Chronique

La question qui va inévitablement se poser…

Avec la mort de la reine Élisabeth II, c’est une question qui va inévitablement se poser : le Canada devrait-il couper son dernier lien colonial et abolir la monarchie ?

Évidemment, avec la Constitution qui prévoit que cela ne peut être fait qu’avec le consentement de la Chambre des communes, du Sénat et de chacune des provinces, ce sera compliqué. Mais peut-être pas autant qu’on pourrait le penser.

Il y avait beaucoup de respect pour la personne de la reine Élisabeth. Et personne n’avait très envie de tenir un tel débat de son vivant. Mais le nouveau roi est beaucoup moins populaire auprès des Canadiens. Dans un sondage réalisé en avril dernier par la firme Angus Reid, 67 % des Canadiens s’opposaient, soit modérément (26 %), soit fortement (41 %), à ce que le pays reconnaisse Charles comme son chef d’État à la mort de sa mère.

Mais, de toute façon, ce n’est pas une affaire de personnalité. La question devrait plutôt porter sur le maintien au XXIe siècle d’un lien qui date du XIXe, à l’époque où le Canada était toujours une colonie dont le gouvernement était sous la tutelle de Londres.

Aujourd’hui, il n’y a plus que le tiers des Canadiens qui revendiquent une origine des îles britanniques. Il y a donc de moins en moins de gens qui ressentent un attachement particulier à la mère patrie au point de vouloir que son chef d’État soit aussi celui du Canada. Au Québec, il n’y en a jamais eu beaucoup, mais on peut dire que c’est aussi le cas de beaucoup de nouveaux arrivants pour qui le lien colonial du Canada n’a guère de sens.

Le sondage Angus Reid posait directement la question : « Le Canada doit-il continuer à être une monarchie constitutionnelle pour les générations à venir ? » Résultat : 51 % ont dit non, 26 %, oui, et 24 % ne savaient pas.

Une pluralité de Canadiens dans chacune des régions du pays croit qu’il faut abandonner la monarchie. Cela va de 71 % au Québec à 43 % en Ontario et dans les Maritimes – mais avec moins du quart des répondants qui tiennent à conserver les liens avec la Couronne britannique.

Évidemment, ce serait compliqué. Il faudrait, d’entrée de jeu, une sorte d’accord tacite que ce n’est pas le temps pour chacun de déballer toutes ses autres demandes constitutionnelles.

Cela dit, il existe un moyen de provoquer un débat constitutionnel sur une seule question, un moyen qui a été suggéré par la Cour suprême il y a un quart de siècle et qui n’a jamais été utilisé de cette manière : un référendum. La décision en question portait sur l’éventuelle accession à la souveraineté du Québec, mais elle pourrait s’appliquer dans d’autres cas.

Selon les juges, « la tentative légitime, par un participant de la Confédération, de modifier la Constitution a pour corollaire l’obligation faite à toutes les parties de venir à la table des négociations ».

Ça ne garantit pas l’issue des négociations – y compris après un Oui à un référendum sur la souveraineté, soit dit en passant –, mais ça oblige la tenue de négociations.

Donc, un référendum à l’initiative d’une ou de plusieurs provinces, ou même un référendum national sur le maintien ou non de la monarchie, pourrait être le point de départ d’une nouvelle ronde constitutionnelle dans laquelle on discuterait uniquement de cette question.

Un parti politique – dans une province ou au fédéral – pourrait promettre la tenue d’un référendum sur la monarchie dans sa plateforme électorale et s’il obtenait ce mandat, la question deviendrait à l’ordre du jour.

Évidemment, cela ne change pas la règle constitutionnelle de l’unanimité et le premier ministre de l’Île-du-Prince-Édouard (nom monarchiste prédestiné !) pourrait toujours exercer son droit de veto. Mais le poids démocratique d’un référendum serait bien difficile à ignorer. Surtout s’il s’agissait d’un référendum national ou tenu dans plusieurs provinces.

D’ailleurs, 92 % des Canadiens qui veulent abolir la monarchie sont bien au courant que ce sera difficile, mais disent qu’il faut tout de même essayer.

Il faut aussi s’assurer de ne pas faire d’erreurs. En 1999, l’Australie a voté pour abolir la monarchie et les sondages semblaient être assez favorables.

Mais les républicains se sont divisés sur la façon d’élire un président (qui aurait eu les mêmes pouvoirs limités d’un gouverneur général). Les uns voulaient qu’il soit désigné par un vote des deux tiers du Parlement, les autres qu’il soit élu au suffrage universel.

Résultat : le référendum a été un échec (53 % Non, 46 % Oui) et l’Australie a conservé la reine comme chef d’État, même si l’idée de devenir une république revient régulièrement dans l’actualité.

On ne peut pas improviser une telle réforme et il faut s’assurer que le débat se déroule dans le respect de chacun. Mais les Canadiens semblent prêts à couper ce dernier lien colonial. Il faudrait maintenant que des politiciens soient prêts à fournir leur part.

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