L’enfant dans la pièce

La pénurie de médicaments pour enfants a choqué bon nombre de gens. La crise dans les urgences pédiatriques en a également bouleversé plus d’un. Ultimement, c’est l’absence de sentiment d’urgence qui nous heurte davantage.

Bien que la pénurie pharmacologique tire à sa fin, tout indique que la situation des hôpitaux devrait quant à elle se prolonger ; l’hiver n’est même pas entamé. En outre, si l’hypothèse d’un affaiblissement temporaire de l’immunité dû à la COVID-19 s’avère, nous devrons immanquablement prévoir d’importants aménagements pour que nos petits, désormais abonnés aux maladies respiratoires, puissent être soignés adéquatement.

Quoique préoccupantes à elles seules, ces deux « crises » cachent en réalité une crise plus profonde de l’enfance dont on devinait déjà l’existence en 2019 et que la COVID-19 n’a qu’aggravée.

De génération en génération, les parents souhaitent offrir une vie meilleure à leur descendance. Certains n’hésitent pas à s’expatrier et à faire face à tous les dangers pour y parvenir. Dans nos sociétés privilégiées, nous voyons poindre la fin d’un progrès que nous croyions sans borne. Ça craque de partout. Tous les indicateurs démontrent que nos avancées reculent… Pour la première fois depuis des décennies, l’espérance de vie décline. Et le portrait n’est guère plus rose en matière d’économie, d’éducation ou d’environnement.

Les sources d’inquiétude ne manquent pas : la vétusté des écoles et leur ventilation inadéquate, les préoccupants retards scolaires, l’attrait croissant du travail précoce, l’abus des écrans, la montée de la violence, l’omniprésence des armes à feu, l’anxiété rampante, l’accès déficient à la première ligne et aux places en garderie, la surmédication, l’isolement, l’obésité et la sédentarité qui gagnent du terrain, la pollution, la crise des opioïdes et tutti quanti.

Malheureusement, tous ces sujets sont abordés à la pièce. L’indignation en vase clos justifie notre indéfendable laxisme. Comme le suggérait récemment un père excédé, nous vivons dans « une société qui se fout de ses enfants ».

Une prise de conscience s’impose.

Après tout, la grandeur d’une société se mesure à l’aune du traitement qu’elle réserve aux plus vulnérables.

Comme chacun le sait, nous ne faisons pas très bonne figure. Les aînés et les enfants ressortent de loin les plus affectés par cette pandémie. Ces deux groupes partagent plusieurs similitudes et gagneraient à faire front commun pour défendre leurs droits.

Or, il existe une différence notoire entre les aînés et les enfants : ces derniers ne votent pas.

Dans une société où l’individualisme et l’électoralisme tirent parfois les ficelles, il va sans dire que cette absence de voix au chapitre nuit incommensurablement à nos jeunes et à leur avenir.

Tôt ou tard, la pertinence d’un débat entourant le vote des enfants se posera avec vigueur, mais d’ici là, chacun d’entre nous a le devoir d’exercer son droit de vote en mettant les enfants d’abord.

Évidemment, cette responsabilité incombe également aux élus.

Le maire de Québec, Bruno Marchand, a d’ailleurs installé une petite chaise dans la pièce des caucus, et ce, afin de rappeler l’importance de tenir compte du bien-être des générations futures.

En réalité, il s’agit d’une tâche plus ardue qu’il n’y paraît. Trop souvent, les décideurs ont les mains liées par les erreurs du passé ; ils sont prisonniers d’un quotidien qui accapare tout.

Qui plus est, les ardeurs des élus visionnaires se voient fréquemment freinées par la force quasi immuable que constitue le statu quo. Malgré leurs sempiternels appels au changement, les électeurs préfèrent de loin le réconfort de la continuité. Aller à contre-courant de cette inertie nécessite un courage politique titanesque.

Cela dit, si le monde que nous souhaitons léguer à nos enfants devient un enjeu public prioritaire, il en ira bien autrement.

À nous d’y voir.

Lisez la lettre d’Alexandre Meterissian : « Une société qui se fout de ses enfants »

Lisez la chronique d’Isabelle Hachey : « Un Québec pas si fou de ses enfants »

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