait même pas nécessaire.
« Je pense que si les choses sont aussi ou plus serrées en 2024 qu’en 2020, l’élection sera en fait volée sous une apparence légale. »
— Theda Skocpol, politologue et professeure de sociologie à l’Université Harvard
Une analogie saisissante
Mary McCord n’est pas aussi certaine que la violence ne sera pas au rendez-vous en 2024. La professeure de droit à l’Université Georgetown établit une analogie saisissante pour exprimer son inquiétude face à la dérive antidémocratique des dirigeants républicains.
Elle les compare aux chefs du groupe terroriste État islamique, qu’elle a observés de près du temps où elle était responsable de la sécurité nationale au sein du ministère de la Justice américain.
« Nous avons vu que les leaders des mouvements terroristes étrangers ciblent et recrutent ceux qui se sentent socialement et politiquement marginalisés, dit-elle. Et ils y parviennent par la désinformation, la propagande et la diabolisation de leurs ennemis. Cette approche a pour effet d’accroître la population qui devient prête à croire que la violence est le seul moyen de redresser la situation. C’est ce que les leaders terroristes étrangers font. Et maintenant, nous voyons des leaders ici, dans notre propre pays, s’engager dans le même type de comportements antidémocratiques.
« Et le danger est que cela se propage dans les communautés locales, en commençant par les commissions électorales locales. »
Dans une certaine mesure, Lane Flynn est l’incarnation de ce développement. Pendant huit ans, cet homme d’affaires a occupé le poste de président du Parti républicain du comté de DeKalb, situé majoritairement en banlieue d’Atlanta, en Géorgie.
Or, le printemps dernier, il a décidé de ne pas solliciter un troisième mandat, reconnaissant ne plus être en phase avec les républicains de son comté.
« Nous existons depuis 240 ans »
« Les gens ont certainement le droit d’être représentés par quelqu’un qui est plus susceptible de partager leurs opinions », explique celui qui reconnaît la légitimité de la présidence de Joe Biden.
Lane Flynn décrit l’attaque du Capitole comme une « honte ».
« Avec le recul, il est absurde de dire que la rhétorique de l’administration [Trump] et de certains médias de droite n’a pas contribué à la violence. »
— Lane Flynn, ancien président du Parti républicain du comté de DeKalb
Mais il refuse de voir dans l’attaque du 6 janvier 2021 un signe avant-coureur d’une démocratie en voie d’extinction.
« Nous existons depuis 240 ans, dit-il. Nous avons fait face à de pires crises dans le passé. Nous avons eu une guerre civile qui a tué plus de 600 000 Américains, et nous en sommes sortis plus forts. »
Theda Skocpol, qui ausculte l’« Amérique rouge » depuis des années, aimerait partager la confiance de Lane Flynn. Mais la radicalisation des républicains la fait douter.
« J’ai parlé à ces gens », dit la sociologue, qui a notamment cosigné The Tea Party and the Remaking of Republican Conservatism, ouvrage paru en 2012. « Ce sont des gens aimables qui croient des choses absolument malicieuses. C’est ce qui me surprend. Je ne me serais jamais attendue qu’un si grand nombre d’Américains croient en un être humain aussi maléfique que Donald Trump. »
Est-ce à dire que le monde pourra pousser un soupir de soulagement si ce dernier renonce à briguer la présidence en 2024 ?
« Non, répond Theda Skocpol. Vous pourriez avoir une version compétente de Trump. »