26 millions pour la recherche en astrophysique

Un don de 26 millions sera annoncé ce lundi pour la recherche en astrophysique universitaire montréalaise. Il s’agit du plus gros don de l’histoire dans ce domaine aux universités de Montréal (UdeM) et McGill.

« La Fondation familiale Trottier nous finançait déjà, mais pour un montant beaucoup moins élevé et pour moins longtemps », explique René Doyon, directeur de l’Institut de recherche sur les exoplanètes (iREx) de l’UdeM, qui reçoit une subvention de 10 millions. « Maintenant, c’est sur 10 ans. La stabilité de ce financement va nous permettre d’aller chercher les meilleurs scientifiques du domaine. »

L’Institut spatial de McGill se servira de la moitié des 16 millions promis sur 10 ans pour construire un nouvel édifice, rue University, qui sera relié à l’actuel par une passerelle. « Nous avons beaucoup de collaborations avec d’autres universités et voulons attirer plus de chercheurs, alors nous avons besoin de plus d’espace de travail », explique Victoria Kaspi, directrice de l’Institut.

Mme Kaspi a fait l’entrevue de Boston, où elle rencontrait des partenaires du prestigieux Massachusetts Institute of Technology (MIT), notamment pour discuter du radiotélescope CHIME géré par son équipe. Il s’agit d’un radiotélescope en Colombie-Britannique inauguré en 2017 et composé de 1000 antennes. L’« Expérience canadienne de cartographie de l’intensité de l’hydrogène » permet notamment de mieux comprendre les mystérieux « sursauts radio rapides » (FRB, selon le sigle anglais), des émissions à très haute énergie ne durant que quelques millisecondes. Le premier FRB n’a été détecté qu’en 2007.

L’iREx sera renommé Institut Trottier de recherche sur les exoplanètes et l’Institut spatial de McGill ajoutera Trottier à son nom.

Philanthrope passionné de la science

Le philanthrope Lorne Trottier, cofondateur de la société de cartes graphiques Matrox, est passionné de la science depuis son jeune âge. « À 11 ans j’ai été chez un ami qui avait un frère plus âgé passionné de radio amateur, dit M. Trottier. Il parlait avec des gens partout sur la planète. Ça m’a fasciné. J’ai été lire tout ce que je pouvais à la bibliothèque publique. » Il s’agit d’une bibliothèque publique juive alors située boulevard Mont-Royal – le père de M. Trottier est franco-ontarien et sa mère est juive.

Quand a-t-il eu son premier contact avec l’espace ? Avec le lancement de Spoutnik en 1957 ? « J’avais 10  ans, alors je ne m’intéressais pas encore à la science. Mais j’ai suivi les vols spatiaux par la suite. Je me souviens du vol d’Alan Shepard en mai 1961. »

Plusieurs multimillionnaires planifient un voyage dans l’espace avec des entreprises comme Virgin Galactic ou Blue Origin. M. Trottier est-il intéressé ? « Je n’ai rien contre. Mais je préfère financer la recherche ici plutôt que d’aller dans l’espace moi-même. »

Quelques découvertes de McGill…

• En 2020 dans Nature, première preuve que les magnétars, des étoiles en fin de vie qui se sont effondrées sur elles-mêmes et ont acquis un champ magnétique très élevé, sont probablement à l’origine des sursauts radio rapides, grâce à CHIME

• En 2019, dans les Astronomical Journal Letters, dans le cadre d’un effort international, première image d’un trou noir grâce à un réseau de télescopes appelé Event Horizon Telescope

… et de l’UdeM

• En 2019, dans l’Astronomical Journal, première détection d’eau liquide sur une exoplanète située dans la zone habitable de son système solaire

• En 2022, dans l’Astronomical Journal, détection d’une « planète océan » recouverte d’eau, potentiellement la première dans cette catégorie

Croissance importante des dons depuis 10 ans

Les dons versés aux universités québécoises ont augmenté de plus de 72 % en 10 ans. Sans surprise, McGill récolte presque autant que toutes les autres universités réunies. Mais les établissements francophones enregistrent aussi une importante croissance.

En 2020-2021, les dons versés aux universités s’élevaient à plus de 237 millions de dollars, selon des données du ministère de l’Enseignement supérieur consultées par La Presse. Ce montant exclut les dons versés à Polytechnique Montréal et à l’École nationale d’administration publique.

C’est une hausse de plus de 72 % par rapport aux dons amassés par le réseau universitaire en 2010-2011, soit 137 millions de dollars.

