Filière des batteries

Les États-Unis pourraient dérober des projets au Canada

Ottawa doit riposter à l’administration Biden s’il veut être plus qu’un fournisseur de minéraux critiques dans la chaîne nord-américaine des batteries. Les milliards en subventions offertes au sud de la frontière risquent de court-circuiter des projets et de voler la vedette auprès des investisseurs, selon un rapport préparé par de hauts fonctionnaires fédéraux obtenu par La Presse.

La menace a un nom : l’Inflation Reduction Act (IRA), cette loi adoptée par l’administration Biden dotée d’une enveloppe de 370 milliards US pour appuyer des projets visant à lutter contre les changements climatiques. Tout ce qui concerne la production de batteries pour véhicules électriques est admissible à de l’aide.

« Les mesures semblent avoir le potentiel de déplacer certains investissements du Canada vers les États-Unis », écrit le document produit par le Bureau du conseil privé – dont le rôle est de fournir des conseils non partisans au premier ministre et au cabinet – qui a été préparé en septembre dernier.

Depuis, le gouvernement Trudeau a reconnu que l’IRA était une menace, mais on ignore exactement de quelle façon s’articulera la réplique.

Plusieurs passages du document sont caviardés. On ignore si des projets jugés à risque sont identifiés. La filière des batteries a pris forme au Canada avec l’annonce, au cours des 10 derniers mois, de projets totalisant plus de 15 milliards. Ils concernent l’extraction et la transformation de minéraux critiques (lithium, graphite, nickel…), la fabrication de composants de batteries, l’assemblage de batteries et le recyclage. Le Québec a obtenu sa part du gâteau avec le géant chimique BASF et la coentreprise formée par General Motors et Posco, qui viendront produire des matériaux de cathodes – le principal composant d’une batterie – à Bécancour.

Ces investissements ont toutefois été annoncés avant l’offensive américaine. Cette nouvelle politique constitue un « important changement » par rapport aux façons de faire traditionnelles, où ce sont les États qui offrent le soutien financier. Cette fois-ci, Washington intervient directement.

« Pour le Canada, la préoccupation est que nous pourrions perdre la partie de la chaîne à plus haute valeur ajoutée », prévient le Bureau du conseil privé.

Faits saillants de l’Inflation Reduction Act

  • 30 milliards US en crédits d’impôt pour accélérer le traitement de minéraux critiques ainsi que la production d’éoliennes et de panneaux solaires

  • 10 milliards US en crédits d’impôt pour la construction d’usines de véhicules électriques, d’éoliennes et de panneaux solaires

  • 27 milliards US pour les technologies de production d’énergie propre

L’Amérique du Nord et l’Europe font des pieds et des mains pour réduire leur dépendance à la Chine, premier producteur de plusieurs composants et de matériaux utilisés dans la production de batteries.

Une étape

Jusqu’à présent, le gouvernement Trudeau a pu s’assurer que les véhicules électriques assemblés en Ontario sont admissibles aux rabais à l’achat proposés par l’IRA. On doit maintenant se pencher sur la filière des batteries, estime Richard Ouellet, spécialiste du droit international et professeur à l’Université Laval.

« Les Américains veulent les minéraux critiques de leurs amis canadiens, mais ils veulent garder la valeur ajoutée, dit-il. On a beau dire que nous sommes verts avec notre énergie renouvelable, il n’en reste pas moins que les États-Unis ont mis le paquet. »

À Ottawa, on tente de calmer le jeu. Par courriel, Laurie Bouchard, porte-parole du ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, François-Philippe Champagne, souligne que « depuis l’annonce de l’IRA, nous avons continué de voir des investissements ». Mme Bouchard donne l’exemple de Volkswagen, qui évalue les endroits pouvant accueillir son usine de batteries au Canada.

« La situation sera différente pour une compagnie qui n’est pas un constructeur automobile et qui compte vendre ses batteries à différents clients, souligne M. Ouellet. Dans ce scénario, l’entreprise aurait tout intérêt à s’établir aux États-Unis. »

Selon une source gouvernementale qui n’est pas autorisée à s’exprimer publiquement, Ottawa pourrait, au cas par cas, emboîter le pas à ce qui se fait aux États-Unis. Cette personne n’a toutefois pas confirmé si l’on irait jusqu’à financer les dépenses d’exploitation de certains producteurs, comme l’avance un récent reportage de Radio-Canada.

M. Ouellet estime que le Canada « n’a pas vraiment le choix de se lancer dans une guerre de subventions » puisque la filière nord-américaine des batteries en est à ses balbutiements.

« On doit s’assurer que les usines seront construites ici parce qu’elles vont être plus difficiles à déménager par la suite », affirme l’expert.

La réplique du gouvernement Trudeau pourrait venir dans le budget fédéral qui sera déposé en 2023.

– Avec William Leclerc, La Presse


EN SAVOIR PLUS

80 %
C’est la capacité mondiale de fabrication chinoise des batteries dans le monde.

Source: Source : S&P Market Intelligence

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