Chronique

La solitude pour la multitude

Je n’ai pas de compagne. Pas d’enfants. Hormis mes précieux collègues de travail, durant le prochain mois, je ne verrai personne. Octobre sera une longue journée de pluie. Un automne privé de mes amis.

Je ne suis pas le seul à être seul. Plein d’aînés, d’ados, d’adultes, de mômes se morfondent aussi. Car on n’a pas besoin d’être seul pour être seul. Il suffit qu’il nous manque une personne. Une seule. Celle avec qui on voudrait être.

C’est le défi du prochain mois. La solitude pour la multitude.

OK. Il ne faut pas socialiser.

Socialiser, c’est être en contact avec les autres. Au restaurant, au théâtre, au cinéma, au hockey. C’est tous ces gens qui se sont donné rendez-vous, à la même place que nous, sans être avec nous, mais qui le sont, quand même. Tous ces gens que l’on croise, que l’on frôle, que l’on sent. Tous ces gens, avec qui l’on partage les mêmes goûts, les mêmes passions, la même culture. Avec qui on devient un tout. Une assemblée, une foule. Applaudissant une actrice, un chanteur, une humoriste, un joueur. Et le rendant plus fort.

Dieu qu’on s’ennuie de ça.

Ce n’est pas tout. Le défi est encore plus grand. Non seulement il ne faut pas socialiser, mais il ne faut pas fraterniser non plus. Non seulement on ne peut pas sortir, mais on ne peut pas accueillir non plus. Pas de souper entre amis. Pas de pique-nique au parc, pas de partie de cartes, pas de pyjama party, pas de coucou en passant. On reste avec les gens de la même adresse. Et s’il n’y a que notre chat, à notre adresse, on reste avec notre chat. C’est comme ça.

C’est triste. Mais ça vaut la peine. Car cette tristesse ne se compare pas à l’infini chagrin des gens en deuil d’un amour ou d’un ami à cause de la COVID-19. Vous savez, ces chiffres quotidiens, qui ne nous font plus rien, parce que ça fait des mois qu’on les entend. Que ce soit 1, 50 ou 100, le nombre de décès, c’est toujours trop, quand c’est la personne dont on avait besoin.

Voilà pourquoi il faut accepter ce confinement réinventé.

Au printemps, il n’y avait rien. Pas de travail, pas d’école, pas de plaisir. Cet automne, il y a du travail, il y a de l’école, mais pas de plaisir. Que voulez-vous, il fallait choisir…

Absence de doux moments, de belles soirées, de rires complices et de temps animé. Pour 28 jours, au moins. Pour plus longtemps, peut-être. Mais peu importe la durée, ce sera toujours moins long que l’éternité. Sans cet effort, sans cet isolement passager, plus de gens seront privés de leurs amis, de leurs proches, pour l’éternité. Ça pourrait même être nous. On ne se bat pas seulement contre un virus. On se bat contre la mort. C’est pour ça qu’il ne faut pas niaiser.

On met son masque, au nom de la plus grande des libertés : la liberté d’exister. On reste chez soi, au nom de la plus grande des fraternités : la fraternité des humains. Ceux qu’on connaît et ceux qu’on ne connaît pas. Parce qu’on fait tous partie des deux groupes, pour les uns et pour les autres.

Maintenant, on a le choix. Soit on maudit notre solitude et on déprime notre vie. Soit on se réjouit de notre solitude et on se divertit.

Lire, c’est rencontrer du monde, au plus profond de soi. Un bon film, une bonne série, c’est aussi recevoir de la visite, dans le salon de nos pensées. Écouter de la musique, c’est remplir sa maison d’émotions.

Moustaki l’a chanté : « Non, je ne suis jamais seul, avec ma solitude. »

Octobre peut être une longue journée de pluie, mais peut être aussi un chemin de couleurs. Bien sûr, des feuilles aux arbres, ce n’est pas un arc-en-ciel, mais au moins on peut les atteindre, mais au moins on peut les toucher. Et quand elles tombent, on peut les ramasser. Et ramasser nos souvenirs et nos regrets, aussi.

Je sais, ça ne nous tente pas. Je sais, on est tannés. Il faut encore se cloisonner. On a envie d’être délinquants. D’envoyer promener le gouvernement. Mais si on ne suit pas le plan, ce n’est pas le gouvernement qu’on va faire sauter, ce sont les hôpitaux.

Cet endroit que la plupart d’entre nous ont la chance d’éviter. Cet endroit où des gens se battent pour leur vie ou celles des autres, pendant que nous, on fait nos petites affaires. C’est tous les jours un combat, là-bas. Il ne faut pas que ce soit tous les jours une défaite, là-bas, à cause de nous.

Pour les aider, il suffit de rester sur notre canapé. Il y a des sacrifices plus grands que ça.

Un peu de solitude pour le bien de la multitude.

Un voyage intérieur de quelques semaines. Même pas besoin d’aller en Inde. On peut vivre son moine tibétain à Montréal, à Québec ou à Laval.

C’est pour les jeunes que ce sera le plus difficile. Quand on est jeune, on n’est pas une île, on est une ville. On est une gang.

Profitez-en pour passer du temps avec vous-même.

Profitez-en pour apprendre quelque chose d’encore plus important que les maths ou la chimie.

Apprendre qui vous êtes.

Apprendre que l’important, ce n’est pas ce que la gang pense de vous.

Apprendre que l’important, c’est de penser aux autres. De penser à la grosse gang. Celle qui inclut tout le monde.

Sur ce, bon week-end, tout le monde !

Je suis réclamé. Mon chat veut bouffer.

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