Reconnaissance faciale

Le dispositif de triage d’une clinique suscite l’inquiétude

Une caméra thermique fonctionnant grâce à une technologie de reconnaissance faciale, installée à l’entrée d’une clinique de Verdun pour faire le triage des patients potentiellement atteints de la COVID-19, suscite l’inquiétude. La députée libérale Marwah Rizqy, craignant une mauvaise utilisation de données médicales personnelles, demande qu’elle soit débranchée.

L’appareil, une tablette de fabrication chinoise munie d’une caméra infrarouge, a fait son apparition le 25 septembre dernier à la Clinique médicale Sud-Ouest, établissement privé.

Tous les patients qui s’y présentent pour un rendez-vous doivent obligatoirement présenter leur visage à la caméra avant d’être autorisés à entrer dans la salle d’attente. Un logiciel de reconnaissance faciale inspecte alors le visage du patient pour s’assurer qu’il porte bien un masque et pour prendre sa température. Si le patient fait de la fièvre, une alerte sonore retentit automatiquement, et il doit alors attendre à l’extérieur de la salle d’attente jusqu’à ce qu’un médecin vienne l’évaluer.

Selon une brochure promotionnelle publiée par son fournisseur Claxatech, l’appareil est capable de « tracer les personnes infectées » et d’« enregistrer automatiquement les visages à des fins de triage secondaire et d’inspection ». Un module d’intelligence artificielle permet aussi de comparer les visages enregistrés à une base de données de 30 000 photos de personnes, avec un taux d’identification positive de 97 %, ajoute la brochure.

Joint par La Presse, le propriétaire de Claxatech, Xavier Azoulay, assure cependant que ce module de comparaison faciale poussé n’est pas activé sur l’appareil fourni à la clinique.

Le dispositif n’est connecté, selon lui, ni à l’internet ni à aucune base de données, et il n’enregistre pas les photos des patients en mémoire.

« Si on tient pour acquis que la machine peut faire ce qui est indiqué dans les spécifications, c’est carrément épeurant », déplore cependant un patient qui a joint La Presse sous le couvert de l’anonymat, et qui a porté plainte à la Commission d’accès à l’information. « Il n’y a aucune façon de savoir ce qui se passe dans la tablette avec ces images. Est-ce que ces données peuvent être vendues à des tiers ? Si on couple ça avec les données prises lors du rendez-vous sur Bonjour Santé, ça constitue déjà une base de données très alléchante, qui inclut le nom, l’adresse, le numéro de téléphone, l’adresse de courriel, l’âge, la raison de la consultation et l’adresse IP du patient », s’inquiète cette personne.

« Je ne crois pas qu’au Québec, un médecin peut forcer un patient à s’identifier avec un appareil de reconnaissance faciale, surtout quand on connaît les risques qui y sont associés, dénonce quant à elle la députée Marwah Rizqy, qui a aussi été jointe par le patient. Dans le doute, la clinique devrait tout simplement débrancher la machine », croit-elle.

Outil « merveilleux pour protéger le personnel »

La gestionnaire de la clinique, Micheline Dufresne, explique avoir acquis le dispositif pour éviter à son personnel d’utiliser un thermomètre infrarouge qui le placerait à une distance dangereuse des patients. « On ne garde aucune donnée, on n’a pas les noms, on n’a pas l’identité des patients dans l’appareil », dit-elle. « C’est un outil merveilleux pour protéger notre personnel. »

Aucune « évaluation des facteurs de risque relatifs à la vie privée » n’a été faite avant de déployer la technologie, reconnaît toutefois Mme Dufresne. La Commission d’accès à l’information, qui s’intéresse de près à la prolifération de la reconnaissance faciale, recommande fortement qu’un tel exercice soit fait avant d’installer un dispositif semblable. Le projet de loi 64 sur la modernisation des dispositions de protection des renseignements personnels prévoit de rendre cette démarche obligatoire.

Consentement explicite nécessaire

« Que ce soit branché à l’internet ou pas, il y a une collecte de données et de renseignements personnels qui se fait », souligne l’avocate Vanessa Henri, spécialiste de la protection des données personnelles au cabinet Fasken.

« Au Québec, le consentement doit être explicite. Il faut que ce soit expliqué aux gens pour qu’ils puissent donner un consentement éclairé, et donner d’autres options à ceux qui n’y consentent pas. »

— Vanessa Henri, avocate spécialiste de la protection des données personnelles au cabinet Fasken

« Si l’appareil a un haut-parleur, ça doit être pris en compte. La confidentialité du traitement risque d’être compromise. Il faut se demander si c’est la meilleure solution », ajoute MHenri.

L’avocate Eloïse Gratton, chef nationale de la sécurité des renseignements personnels au cabinet BLG, abonde dans le même sens. « Il y a moyen d’utiliser des outils semblables pour contrôler les symptômes, mais il y a une façon légale de le faire », dit-elle.

« Il faut faire un tour de la technologie pour comprendre ce qui est recueilli, combien de temps c’est gardé, et s’assurer qu’un contrat hyper rigoureux avec des clauses faisant en sorte que le vendeur de la technologie ne peut pas utiliser ces données ou y avoir accès sans y être autorisé », résume MGratton.

La Ligue des droits et libertés demande un moratoire sur le déploiement de ces appareils d’ici à ce que la loi soit mise à jour. « Les lois encadrant ces technologies sont désuètes. Notre société n’est pas prête à leur déploiement », estime sa porte-parole Alexandra Pierre.

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