Sondage/Les jeunes et la politique

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Les 18-30 ans ne sont pas dépolitisés, loin de là. Toutefois, la gestion par décret de la pandémie et le fait que les enjeux qui les préoccupent ne semblent pas pris au sérieux étiolent leur confiance dans le système politique. Un dossier de Valérie Simard et d'Alice Girard-Bossé

Des jeunes inquiets qui se sentent peu entendus

Moins mobilisés par l’éducation, marqués par la pandémie et plus centrés sur eux-mêmes en l’absence d’un projet de société enthousiasmant, les jeunes Québécois ont l’impression d’être un peu laissés pour compte par les partis politiques, à six mois des élections provinciales.

En 2018, La Presse avait demandé à la firme Ipsos un coup de sonde sur l’engagement social et politique des 18-25 ans1. Quatre ans plus tard, à la mi-mars, le sondage web a été reconduit auprès de 500 Québécois, cette fois âgés de 18 à 30 ans. Bien que les résultats ne montrent pas de changement majeur, des constats se dressent et des tendances se confirment. La pandémie fait aussi sentir son effet.

Intéressés, mais se sentant peu écoutés

Les jeunes électeurs se disent intéressés par la politique canadienne (63 %), québécoise (59 %) et municipale (45 %), mais seulement 14 % des 18-30 ans estiment que les partis politiques portent beaucoup d’attention aux enjeux qui les intéressent.

Selon le directeur général d’Ipsos Québec, Sébastien Dallaire, cela démontre un sentiment d’aliénation envers le système politique. « La santé mentale, c’est important pour eux, l’environnement aussi, et ce ne sont pas des enjeux qui sont traités avec sérieux par les gouvernements actuels, constate-t-il. Ce n’est pas étonnant de voir qu’ils n’ont pas trop confiance aux partis politiques. »

Une tendance qui était déjà bien amorcée et qui pourrait se répercuter sur le taux de participation des jeunes aux prochaines élections générales provinciales prévues le 3 octobre.

Valérie-Anne Mahéo, professeure adjointe au département de science politique de l’Université Laval, a étudié ce phénomène dans le cadre de l’écriture du livre Le nouvel électeur québécois, qui doit paraître à l’automne.

« En 2018, les jeunes avaient encore moins tendance à voter par rapport aux groupes plus âgés que dans les années précédentes », constate celle qui étudie la socialisation et le comportement politique. « Est-ce qu’on verra en 2022 une continuité de cette tendance ? Est-ce que les partis politiques seront capables de les intéresser avec leur programme ? Est-ce qu’il va y avoir des enjeux qui vont les rejoindre dans ce qui sera discuté ? Ce sera un gros enjeu de mobiliser les jeunes lors de ces élections. »

Moins de place à la discussion dans un Québec « divisé »

Qualifiant le Québec de divisé (33 % des répondants), les 18-30 ans semblent un peu moins attachés à la démocratie et à la discussion. En tout, 76 % considèrent la démocratie comme très importante, un recul de 6 points de pourcentage par rapport à 2018. La discussion, elle, passe de 77 % à 71 %.

Il s’agit d’une faible baisse, certes, mais ces résultats inquiètent Stéphanie Gaudet, professeure à l’Université d’Ottawa et directrice du Centre interdisciplinaire de recherche sur la citoyenneté et les minorités (CIRCEM). « C’est préoccupant, parce que c’est en lien aussi avec les modes de manifestation », observe celle dont les travaux de recherche portent sur les pratiques d’éducation citoyenne démocratique.

Le sondage montre que la discussion comme façon de défendre ses idées est en baisse comparativement à 2018. La manifestation, elle, prend du galon, ce qui pourrait être un effet des manifestations contre les mesures sanitaires, avance Sébastien Dallaire. Il faut préciser que si la discussion a fait un pas de recul, c’est probablement aussi parce que la pandémie a réduit les contacts sociaux.

