Coupure de l’approvisionnement de gaz russe

Un geste brutal que la Pologne avait vu venir

Depuis l’invasion russe en Ukraine, on a beaucoup insisté sur la dépendance énergétique de l’Europe, qui achète du gaz russe à hauteur d’environ 40 % de sa consommation annuelle.

Or, la Russie, dans les faits, n’avait pas mis à exécution ce pouvoir de contrainte envers ses clients européens.

Toutefois, en coupant subitement, le 27 avril, son approvisionnement de gaz russe à la Pologne et à la Bulgarie, Poutine et son clan viennent de mettre à exécution une menace qui a longtemps été envisagée et dénoncée par les États-Unis et les pays est-européens.

Ce geste singulier de Gazprom, la firme russe qui exporte le gaz vers l’Europe, marque bel et bien la fin du mythe, longtemps entretenu par les dirigeants allemands, selon lequel Moscou, quelles que soient les conditions politiques, allait se montrer comme un fournisseur fiable d’énergie pour l’Europe.

Pire, Moscou ne s’en cache pas : il dit agir ainsi pour punir des pays jugés « inamicaux », plaçant ainsi ouvertement ses objectifs politiques au-dessus de ses engagements commerciaux.

Pourquoi la Pologne est-elle particulièrement ciblée par Moscou ? Fort probablement parce que ce pays, longtemps le plus gros acheteur de gaz russe en Europe, a été, de loin, le plus militant contre les projets de gazoducs Nord Stream et Nord Stream 2 reliant la Russie et l’Allemagne.

Depuis longtemps, la Pologne est en effet le pays d’Europe qui a le plus souligné les dangers de se lier trop étroitement à la Russie sur le plan énergétique.

Il faut dire que la Pologne a bien connu les méthodes poutiniennes : en 2009, lorsque Moscou coupe, durant une dizaine de jours, l’approvisionnement de gaz transitant par l’Ukraine, c’est la Pologne qui encaisse le plus grand choc : 10 citoyens sont morts de froid, par des températures avoisinant les - 20 °C.

Le pays, sans surprise, a donc vu venir le coup, et entrepris depuis plusieurs années de diversifier ses approvisionnements de gaz, dans le dessein explicite de moins dépendre de la Russie. Il se dit prêt maintenant à faire face aux conséquences de cette décision hostile de Moscou.

Signalons que la Lituanie s’est complètement détachée de toute dépendance au gaz russe cette année même, en misant sur des importations de gaz naturel liquéfié (GNL) des États-Unis et de la Norvège.

Pour la Pologne, cette déconnexion par rapport au gaz russe passe par un terminal d’importation de GNL mis en service en 2016.

En 2017, l’arrivée d’un premier chargement de GNL des États-Unis, bien plus qu’une simple nouvelle commerciale, est célébrée dans le pays comme un acquis consolidant sa souveraineté.

Le pays mise aussi sur des échanges accrus avec ses voisins, dont la Lituanie, grâce à un nouveau gazoduc (projet GIPL) qui devrait être opérationnel sous peu, et sur ses réserves de gaz, remplies à près de 80 %. Après l’invasion russe, l’Union européenne a fixé à ses membres un objectif de 90 % de stockage pour le début octobre.

Enfin, un tout nouveau gazoduc, le Baltic Pipe, de la Norvège vers la Pologne, devrait être ouvert dès la fin de cette année. Il arrive à point nommé.

Mais la décision subite de Moscou reste tout de même un geste brutal, historique, une fuite en avant qui mettra bien longtemps à s’effacer des mémoires en Europe. On ne voit plus comment la Russie pourra redevenir un fournisseur d’énergie sur ce continent avant de bien longues générations.

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