Services bancaires

Du poulet plutôt que des intérêts

Loblaw ne manque pas de créativité dans ses publicités avec Martin Matte vantant les mérites de Maxi. Cette originalité déteint sur ses services financiers. Sa banque le Choix du Président vient en effet de lancer un compte avec opérations qui donne des produits d’épicerie et de pharmacie.

Un simple coup d’œil à son relevé bancaire permet de constater que les comptes chèques ne donnent à peu près plus d’intérêts. Certains n’en donnent plus du tout.

Aussi faut-il généralement payer un forfait mensuel pour éviter les frais chaque fois qu’on utilise sa carte de débit ou qu’on fait un virement Interac. À moins d’avoir un solde minimal, ce qui n’est pas à la portée de tous.

Il existe d’autres options.

Assez discrètement, Loblaw a lancé l’automne dernier son tout premier compte baptisé PC Argent. Jusqu’ici, sa banque – qui existe depuis 1998 – ne proposait que des cartes de crédit aux Québécois.

« C’est un compte gratuit qui vous offre des points PC Optimum lorsque vous faites vos transactions de tous les jours comme des paiements », résume Barry Columb, président de PC Finance. Les membres de PC Optimum peuvent lier les deux comptes pour y regrouper tous les points reçus au même endroit et en accélérer l’accumulation.

Autre particularité : le compte est assorti d’une carte de débit qui fonctionne sur le réseau de Mastercard plutôt que celui d’Interac. Ainsi, il est possible de l’utiliser partout où les cartes de crédit sont acceptées, mais sans recourir au crédit.

Il est judicieux de la part de Loblaw d’utiliser son programme de fidélisation pour attirer les clients vers ses services financiers. Avec ses 20 millions de membres, c’est l’un des grands chouchous au Canada, selon Bond Brand Loyalty. Et il occupe le cinquième rang du palmarès 2020 des meilleurs programmes de loyauté de R3 marketing et Léger, devant Inspire (SAQ) et Metro & moi notamment.

L’avantage principal des points PC, qu’on accumule chez Maxi, Provigo, Pharmaprix et Esso, c’est qu’ils peuvent être facilement utilisés. On peut s’en servir pour acheter de la viande, des asperges, des couches et du mascara dans les magasins du groupe Loblaw. Bref, des choses dont on a toujours besoin.

Les cartes de crédit de Loblaw donnent aussi des points PC.

La stratégie semble efficace. Car les services financiers sont une importante source de profits pour l’épicier.

Mercredi, l’entreprise a déclaré un bénéfice net en hausse de 30 % pour son premier trimestre. Et ce bond était en grande partie attribuable à la performance de sa banque. Desjardins prédisait un bénéfice d’exploitation de 35 millions de dollars pour cette filiale. Il a plutôt atteint 73 millions.

J’ai évidemment demandé à Barry Columb de quelle façon le compte PC Argent pouvait être une source de profit. « Il fait partie d’un écosystème au cœur duquel se trouve le programme PC Optimum. Nous pouvons en tirer profit et ainsi apporter plus de valeur aux consommateurs que les banques traditionnelles. » En d’autres mots, ce compte de banque accroît la loyauté des clients envers les commerces de Loblaw.

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Après avoir scruté les modalités du compte PC Argent, j’ai joint des associations coopératives d’économie familiale (ACEF) et Option consommateurs pour connaître leur opinion sur ce nouveau type de compte virtuel. Car il y en a d’autres.

Stack s’est targuée en 2017 d’être la première entreprise de technologie financière à proposer un compte de banque virtuel assorti d’une « carte Mastercard rechargeable » s’intégrant dans un portefeuille virtuel. Ses détenteurs ont accès à des offres chez leurs détaillants préférés.

Fin 2019, le compte sans frais Koho, accompagné d’une carte « prépayée » Visa, est apparu. Celui-ci verse une remise de 0,5 % sur les achats. Il offre aussi la possibilité d’arrondir le montant de ses achats vers le haut et d’épargner systématiquement la différence.

Tangerine offre un compte chèques sans frais, avec intérêts, dont la carte de débit fonctionne sur les réseaux Visa et Interac.

Petite parenthèse ici : la terminologie utilisée – débit, rechargeable, prépayé – peut porter à confusion. En réalité, il n’y a pas de différence de fonctionnement entre les cartes de PC Argent, de Stack et de Koho. Toutes puisent dans le compte de banque.

À l’ACEF du Nord de Montréal, Camille-Rose Bouchard, responsable de la défense des droits, voit d’un bon œil les comptes virtuels sans frais, justement parce qu’ils ne coûtent rien. Aussi parce qu’ils risquent d’avoir un effet dans le marché. « Qu’est-ce que les banques traditionnelles offrent de plus pour justifier ces frais ? » Elle croit qu’Interac devra aussi « réfléchir à son offre ».

Il n’y a rien de gratuit dans la vie, rappelle Sylvie De Bellefeuille, avocate, conseillère budgétaire et juridique chez Option consommateurs. « Les points [PC] viennent sans doute avec une collecte de données. » Celles-ci sont-elles partagées, se demande-t-elle ? Cet enjeu concerne évidemment toutes les cartes de points.

De son côté, Milesopedia – un Wikipédia consacré aux cartes de crédit et aux programmes de récompenses – croit que PC Argent veut « très clairement attirer » des personnes n’ayant pas accès au crédit. Si on est déjà un client PC Optimum, « il n’y a aucune raison de ne pas obtenir cette carte prépayée », conclut-on.

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Ces comptes virtuels me font penser à ING Direct (devenu Tangerine), à une autre époque. Cette banque était entrée dans le marché avec un compte qui donnait considérablement plus d’intérêts que ceux des grandes banques.

« Trop beau pour être vrai ? Non, c’est simplement qu’avant, vous n’aviez pas cette option », nous avait dit, à la télévision, son porte-parole avec cet accent si particulier. La nouvelle formule avait secoué les concurrents.

À l’heure où, sauf exception, les comptes chèques ne procurent plus d’intérêts, notre intérêt est peut-être ailleurs.

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