« À la base de la démocratie, la discussion est très importante, souligne Mme Gaudet. La démocratie repose sur un Parlement. C’est parlementer, discuter ensemble, trouver des solutions communes. Les manifestations ne sont pas des lieux de discussion, ce sont des lieux d’expression de nos convictions. Un petit peu comme les réseaux sociaux. »

Valérie-Anne Mahéo émet toutefois un bémol. « Ce n’est pas du tout clair que les jeunes seraient moins enclins à soutenir la démocratie et plus enclins à soutenir des leaders forts. Ce n’est pas ce qui ressort de la littérature internationale. » Ce léger déclin pourrait s’expliquer selon elle par la pandémie. « Ça fait deux ans que le gouvernement gouverne par décret, ça fait deux ans qu’on est en gestion de crise. On a l’impression qu’on n’est pas dans un contexte démocratique habituel. »

« Les jeunes ont beaucoup souffert des mesures sanitaires, ajoute Stéphanie Gaudet. Ils ont un discours très critique à l’égard des gouvernements, donc c’est sûr que ça doit avoir un reflet sur leur conception de la démocratie. »

Le professeur Jacques Hamel, qui a enseigné la sociologie à l’Université de Montréal pendant des années avant de prendre sa retraite en juillet dernier, a constaté chez ses plus récents étudiants une baisse d’intérêt pour la discussion.

« Sur des questions sensibles, par exemple sur le port du voile. J’ai trouvé ça assez étrange que dans un département de sociologie où, en principe, on étudie la société, on s’interdise de discuter du sujet. C’était assez paradoxal. On peut ne pas être d’accord, mais on peut débattre. »

— Jacques Hamel, professeur retraité de sociologie

La santé devant l’environnement

L’environnement ne trône pas au sommet des enjeux électoraux qui sont déterminants pour le vote des jeunes. C’est plutôt la santé qui les préoccupe le plus (33 %), suivie de l’économie (25 %), ex æquo avec l’environnement (25 %). L’éducation, qui était en tête de liste en 2018, connaît une baisse de 17 points et est reléguée au quatrième rang.

La distance plus grande avec le printemps érable de 2012 ainsi que la pandémie peuvent expliquer ces changements, selon Sébastien Dallaire. « Pour les jeunes, la pandémie a été particulièrement difficile », rappelle-t-il à son tour. Selon lui, ce n’est pas tant l’accès aux opérations à long terme qui les préoccupe que la protection du système de santé dans le contexte actuel et la santé mentale. Tout comme l’économie, avec la montée de l’inflation.

Typiquement, la santé et l’économie sont les enjeux prioritaires cités par les électeurs, peu importe leur groupe d’âge, souligne Valérie-Anne Mahéo. Et puisqu’ils ne pouvaient sélectionner que deux possibilités, dans ce sondage, et que ce dernier a été réalisé dans le contexte de la pandémie, il ne faut pas penser que les enjeux qui obtiennent des résultats moins élevés ne sont pas importants pour eux, précise-t-elle.

Souvent l’engagement des jeunes est pluriel et momentané, constate Jacques Hamel. « L’appui des jeunes est infléchi par l’actualité », dit-il.

« Il n’y a pas de projet de société qui allume les jeunes. Le sondage dit ça aussi. Il n’y a pas d’agent de motivation. Ils sont tous divisés, font leurs petites affaires très individuellement. »

— Stéphanie Gaudet, professeure à l’Université d’Ottawa

« Peut-être qu’on voit une démobilisation, ajoute-t-elle. Ce qui mobilise les gens, c’est un projet politique. Dans les dernières années [avec la pandémie], on est dans de la gestion, on n’est pas dans la politique. »

Des jeunes inquiets face à l’avenir

Sans surprise, l’avenir est une source d’inquiétude pour les 18-30 ans. Pas moins de 46 % des répondants se disent inquiets lorsqu’ils pensent à l’avenir, alors que 42 % montrent de l’optimisme.

« Sur la question de l’environnement, il y a de quoi être inquiet quand on lit le plus récent rapport du GIEC, lance Jacques Hamel.

