Martine Delvaux 

Agressions publiées

Elles n’en ont peut-être jamais parlé à personne, mais maintenant, tout le monde le sait. Parce que c’est écrit. Martine Delvaux nous arrive, pile pour le 8 mars, avec un récit coup de poing, sorte de témoignage à la fois documentaire et poétique, intime et universel, sur toutes ces agressions non dénoncées, une fois pour toutes ici publiées. Noir sur blanc. Pour qu’elles ne soient jamais oubliées.

Je n’en ai jamais parlé à personne, publié chez Héliotrope, donc, est le fruit d’un appel à tous (toutes), auquel une centaine de femmes ont répondu. Des statuts Facebook, des textos, ou carrément des courriels, que l’autrice a pris soin de décomposer, pour en faire une création hybride, sorte de cadavre exquis, à la fois intime et anonyme, qui se lit comme un chœur, ou de la poésie. Une poésie trash, dure et lyrique à la fois, sensible et d’une violence inouïe. Par moments, c’est carrément insoutenable, soyez avertis. Peut-être à cause du nombre. Des détails. Ou des silences. Toujours est-il que ça fesse.

FAIRE « HISTOIRE »

Pour quoi faire, au fait ? Dans la foulée de #metoo, l’autrice, féministe et militante a réalisé combien ces paroles de femmes, certes immensément courageuses, sont néanmoins « fuyantes », éphémères parce que virtuelles, bref, fugaces, « dès qu’elles disparaissent de la toile », explique-t-elle en entrevue. 

Or Martine Delvaux voulait que cela « fasse histoire ». Ou comme le dit si bien une femme dans le livre : « que cela ne reste pas lettre morte ». Autrement dit, pour les plus militants parmi nous : pour que « la révolte des lettres mortes commence ici ».

Les paroles des femmes se suivent et se ressemblent, vous l’aurez compris, sans transition, mais avec rythme et un fil bien établi : d’abord par une certaine chronologie (« j’avais 4 ans », « j’avais 6 ans »), puis dans les lieux décrits (ici une chambre, là une université, un bureau ou un lit), et bien sûr dans le profil des agresseurs : un frère, un cousin, un père, un conjoint. Sauf erreur, une seule victime a été ici agressée par des femmes. « La majorité de mes agressions a été faite par des filles », écrit-elle.

Et il y a de tout, en quantité, par-dessus le marché : des mains aux fesses à l’agression armée, du « sexisme ordinaire » à l’« agression sexuelle », en passant par les insultes, les insistances et la violence. On sent beaucoup de peine, de honte, de rage. De difficulté à parler. À trouver les mots. À se faire entendre. Ou pas du tout.

Un rare « je n’ai pas été gravement traumatisée », détonne en effet dans le lot. Mais cela importe peu, tous sont mis sur un pied d’égalité. Et c’est voulu, insiste Martine Delvaux. 

Car tous s’inscrivent dans un même « climat » : « un climat qui sexualise les femmes, qui les présente comme de la chair à canon de la sexualité », dénonce-t-elle. « Si on continue de penser que la violence sexuelle, ça se passe dans un champ, avec des inconnus qui nous violent, et nous laissent quasiment mortes, on ne va jamais s’en sortir. » 

Parce que la violence sexuelle se décline de mille et une façons. C’est précisément ce que le livre dit et décrit : « voici ce avec quoi on vit ».

EN FINIR AVEC LE CLIVAGE

Martine Delvaux ne le cache pas, elle sait qu’elle ne fait pas l’unanimité. Que ses propos ont le don de diviser l’opinion. Et la publication de ce livre ne devrait pas faire exception.

Car s’il y a un sujet qui divise, c’est bien celui de la violence faite aux femmes. 

Cela dit, à ses yeux, il s’agit surtout d’une « fausse polarisation » : « La polarisation, c’est la manipulation du discours public, rétorque-t-elle. Quand on veut polariser, on s’organise pour commenter le discours en tronquant, en déformant, en citant mal. » Quoi qu’en pensent ses détracteurs, « moi, j’écris en nuances, avec une stratégie narrative, lyrisme, fait-elle valoir. Ce serait vraiment bien que ceux qui tombent dans le panneau de la polarisation sachent qu’ils sont instrumentalisés… »

Cela étant dit, elle glisse au passage que depuis peu, « et c’est nouveau », celle qui est une habituée des courriels haineux reçoit aussi des mots d’« appréciation », de « remerciements », d’hommes la remerciant de les aider à se « remettre en question » et de « ranimer la conversation ». Et elle s’en félicite.

Parlant de « conversation », c’est le but de ce livre, justement. Qu’on en parle. Alors, parlons-en.

Lancement le dimanche 8 mars dès 18 h, au bar du Théâtre La Licorne.

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