Société

Mères et autrices

« Être mère, c’est se réveiller le matin, faire de son mieux, puis se coucher le soir en espérant que tout ira pour le mieux », a écrit Auður Ava Ólafsdóttir dans son roman L’embellie. À l’occasion de la fête des Mères, nous avons demandé à trois autrices d’ici – Maude Nepveu-Villeneuve, Caroline Dawson et Véronique Grenier – de nous faire part de la façon dont elles conçoivent la maternité, au quotidien comme dans l’écriture.

Maude Nepveu-Villeneuve

Quand la maternité devient création

Avant d’être mère, Maude Nepveu-Villeneuve n’avait jamais abordé la question de la maternité dans ses écrits. Même que dans son premier roman, Partir de rien, elle s’est rendu compte après coup qu’il n’y avait carrément pas de parents.

« La maternité est apparue dans mes livres parce que ça faisait partie de mes préoccupations et de ce que je vivais. J’ai beaucoup réfléchi sur le sujet à travers l’écriture. En fait, j’ai écrit les livres que j’aurais eu besoin de lire en traversant certaines parties de ma vie », estime l’autrice et éditrice, qui précise avoir abordé des sujets tabous, soit « l’ambivalence maternelle » de cette mère qui aime son enfant tout en ayant envie de se sauver, dans La remontée, et le deuil périnatal avec Après Céleste.

Maude Nepveu-Villeneuve remarque que la réflexion autour de la maternité a été beaucoup plus présente dans la littérature québécoise ces dernières années. Elle songe à Fanny Britt avec Les maisons, La femme qui fuit, d’Anaïs Barbeau-Lavalette, ou encore Le fil du vivant, d’Elsa Pépin. « On le sent, il y a plusieurs autrices qui ont envie de parler de ces zones plus sombres. »

Pour sa part, les deux années qui ont suivi la naissance de sa première fille ont été un désert dans l’écriture.

« J’étais tellement absorbée dans ce rôle maternel que je n’arrivais pas à donner autre chose de moi que ce que je donnais comme mère. »

— Maude Nepveu-Villeneuve

Et même si elle a réussi à faire en sorte que cela ne se reproduise pas après la naissance de sa deuxième fille, « c’était souvent au prix de tiraillement et de culpabilité » : « Je pensais à mon livre pendant que je jouais avec mon enfant, et pendant que j’écrivais mon livre, je pensais à mon enfant », se souvient-elle.

Aujourd’hui, sa fille aînée va avoir 11 ans et elle est devenue l’une de ses précieuses interlocutrices de création. « Quand j’ai écrit des livres jeunesse, je suis toujours passée par elle, évidemment. Mais j’ai même discuté avec elle d’Après Céleste et elle m’a trouvé une idée, à un moment donné, à laquelle je n’avais pas pensé. »

Celle-ci semble d’ailleurs en voie de suivre les traces maternelles, puisqu’elle écrit déjà de son côté. « C’est une grande fierté de la voir s’épanouir là-dedans. J’aime qu’elle discute avec moi de ses histoires, de ses personnages. Elle est très secrète, mais parfois, elle nous montre des choses et dans ces moments-là, je sens vraiment une connexion particulière. »

Caroline Dawson

L’écriture « maternelle »

Quand elle s’est lancée dans son roman, Là où je me terre, sa fille venait de naître et son fils avait 5 ans. L’écriture commençait donc pour Caroline Dawson une fois ses enfants couchés, ponctuée d’éventuelles interruptions. Quatre ans plus tard, ils sont loin d’être complètement indépendants, note-t-elle avec humour : « S’ils ont faim, je ne peux pas leur dire : “Maman est inspirée, tu feras ta collation plus tard” ! »

« Ça fait en sorte que je ne peux pas rentrer dans une épopée chaque jour parce que je ne peux pas écrire huit heures de suite », dit-elle, précisant qu’il s’agit d’une des raisons principales derrière le fait que son livre est écrit en fragments. « Et dans ce sens, j’ai peut-être une écriture un peu maternelle, comme je la retrouve chez beaucoup de femmes écrivaines qui sont également mères. »

Caroline Dawson a d’ailleurs longtemps pensé qu’elle n’aurait pas d’enfants. C’est en observant la façon d’être avec les enfants de son conjoint, qui est suédois, et en habitant en Suède qu’elle est parvenue à envisager une autre conception de la parentalité.