« J’observe chez les jeunes que dans certains cas, on dirait qu’ils ont jeté l’éponge. Ils se disent quasiment : “Je vais voir la fin de l’humanité parce que l’État ne bouge pas, les gouvernements ne font rien.” »

— Jacques Hamel, professeur retraité de sociologie

« Je pense qu’ils ont raison d’être inquiets, ajoute-t-il. Ils sont assez réalistes de ce point de vue là. »

La souveraineté, pas une priorité

Voilà d’autres données qui ne surprendront personne : la souveraineté peine toujours à se frayer un chemin chez les jeunes générations. Seulement 16 % des répondants ont retenu l’indépendance comme le scénario privilégié quant à l’avenir du Québec dans le Canada. En revanche, 20 % aimeraient que le Québec demeure à l’intérieur du Canada tout en obtenant plus de pouvoirs et 46 % optent pour le statu quo. Ils sont aussi moins nombreux à se considérer comme québécois (48 %, soit 7 points de moins qu’en 2018). De plus, 66 % pensent faire leur vie au Québec, une baisse de 6 points.

« Il y a une perte de traction non seulement envers l’option souverainiste, mais aussi envers toute la discussion sur le nationalisme québécois », remarque Sébastien Dallaire.

Si les questions constitutionnelles intéressent peu les jeunes, c’est notamment parce qu’ils n’ont pas connu les référendums et les grands débats sur la souveraineté, explique Valérie-Anne Mahéo. Mais, c’est aussi parce qu’il s’agit d’une génération beaucoup plus diversifiée que les précédentes.

« Il y a de plus fortes chances que les jeunes qui ont été sondés soient nés à l’extérieur du Canada, qu’il y en ait plusieurs qui parlent d’autres langues que le français et même si ce sont des jeunes qui sont nés au Québec de parents de la majorité blanche et francophone, ils vont quand même côtoyer aussi beaucoup plus de diversité que les baby-boomers et les générations X. » Ayant grandi dans un monde mondialisé, ils sont aussi plus enclins à envisager de s’établir ailleurs.

Taux de participation électorale des jeunes

Lors des élections provinciales du 1er octobre 2018, le taux de participation des moins de 35 ans a été de 53,41 %, alors que le taux de participation des 35 ans et plus était de 69,68 %, un écart de 16,27 points de pourcentage.

Source : Directeur général des élections du Québec

Méthodologie du sondage

Un échantillon de 500 Québécois âgés de 18 à 30 ans a été interrogé en ligne du 14 au 21 mars 2022. Les résultats sont précis à plus ou moins 5,0 points de pourcentage (19 fois sur 20).

La parole aux jeunes adultes

Ils sont jeunes. Ils sont aux études ou sur le marché du travail. Ils sont particulièrement préoccupés par les inégalités sociales et leur avenir au sens large. Mais ils demandent qu’on les entende et qu’on les écoute davantage. La Presse est allée à la rencontre de plusieurs jeunes adultes pour comprendre la nature de leur rapport à la politique.

Christophe Baril

Occupation : acteur

Âge : 29 ans

Ville : Montréal

D’abord fortement intéressé par la politique, Christophe Baril a commencé à s’en détacher récemment. « J’ai participé aux manifestations [du printemps érable] en 2012. On avait plein d’espoirs, et j’ai l’impression qu’on a été un peu désabusés. Je suis encore intéressé par la politique, mais je prends plus mes distances avec elle », dit-il.

Il juge que la politique actuelle s’intéresse peu aux enjeux qui touchent les jeunes. « J’ai l’impression qu’il y a seulement un ou deux partis, comme Québec solidaire, qui s’y intéressent. À mon avis, la CAQ ou le Parti libéral tentent d’aller chercher davantage des votes des gens de 50 à 60 ans », dit-il.

Chose certaine, l’environnement devrait être au cœur des débats, selon lui. « C’est l’enjeu de notre génération et des générations futures. » Quand il pense à l’avenir, il est préoccupé. « Avec tout ce qui se passe encore en Ukraine, avec la gestion de la pandémie et à voir l’environnement qui se fait délaisser de plus en plus, je suis inquiet », laisse-t-il tomber.

Il s’inquiète également de l’avenir de la langue française. « J’observe une perte d’intérêt pour la culture québécoise. La langue, c’est le moteur d’une culture, alors si on n’a pas d’intérêt pour la culture, la langue va éventuellement perdre son attrait », dit-il.

Marie-Noëlle Simard

Occupation : étudiante en enseignement en adaptation scolaire et sociale à l’Université du Québec à Rimouski (UQAR)

Âge : 27 ans

Ville : Pont-Rouge

C’est lors des dernières élections fédérales, en septembre 2021, que Marie-Noëlle Simard a commencé à s’intéresser à la politique. « Avant, je ne savais pas à quoi servait le pouvoir d’un premier ministre. La politique, ça ne me touchait pas vraiment », dit-elle. La présence médiatique des politiciens lors de la pandémie lui a permis de s’informer davantage.

