Présage d’un conflit « prolongé »

L’inquiétude est palpable chez les pays occidentaux et l’OTAN, qui craignent que les troupes russes ne recentrent leurs attaques sur le Donbass, dans l’est de l’Ukraine. De son côté, le premier ministre Justin Trudeau est catégorique : la Russie ne devrait pas participer au prochain sommet du G20, en novembre prochain.

Moscou se réorganise, PLUS DE « souffrances » À PRÉVOIR

Des pays occidentaux et l’OTAN ont dit craindre jeudi que Moscou ne renforce son offensive sur la région du Donbass, dans l’est, tout en maintenant « la pression sur Kyiv et d’autres villes ». Ce « repositionnement » des forces russes laisse présager, selon des observateurs, un conflit « prolongé ».

Pas un retrait, mais un repositionnement

Les forces russes « ne se retirent pas, elles reprennent position » en Ukraine, a déclaré jeudi le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, alors que les soldats de la Russie avaient commencé à se retirer du site nucléaire de Tchernobyl, dont elles avaient pris le contrôle dès le premier jour de l’invasion. « Nous nous attendons à des actions offensives supplémentaires qui se traduiront par encore davantage de souffrances », a-t-il déploré. À Kharviv, le général ukrainien Pavlo « Maestro » a aussi estimé que la Russie se « regroupe pour attaquer et pour masser le maximum de forces » dans le sud et l’est de l’Ukraine. Le président américain Joe Biden, lui, s’est de nouveau dit « sceptique » face aux annonces de Moscou d’un retrait partiel de ses troupes. Une source au Pentagone a parlé d’un conflit qui risquait d’être « prolongé », disant croire « que ces forces seront rééquipées et renvoyées en Ukraine » pour poursuivre le combat, dans l’est.

À quand un « vrai dialogue » ?

Selon Michel Fortmann, professeur de politique étrangère et de sécurité nationale à l’Université de Montréal, les Russes tentent de « gagner du temps » en faisant « semblant de négocier ». « C’est un peu de la poudre aux yeux. Tout le monde peut espérer. C’est une guerre qui est tellement inutile, bête, coûteuse. Mais je ne suis pas optimiste, pas comme c’est parti, et surtout pas avec le leadership russe tel qu’il est. Ce n’est pas un leadership qui négocie », juge-t-il. M. Fortmann rappelle que la Russie lancera vendredi sa campagne de conscription visant les hommes de 18 à 27 ans qui ne sont pas étudiants. « Ça touche potentiellement 100 000 personnes. Pour moi, ça ne ressemble pas du tout à une baisse des tensions, bien au contraire », estime l’expert.

corridor humanitaire à Marioupol

Après y avoir annoncé un cessez-le-feu local mercredi, afin de permettre l’évacuation de 160 000 civils, le Kremlin a confirmé jeudi qu’un couloir humanitaire permettant l’évacuation de la population serait ouvert vendredi à Marioupol, grande ville portuaire du sud-est de l’Ukraine que les forces de Moscou essaient de conquérir depuis des semaines. Le ministère de la Défense de Russie a indiqué que la mesure avait été prise dans la foulée « d’une requête personnelle du président français [Emmanuel Macron] et du chancelier allemand [Olaf Scholz] auprès du président russe ». La Maltaise Roberta Metsola, présidente du Parlement européen, a d’ailleurs indiqué jeudi soir sur Twitter qu’elle était « en route pour Kyiv ».

Ottawa suggère une enquête internationale

Plus près de chez nous, le ministre fédéral du Développement international Harjit Sajjan a suggéré jeudi que le blocage par la Russie de l’aide humanitaire à l’Ukraine et son bombardement d’installations médicales devraient faire l’objet d’une enquête internationale sur les crimes de guerre. Il a tenu ces propos alors même qu’une demi-douzaine d’enquêteurs supplémentaires de la GRC doivent se rendre cette semaine à La Haye, aux Pays-Bas, pour prendre part à l’enquête de la Cour pénale internationale (CPI) sur les crimes de guerre qui auraient été commis par la Russie lors de l’invasion ukrainienne.

