Étude de la BDC

Miser sur le numérique, gagner la santé financière

A priori, le coiffeur Luc Vincent n’a pas du tout le profil de l’entrepreneur techno typique. Dès 2018, il a décidé de « s’installer sur le web », selon son expression, pour vendre ses produits capillaires maison.

« On roulait un peu à perte, mais on a eu le temps de s’installer, explique le professionnel dont l’entreprise est établie à Vaudreuil-Dorion. Quand la pandémie est arrivée, ç’a été un boom. On est passé d’un chiffre d’affaires de quelques centaines de milliers à plusieurs millions de dollars. »

L’exemple de Luc Vincent illustre à merveille les constats d’une étude inédite de la Banque de développement du Canada (BDC), qui sera dévoilée ce mardi matin. Basée sur deux sondages auprès de 2069 responsables de petites et moyennes entreprises canadiennes, enrichis de deux analyses économétriques, cette étude établit un lien étroit entre la santé financière et la « maturité technologique ».

« Les PME qui investissent en technologies numériques performent mieux que les autres, résume Pierre Cléroux, vice-président et économiste en chef à la BDC. Ça fait longtemps qu’on dit ça, mais l’étude le démontre. Celles qui investissent plus ont une croissance plus forte, sont plus résilientes et exportent davantage. Elles ont aussi moins de difficultés à obtenir du financement. Ça, ça nous a surpris. »

Une sur 20 en avance

En 2021, les PME ont investi en moyenne 118 430 $ dans les technologies numériques, mais le portrait varie énormément en fonction de la taille de l’entreprise. Celles qui comptent entre 1 et 4 employés ont investi 48 243 $, tandis que les plus grandes, entre 100 et 499 employés, sont également les plus ambitieuses à ce chapitre, avec une moyenne de 422 427 $.

Premier constat, à peine 5 % des PME peuvent être considérées comme « avancées » sur le plan numérique. On qualifie ainsi les entreprises qui ont mis en place un ensemble de mesures, allant de la vente en ligne à l’analyse des données en passant par la numérisation des processus d’affaires, l’élaboration d’un plan numérique et la conception d’un site web. L’étude de la BDC a noté les entreprises selon six « axes » qui ont permis un classement en quatre profils bien distincts.

C’est en comparant ces profils à des données économiques plus classiques qu’on a constaté que la maturité technologique est un excellent indicateur de la santé financière. Deux tableaux, en particulier, sont éloquents.

Les proportions sont semblables quand on parle d’exportation : si 11 % des retardataires ont embarqué, le pourcentage monte à 60 % chez les plus avancées.

« On a un succès assez grand à l’international », précise le coiffeur Luc Vincent, dont l’entreprise compte une quinzaine d’employés. « Avant la pandémie, on faisait les paquets dans le sous-sol avec ma femme. En 18 mois, on est rendus dans un entrepôt de 5000 pieds carrés. »

« On voit qu’il y a un écart entre les entreprises qui investissent et celles qui ne le font pas, indique M. Cléroux. Chez celles qu’on a appelées les « retardataires », 33 % ont eu des pertes ou une croissance zéro. C’est énorme. C’est difficile de faire des profits quand tu n’es pas numérisé du tout. »

On constate par ailleurs un lien direct entre la maturité technologique et la réactivité des entreprises à prendre des mesures pour se démarquer de la concurrence.

Femmes minoritaires

Les secteurs les moins numérisés sont les services aux particuliers, la construction, les ressources naturelles et le commerce de gros et transport. À l’autre bout du spectre, c’est dans le commerce de détail et les TIC (technologie, information et culture) qu’on trouve les meilleures notes.

On a également disséqué la composition des entreprises les plus avancées pour connaître le profil de leurs propriétaires. Les femmes et les personnes en situation de handicap sont les moins représentées, tandis que les jeunes de moins de 35 ans et les Autochtones comptent parmi les plus technophiles.

« On n’a pas d’explications, c’est un simple constat », précise le vice-président de la BDC.

On a par ailleurs demandé aux entrepreneurs quels étaient les principaux obstacles à la numérisation de leur entreprise. Pour 42 % d’entre eux, c’est un problème de coûts trop élevés ; 32 % s’inquiètent de la cybersécurité ; et 27 % pointent les incertitudes quant à la rentabilité d’une telle transformation.

Fait plutôt inédit dans une telle étude, une page entière est consacrée à la démonstration, point par point, du faible coût en 2022 des solutions offertes. Un site web d’entrée de gamme coûte ainsi entre 0 $ et 29 $ par mois, un système de comptabilité de milieu de gamme peut s’acquérir entre 11 $ et 48 $, et la gestion des relations avec la clientèle haut de gamme coûtera entre 60 $ et 100 $ par mois.

La question des coûts élevés, assure M. Cléroux, « ce n’est plus vrai. On voulait démonter ce mythe, il est persistant ».

La BDC, faut-il le rappeler, est un des partenaires majeurs du tout récent Programme canadien d’adoption du numérique (PCAN) qui vise quelque 160 000 PME d’ici quatre ans.

« C’est très facile, quand on a les bons outils, indique Luc Vincent. Facebook, Shopify, ils ont tout, c’est du plug and play. »

L’économiste en chef de la BDC s’inscrit également en faux contre une allégation souvent entendue, selon laquelle la transformation numérique n’est pas nécessairement intéressante pour tous les types d’entreprise. « Le commerce électronique a triplé pendant la pandémie, de plus en plus de consommateurs achètent en ligne et lorsqu’ils ne le font pas, ils vont s’informer en ligne. Si vous n’y êtes pas, vous n’êtes pas visible. »

L’étude met d’ailleurs en vedette une coiffeuse de Winnipeg, Praise Okwumabua, qui, comme Luc Vincent, avait commencé à vendre en ligne avant la pandémie et a vu ses ventes bondir quand son magasin a fermé ses portes. « Elle est très créative. En mettant des vidéos sur de nouvelles façons de se coiffer, elle a attiré des clients, souligne M. Cléroux. La nouvelle génération veut prendre ses rendez-vous en ligne, elle n’appelle plus. »

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