Depuis sa majorité, elle se rend religieusement aux urnes, pour faire son devoir de citoyenne. « J’annulais souvent mon vote, mais aux dernières élections, j’ai vraiment pris le temps de comparer les partis », dit-elle.

Quand on lui demande les deux enjeux électoraux qui lui tiennent le plus à cœur, elle répond sans hésiter l’éducation et les inégalités sociales. « J’ai toujours eu le besoin de sentir que tout le monde est égal. C’est dans mes valeurs. » Elle estime que tous les immigrants qui le désirent devraient pouvoir venir au Québec. « On est capables de s’adapter à pas mal d’affaires et on est dans un pays libre », affirme-t-elle.

La jeune femme n’est pas inquiète pour l’avenir de la langue française. « Il y a tellement de Québécois qui ne parlent pas anglais que je pense que le français va continuer de rester. Le français fait partie de nous. J’ai l’impression que ça ne changera pas », affirme-t-elle.

Elle est toutefois préoccupée par l’avenir. « Quand on a l’impression de s’en sortir avec la COVID-19, ça va mal ailleurs dans le monde. On ne sait pas comment ça va finir avec la guerre en Ukraine, mais ça pourrait finir par nous toucher », dit-elle.

Tony Great

Occupation : monteur de ligne de télécommunication

Âge : 24 ans

Ville : Repentigny

« La démocratie, ça permet de refléter les valeurs de la société, ce qu’elle protège et ce qu’elle valorise », juge Tony Great. Selon lui, le fait d’aller voter est un « minimum ». « Je veux défendre mes idées et je ne veux pas regretter si je ne le fais pas », dit-il.

Pendant la période des élections, il lit le journal et écoute la radio. « Mais sinon, je ne prends pas le temps d’aller m’informer par moi-même », dit-il. Il estime que les jeunes sont souvent laissés à eux-mêmes pour aller chercher l’information. « Si on en parlait plus à l’école, peut-être que ça éveillerait un intérêt. »

Aux prochaines élections, le gouvernement devrait prioriser la santé et les inégalités sociales, pense-t-il. « Au Québec, le système de santé est un des grands points forts. On ne doit pas le prendre pour acquis. »

Il souhaite passer sa vie au Québec, une province qu’il juge « confortable ». « Ici, je n’ai jamais peur. Je sais que si j’ai besoin de quelque chose, je vais l’avoir. Si je suis curieux sur un sujet, je peux trouver l’information. Je peux m’impliquer dans ce qui m’intéresse. Tout est accessible », détaille-t-il.

Delphine Marchand-Roy

Occupation : étudiante en action culturelle à l’Université du Québec à Montréal (UQAM)

Âge : 21 ans

Ville : Montréal

Delphine est très intéressée par le militantisme et la mobilisation de rue, mais elle estime que la politique actuelle n’est pas accessible à tous. « Je vote tout le temps, mais ça m’arrive d’annuler mon vote, parce que je ne considère pas que les entités politiques me représentent », dit-elle.

Plusieurs partis n’arrivent pas à « rejoindre la jeunesse », soutient-elle. « À part Québec solidaire, je ne vois pas tant de mobilisations pour les jeunes. La CAQ essaie de toucher plus les vieux et les boomers, et le Parti québécois ne semble plus s’intéresser aux jeunes comme avant », lance-t-elle.

Quand on lui pose la question, l’étudiante se décrit fièrement comme québécoise. Pas canadienne. « Le Canada, ça ne sera jamais mon pays. Ma culture, c’est le Québec et absolument rien d’autre », s’exclame-t-elle.

Son idéal est un monde égalitaire autant pour les femmes que pour les minorités. « C’est important de mettre des politiques qui vont en ce sens », dit-elle. Elle estime que le Québec ne devrait pas restreindre le droit aux nouveaux arrivants de venir s’installer dans la province. « S’il y a une bonne insertion et des politiques sociales adaptées, tout nouvel arrivant va se sentir accueilli chez lui comme il le mérite », conclut-elle.

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