Poutine hausse le ton

De son côté, le président Vladimir Poutine a interdit jeudi l’entrée sur le territoire russe aux dirigeants et à la majorité des députés européens, en réaction aux sanctions tous azimuts visant Moscou. Son régime menace dorénavant les acheteurs de gaz russe de pays « inamicaux » de stopper leur approvisionnement s’ils ne se plient pas aux exigences du Kremlin, une mesure destinée à soutenir le rouble qui affecterait principalement l’Union européenne, très dépendante du gaz russe. « Ils doivent ouvrir des comptes en roubles dans des banques russes. Et de ces comptes, ils devront payer le gaz livré, et cela, dès [ce vendredi] », a insisté Vladimir Poutine.

Tirs sur un convoi humanitaire

Une personne a été tuée et quatre autres blessées dans des tirs sur un convoi de cinq bus transportant des volontaires vers la ville assiégée de Tchernihiv, dans le nord de l’Ukraine. Lioudmyla Denissova, chargée des droits de la personne auprès du Parlement ukrainien, accuse les troupes russes de « ne pas laisser la moindre possibilité d’évacuer les civils de Tchernihiv assiégé, en laissant des dizaines de milliers de civils sans nourriture, sans eau, sans chauffage ». Après Marioupol dans le sud, Tchernihiv, qui comptait 280 000 habitants avant la guerre, est la ville la plus durement frappée par les bombardements depuis le début de la guerre.

Autre rencontre à venir

En Turquie, le ministre des Affaires étrangères, Mevlüt Çavuşoğlu, a annoncé en début de journée jeudi qu’une nouvelle rencontre entre ses homologues russe Sergueï Lavrov et ukrainien Dmytro Kouleba pourrait avoir lieu « d’ici une ou deux semaines ». C’est la Turquie qui pourrait alors accueillir cette rencontre. Peu après, le négociateur en chef ukrainien, David Arakhamia, avait aussi indiqué plus tôt, mercredi, que des pourparlers en ligne avec la délégation russe reprendraient vendredi. L’Union européenne (UE) veut également persuader la Chine de renoncer à aider Moscou pour contrer les sanctions occidentales, vendredi, lors d’un sommet virtuel où Pékin entend relancer sa relation économique avec une Europe fragilisée par la guerre en Ukraine.

— Avec l’Agence France-Presse

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Nombre de réfugiés ukrainiens, en date de jeudi, selon le Haut Commissariat aux réfugiés de l’ONU. Ce sont 39 818 de plus que lors du précédent pointage mercredi. Quelque 90 % de ceux qui ont fui l’Ukraine sont des femmes et des enfants.

Source : Agence France-Presse

Prochain sommet du G20

La Russie devrait être excluE, SELON Trudeau

Ottawa — Vladimir Poutine n’a pas sa place au prochain rendez-vous du G20, croit le premier ministre du Canada. Il a d’ailleurs contacté le président indonésien, Joko Widodo, l’hôte du sommet prévu à Bali en novembre prochain, pour lui faire part de sa position. Les partis de l’opposition à Ottawa se rallient unanimement à la position libérale.

« Ça ne peut pas être comme d’habitude. Avec la Russie autour de la table, ça va être un grand enjeu pour beaucoup de pays, dont le Canada. Je ne pense pas qu’on peut s’asseoir avec la Russie autour de la table », a expliqué Justin Trudeau lors d’une mêlée de presse à l’entrée de la période des questions, jeudi.

Les pays membres du groupe devront avoir une conversation à ce sujet, a-t-il indiqué.

Déjà, il y a une semaine, le président des États-Unis, Joe Biden, avait exprimé le souhait que Moscou soit exclu du G20, et, si les pays membres du groupe ne parvenaient pas à s’entendre, « que l’Ukraine participe à la rencontre [à Bali] à titre d’observateur ».