« Ça paraît un peu absurde, mais j’ai compris qu’il y avait d’autres façons d’être parent. En Suède, on accueille les enfants dans leur façon d’être. C’est beaucoup plus ouvert, beaucoup moins rigide ; on ne crie pas sur eux. Les enfants sont comme des personnes. »

— Caroline Dawson

« Et ça, ça m’a beaucoup ébranlée comme Latino-Américaine parce que oui, les enfants sont toujours bienvenus [dans ma culture], toujours présents, accueillis ; en même temps, ils sont autour et personne ne leur parle », ajoute-t-elle.

Mais la manière dont elle se définit en tant que mère a évolué avec chacun de ses enfants. « Il faut se moduler et accueillir l’enfant selon sa personnalité, ses besoins, sa façon d’être, et donc changer sa façon d’être mère. »

Quand elle est tombée enceinte, elle s’est pourtant promis une chose : de ne jamais crier sur ses enfants. « C’est quelque chose qui, moi, me coûte beaucoup. Ça ne me vient pas naturellement parce que je n’ai pas été élevée comme ça ; il faut continuellement que je me parle, chaque jour. Mais je me dis que si je réussis, je vais avoir passé ça à mes enfants et si jamais ils ont des enfants, ça va leur venir naturellement, comme à mon conjoint », souligne celle qui se rétablit d’un cancer.

Véronique Grenier

Changer avec « les p’tits »

Lorsqu’elle a créé son blogue Les p’tits pis moé, Véronique Grenier se souvient que c’était l’époque où elle se sentait « submergée » par la maternité. Avec deux enfants en bas âge et une séparation récente, l’autrice avait le sentiment d’être complètement dépassée par le quotidien.

« Je sentais que je n’étais jamais adéquate ; j’étais dans une espèce d’urgence, un épuisement et un besoin de crier », raconte- t-elle.

Des moments où elle s’est dit « ben voyons donc, je n’ai pas signé pour ça », elle en a eu sa dose... Comme cet épisode inoubliable où ses enfants ont eu la gastro et des poux – en même temps. « Ils avaient été vraiment malades et il fallait que j’épouille, que je fasse les traitements, que je lave la maison au complet en vomissant et j’étais toute seule. Mais on se découvre des ressources insoupçonnées et on passe au travers. »

Aujourd’hui, moins de 10 ans plus tard, elle peut enfin dire qu’elle se sent apaisée. Bien entendu, les enfants ont grandi. « Ça devient plus facile parce qu’ils sont plus autonomes, parce que tu as plus d’air entre tout, parce qu’ils s’occupent un peu plus... » Et ce, malgré les difficultés et les « joies de l’adolescence » qui se manifestent déjà (ils ont 13 et 11 ans).

Mais sa compréhension de la maternité a elle aussi changé.

« À un moment donné, j’ai compris que la perfection n’était tout simplement pas possible. Nécessairement, comme parent, on est appelé à commettre des erreurs ; l’idée, c’est quand même d’avoir à l’esprit de faire le mieux. »

— Véronique Grenier

« Mais ça arrive, parfois, qu’on va manger des toasts pour souper et ce n’est pas dramatique parce que ce n’est pas ce qu’ils mangent tous les jours, ajoute-t-elle. Je pense que le concept de la mère suffisante de Donald Winnicott m’a vraiment fait du bien. »

La « tonalité » de ses échanges avec ses enfants s’est également transformée – pour le mieux. « Ils ne sont plus juste des individus qui dépendent de toi ; en grandissant, ça devient des gens avec qui tu développes une relation. Et je n’ai pas un intérêt fake pour ce qu’ils font et ce qu’ils sont. Je vais lire les livres qu’ils lisent, je vais m’intéresser à leurs émissions, je vais même jouer à leurs jeux vidéo avec eux. Je fais une immersion sincère dans leur univers parce que ça m’intéresse de voir ce qu’ils aiment. Et c’est réciproque parce que moi aussi, je partage avec eux ce que j’aime. »

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