« On dit souvent que les Québécois n’ont pas la tradition philanthrope, mais je pense que cela change », indique François Gélineau, vice-recteur aux affaires internationales et au développement durable responsable de la philanthropie à l’Université Laval.

L’Université Laval vient d’enregistrer une année record : plus de 70 millions en engagements philanthropiques (certains dons sont dépensés sur plusieurs années).

Même chose à l’Université du Québec à Montréal, qui a conclu en novembre une campagne de financement majeure lancée en 2018 avec une enveloppe totale de près de 119 millions de dollars. Sur 52 000 dons, près de la moitié provenait de nouveaux donateurs.

« Il y a une plus grande augmentation des sommes issues des dons, mais ça suit en général la hausse des dépenses globales et des sources de revenus des universités », nuance Martin Maltais, professeur de financement et politiques d’éducation à l’Université du Québec à Rimouski.

McGill, loin devant les autres

Ce qui change progressivement, c’est l’engagement plus soutenu des diplômés des universités francophones, fait valoir M. Maltais.

« Il faut dire qu’il y a 30 ans, il y avait moins de richesse chez les francophones qui avaient fréquenté l’université », précise-t-il.

Mais il reste du chemin à faire pour atteindre le niveau de certaines universités anglophones.

Sans surprise, McGill est l’établissement qui récolte le plus de dons – et de loin. En 2020-2021, l’établissement anglophone a encaissé plus de 117 millions, presque autant que toutes les autres universités réunies. À titre illustratif, cela représente 3485 $ par étudiant, contre 987 $ par étudiant à l’Université de Montréal (UdeM).

Or, la croissance de McGill et de l’ensemble des autres universités suit une tendance semblable. Même que, mises ensemble, l’UdeM, HEC Montréal et Polytechnique Montréal réduisent progressivement l’écart, avec une hausse de 102 % depuis 10 ans.

« On ne se gêne pas pour demander et c’est un changement culturel qu’on essaye de se donner », indique Michael Pecho, vice-recteur aux relations avec les diplômés et à la philanthropie à l’Université de Montréal.

L’an dernier, l’UdeM a amassé 222 millions de dollars en engagement philanthropique, un record. Ça inclut le cadeau d’envergure de 159 millions de la Fondation Courtois pour la recherche fondamentale en sciences naturelles. C’est le plus grand don jamais fait à l’Université de Montréal et le troisième don en importance fait à une université au pays.

Dans la dernière année seulement, plusieurs universités ont aussi annoncé des mégadons de plusieurs millions de dollars – une tradition bien ancrée aux États-Unis et dans le reste du Canada, mais plus récente dans les établissements francophones au Québec.

« Un certain déséquilibre », déplore l’UEQ

L’Union étudiante du Québec (UEQ) déplore « un certain déséquilibre » dans les dons reçus par les universités « plus prestigieuses ». « Certaines facultés reçoivent aussi plus de dons », critique sa présidente, Samy-Jane Tremblay.

Au Québec, il existe un programme public qui vise à majorer de près de 50 % les dons versés aux universités. Et à les encourager à fixer des objectifs plus ambitieux en matière de philanthropie.

Le montant total des subventions de contrepartie versées aux universités avec ce programme est de 25 millions par année. À noter que les universités de petite taille reçoivent plus d’argent par dollar amassé que les grands établissements.

Malgré cela, « il y a des disparités importantes entre les différents établissements. Est-ce que c’est le rôle de Québec d’encourager cette disparité ou devrait-il plutôt chercher à l’atténuer [dans une logique redistributive, par exemple] ? C’est une réflexion importante », soulève Pier-André Bouchard St-Amant, professeur de finances publiques à l’École nationale d’administration publique et coauteur du livre Démystifier la formule de financement des universités.

Selon lui, il faut aussi se questionner sur l’efficacité du programme. « Si la philanthropie avait été exactement la même [sans celui-ci], on devrait peut-être utiliser ces fonds publics autrement », ajoute-t-il.

« Les dons, c’est l’innovation »

La philanthropie représente une part infime des revenus des universités, mais elle en est un complément essentiel, arguent les établissements. « Les dons, c’est l’innovation », résume Michael Pecho.

Les dons (et en particulier les mégadons) permettent de financer des projets de recherche audacieux qui autrement n’auraient pas reçu de financement public. Ils servent également à créer des bourses d’études ou à construire des infrastructures d’enseignement.

« La philanthropie joue un rôle important. C’est notre levier de développement », souligne François Gélineau.

Les universités doivent cependant se doter de mécanismes pour éviter, selon Martin Maltais, « de se mettre au service d’intérêts qui sont en conflit avec les missions fondamentales du Québec ».

— Avec Francis Vailles, La Presse

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