Le premier ministre du Canada a convenu que l’unanimité requise serait difficile à obtenir.

Car le G20 regroupe des pays comme la Chine, l’Inde et l’Afrique du Sud, qui se sont tous les trois abstenus la semaine passée de se prononcer sur une résolution onusienne (finalement adoptée à la majorité) sommant le Kremlin de cesser les hostilités en Ukraine « immédiatement », « complètement » et « sans condition ».

L’expulsion pure et simple de la Russie représente ainsi une « conversation à avoir », mais ce qui s’impose d’abord et avant tout, c’est une décision sur le prochain sommet en Indonésie, estime Justin Trudeau.

« Je ne peux pas voir comment des leaders comme moi pourraient s’asseoir à la même table que Vladimir Poutine pour faire semblant que tout va bien […]. Il a démontré un manque de respect total pour la loi et l’ordre à l’international, la croissance économique, le bien-être et la souveraineté des autres pays », a-t-il dit.

IMPOSSIBLE de parler de croissance avec Moscou

Le premier ministre n’a par ailleurs pu s’empêcher de souligner l’ironie que le régime de Poutine, qui cause des ravages à l’économie mondiale, ait sa place au sein d’un groupe dont la mission est justement de trouver des moyens de favoriser la croissance économique.

« Le G20 a toujours été un groupe de pays avec des approches différentes, mais c’est un groupe qui est axé sur la croissance économique mondiale. Or, ces jours-ci, on est en train de voir des déstabilisations à l’économie mondiale à cause des actions de la Russie, à cause des sanctions. »

— Justin Trudeau, premier ministre du Canada

« Ça n’a aucun sens d’avoir une discussion sur la croissance économique mondiale quand le pays responsable d’une bonne partie des bouleversements serait autour de la table », a enchaîné Justin Trudeau.

Les chances que la Russie se fasse carrément expulser du G20 sont « très, très minimes », a récemment affirmé à La Presse Hélène Emorine, chercheuse principale des groupes de recherche sur le G7 et le G20 de l’Université de Toronto.

« Le G20 marche par unanimité. Tous les pays doivent être d’accord avant de faire une action importante comme celle-ci. Je vois mal des pays comme la Chine ou l’Arabie saoudite être d’accord », avait-elle expliqué en entrevue il y a quelques jours.

Conservateurs et bloquistes d’accord

À Ottawa, les partis de l’opposition réclament aussi unanimement la mise au ban de la Russie.

« Le Canada doit demander l’expulsion de la Russie. Nous sommes heureux que nos alliés [les États-Unis] l’aient demandée », a déclaré le porte-parole du Parti conservateur en matière d’affaires étrangères, Michael Chong, jeudi passé, en entrevue.

Son collègue bloquiste Stéphane Bergeron partage cette position, et il l’a réitérée jeudi – d’autant que les députés ukrainiens en visite à Ottawa ces jours-ci ont notamment demandé « de poursuivre l’isolement de la Russie sur la scène internationale, ce qui inclut entre autres l’exclusion du G20 », a-t-il argué.

La semaine dernière, la porte-parole du Nouveau Parti démocratique en matière d’affaires étrangères, Heather McPherson, avait affirmé que « bien que ce soit une option que nous devrions envisager, il y a aussi beaucoup d’autres voies que nous devons emprunter pour être solidaires de l’Ukraine et condamner la Russie ».

Jeudi, le chef adjoint de la formation, Alexandre Boulerice, est toutefois allé beaucoup plus loin.

« Il faut avoir une stratégie d’isoler la Russie, de faire mal au régime Poutine et aux oligarques. Ça fait partie de cette orientation-là, mais nous, au NPD, on pense qu’on devrait aussi aller plus loin, exclure la Russie de l’OSCE [Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe], du [Conseil] de l’Arctique également », a-t-il lancé en point de presse.

Au parti, on a affirmé que c’était « la même position ».

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