Livre Le nouvel âge des extrêmes ?

Prêts à agir

Cet ouvrage regroupe plus d’une quarantaine de spécialistes issus de différentes disciplines dans une dizaine de pays. Dans l'extrait présenté, Francis Langlois se penche sur la violence et le terrorisme d'extrême droite aux États-Unis.

L’Alt-Right, internet 2.0 et la résurgence de l’extrême droite violente

L’extrême droite des années 2000 se distingue des suprémacistes des décennies précédentes par un discours plus sophistiqué […] surtout, par l’utilisation très efficace de l’internet et des médias sociaux […]. Le nationalisme blanc est développé au cours des années 1990 […] [cherche] à convaincre la majorité euro-américaine […] qu’elle va devenir une minorité aux États-Unis. Contrôlé par des intérêts hostiles à la majorité, le gouvernement encourage ce processus. […] Afin de convaincre un public plus éduqué, certains […] reformulent le langage des droits civiques pour faire la promotion du groupe euroaméricain plutôt que de critiquer les autres directement. L’objectif […] est de modifier l’horizon idéologique américano-caucasien en plaçant la question de l’identité raciale au centre du discours politique. […] Certains parlent même d’un génocide blanc. […] le gouvernement affaiblit la capacité des Blancs à se défendre en renforçant le contrôle des armes à feu.

Malgré la sophistication du langage, le nationalisme blanc est en réalité une reformulation du suprémacisme des décennies précédentes parce qu’il reprend le projet de créer un État blanc.

Lorsque [on] parle de réalisme racial, [on] affirme en termes polis la hiérarchisation des groupes ethniques et la place dominante que doivent occuper les Caucasiens. La violence inhérente à un tel projet, toujours minimisée, est incontournable. L’Alt-Right est l’articulation la plus récente du nationalisme blanc. […] L’Alt-Right se développe avec la mobilisation de l’ensemble de l’extrême droite au cours de la campagne électorale de 2008 qui mène le premier Afro-Américain à la Maison-Blanche. […] Aidés par des animateurs de radio comme Rush Limbaugh et Alex Jones qui multiplient les rumeurs de complots, les activistes de l’extrême droite couplent leur rhétorique suprémaciste à la grogne populaire, ce qui leur permet de quitter la marge du discours politique. Au mouvement du trutherism cherchant à exposer le complot derrière le 11 septembre 2001 et d’autres évènements similaires sont accolées des théories à saveur raciale dont la plus connue est le birtherism, qui affirme que le président Obama n’est pas né aux États-Unis […] ce contexte est un terreau fertile pour l’extrême droite 2.0 […].

Internet et l’essor de l’hacktivisme d’extrême droite

[…] internet et les médias sociaux facilitent la diffusion du message et des idées de l’extrême droite, multiplient ses capacités organisationnelles […]. L’extrême droite 2.0 veut […] devenir le principal interlocuteur à la droite du spectre politique. […] les plateformes sont multiples. Certaines comme Stormfront […] offrent du contenu néonazi alors que d’autres, comme The Occidental Observer, […] sont liées à l’Alt-Right et propagent le nationalisme blanc. […] Pour diffuser son message, l’extrême droite a aussi utilisé les plateformes généralistes […]. L’objectif des hacktivistes et trolls de l’extrême droite est de changer ce qui est acceptable dans le discours public et d’élargir la fenêtre d’Overton sur les sujets qui les préoccupent […]. hacktivistes et trolls diffusent stratégiquement des messages radicaux de façon à choquer les médias traditionnels pour ainsi obtenir un maximum de couverture et saisir l’occasion de se présenter en victimes des grands médias. […] Enfin, des plateformes où le contrôle est minimaliste comme 4Chan, ou ouvertement favorable à l’extrême droite comme 8Chan, […], sont les lieux de création et de diffusion de contenus extrémistes qui migrent souvent vers les plateformes généralistes, notamment Breitbart News. Des mèmes comme Pepe the Frog ou encore des expressions comme 14words (14 mots) ne sont plus compris par les seuls initiés. […] porte-parole du birtherism, Donald Trump donne de la légitimité au discours et aux méthodes à l’extrême droite. Les thèmes qui dominent sa campagne en 2015 font écho à certains thèmes chers aux membres de cette mouvance : […] L’extrême droite apprécie aussi ses attaques contre les médias et le langage incorrect du nouveau président […] La fenêtre d’Overton est élargie, les idées de l’extrême droite sont maintenant au cœur du discours politique. […]

[…] plusieurs tendances se dégagent des activités de l’extrême droite américaine. […] les membres de l’extrême droite cherchent à se présenter comme une autre voie face au conservatisme traditionnel. […]

Plus inquiétant, une partie de l’extrême droite qui cherche à renverser l’ordre établi et mettre fin à ce qu’elle considère comme un génocide blanc est en processus de radicalisation.

Cette frange accélératrice rejette les guerriers du clavier au profit d’individus prêts à agir avec violence dans le monde réel. Pour cette raison, il faut s’attendre à voir d’autres évènements violents spectaculaires diffusés ou à tout le moins annoncés et justifiés sur les médias sociaux […] Alors que ces groupes et individus impatients sont de plus en plus actifs, les autorités policières peinent toujours à combattre cette menace […]. Le débat est d’autant plus difficile à mener que pour plusieurs, criminaliser le discours et certaines actions suprémacistes constituerait une atteinte au premier amendement, soit la liberté d’expression. […] L’absence de législation claire empêche de rassembler dans un même paradigme un ensemble de groupes et d’individus justifiant leurs propos et actes violents par une idéologie révolutionnaire alliant suprémacisme, fondamentalisme et lutte contre l’ordre établi, des gens s’organisant de plus en plus comme Al-Qaïda […].

— Francis Langlois

Le nouvel âge des extrêmes ?

Les démocraties occidentales, la radicalisation et l’extrémisme violent

Collectif, sous la codirection de Sami Aoun et David Morin, en collaboration avec Sylvana Al Baba Douaihy

Les Presses de l’Université de Montréal, mars 2021

568 pages

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