COVID-19 Vaccination

QUE LE MARATHON COMMENCE

Ça y est : Santé Canada a donné le feu vert à un premier vaccin. Ottawa espère immuniser l’ensemble de la population d’ici septembre 2021. La campagne de vaccination qui doit commencer la semaine prochaine s’annonce comme un casse-tête logistique. « Nous avons un hiver difficile à traverser, mais je sais qu’ensemble, nous allons réussir à nous en sortir », a souligné le premier ministre Justin Trudeau.

Vaccin de Pfizer-BioNTech

un moment charnière dans LA bataille

Se réjouissant de l’approbation du vaccin de Pfizer-BioNTech par Santé Canada, Justin Trudeau rappelle néanmoins que le pays n’est pas sorti de la crise

Ottawa — Apparemment, Noël arrive un peu plus tôt en 2020. Après avoir passé des mois à enchaîner les mauvaises nouvelles, le gouvernement fédéral en avait enfin une bonne à annoncer : Santé Canada a donné son feu vert à un premier vaccin contre la COVID-19, un moment charnière dans cette bataille qui dure depuis neuf mois.

Mine de rien, le Canada vient de damer le pion aux États-Unis et à l’Union européenne – on s’attendait à ce qu’ils donnent leur sceau d’approbation au vaccin de Pfizer-BioNTech avant Ottawa – et il devient le troisième pays au monde, après le Royaume-Uni et le royaume de Bahreïn, à l’autoriser. On se fixe par ailleurs une cible ambitieuse de vaccination de l’ensemble de la population d’ici septembre 2021.

On n’était donc pas peu fier de cette réalisation au gouvernement, à commencer par le premier ministre, à qui les partis de l’opposition reprochaient depuis des semaines de ne pas avoir un plan à la hauteur du défi. « C’est quelque chose de gros, et c’est une bonne nouvelle pour les Canadiens », s’est réjoui Justin Trudeau à la Chambre des communes.

« Nous ne sommes toutefois pas sortis [de la crise] encore. Nous avons un hiver difficile à traverser, mais je sais qu’ensemble, nous allons réussir à nous en sortir », a-t-il ajouté lors de la période de questions, peu après que les responsables de Santé Canada eurent confirmé que cette lueur d’espoir brillait enfin à l’horizon.

L’agence fédérale a donné son aval par arrêté d’urgence, ce qui lui a permis de procéder en mode accéléré, sans pour autant faire de compromis sur le plan de l’innocuité, de l’efficacité et de la qualité, et en s’appuyant « uniquement sur la science et sur les faits », a plaidé en conférence de presse le DMarc Berthiaume, directeur du Bureau des sciences médicales de Santé Canada.

Et comment le Canada s’y est-il pris pour battre de vitesse Américains et Européens ? « On est juste meilleurs », a initialement réagi avec un sourire la Dre Supriya Sharma, conseillère médicale principale chez Santé Canada. Puis, sur une note plus sérieuse, elle a précisé que le verdict était tombé après que les experts avaient reçu une dernière information qu’ils ont analysée « tard [mardi] soir ». Selon les conditions de l’autorisation, le fabricant est tenu de surveiller continûment l’utilisation du vaccin et de signaler à Santé Canada tout effet secondaire, ainsi que tout problème d’innocuité éventuelle. Pour le moment, le vaccin est approuvé pour les personnes âgées de 16 ans et plus, les essais cliniques réalisés avec des participants de 12 à 15 ans n’ayant pas été suffisamment concluants, a indiqué le DBerthiaume.

En route vers la campagne de vaccination

Le Canada doit recevoir quelque 249 000 doses du vaccin Pfizer-BioNTech dans les jours à venir. Vendredi, 30 000 doses décolleront de la Belgique, où se trouve l’usine de Pfizer qui les fabrique, pour arriver lundi sur le sol canadien. Elles seront ensuite expédiées dans les provinces et territoires au prorata de leur population.

Même si le gouvernement Trudeau a fait l’acquisition de 20 millions de doses et pris une option d’achat sur 56 millions de doses additionnelles de ce vaccin, il croise les doigts pour qu’un autre des trois vaccins parmi les plus prometteurs arrive vite. Celui de Moderna est « le plus avancé », a signalé le DBerthiaume – les deux autres sont ceux d’AstraZeneca et de Johnson & Johnson.

Dans son plan de vaccination discrètement rendu public mercredi, Ottawa a clarifié sa cible d’immunisation à l’échelle du pays : « en attente de l’autorisation réglementaire, le Canada est bien positionné pour immuniser 100 % de la population en 2021 », peut-on y lire.

Le premier ministre Trudeau avait auparavant affirmé que « la majorité » (50 %) de la population devrait être inoculée d’ici la fin septembre.

Mais pour en revenir au moment présent, l’homologation par Santé Canada signifie que le coup d’envoi à la campagne sera donné de façon imminente. La distribution du vaccin de Pfizer-BioNTech pose un défi logistique de taille, puisqu’il doit être conservé à une température d’environ - 70 °C.

Tout est cependant en place, et la machine a été rodée, a assuré le major général Dany Fortin, maître d’œuvre de l’opération de vaccination pancanadienne. « Nous commençons un effort de mobilisation à grande échelle […] D’ici lundi, le Canada pourra compter sur 14 [sites de vaccination] », a-t-il déclaré en conférence de presse, ajoutant qu’une répétition générale impliquant 100 personnes se tiendrait vendredi.

Les allergies britanniques

Les représentants de Santé Canada ont voulu se montrer rassurants au moment de commenter l’expérience au Royaume-Uni, où, quelques heures après la mise en branle de la campagne de vaccination, les autorités sanitaires ont déconseillé d’inoculer le vaccin de Pfizer-BioNTech à des gens qui ont déjà eu des réactions allergiques graves.

Informées de cet avertissement, les autorités sanitaires canadiennes sont en train de « revoir l’information sur ces cas-là » et vont émettre « rapidement des recommandations spécifiques sur la possibilité de réaction allergique », a affirmé le DBerthiaume.

Soulignant qu’il y a eu seulement deux cas de réactions allergiques sur un total de 44 000 essais cliniques – dont un cas observé alors qu’un placebo avait été administré –, il a noté que de telles réactions n’étaient pas inhabituelles en cas d’injection d’un corps étranger comme un vaccin.

« La situation va beaucoup s’améliorer »

À la lumière de cette annonce, du côté de l’Assemblée nationale, le premier ministre François Legault s’est lancé dans les calculs.

« Il y a trois groupes qu’il est important de vacciner le plus rapidement possible : les CHSLD, les employés du réseau de la santé puis les RPA [résidences pour personnes âgées]. Une fois qu’on va avoir vacciné ces trois groupes-là, la situation va beaucoup s’améliorer au Québec. »

— François Legault, premier ministre du Québec, en conférence de presse

En considérant qu’« à peu près 70 % des décès » surviennent dans les CHSLD et dans les RPA, « si, demain matin, tous les gens dans les CHSLD et les RPA sont vaccinés, ça veut dire qu’on vient d’éliminer 70 % des décès », a avancé le premier ministre Legault.

Le Québec doit recevoir de 55 000 à 57 000 doses d’ici le 4 janvier. À raison de deux doses du vaccin, c’est donc dire qu’environ 28 000 ou 29 000 personnes devraient être inoculées au Québec d’ici la fin de l’année.

La pharmaceutique américaine Pfizer a des normes très rigoureuses pour son fragile vaccin. Elle exige entre autres qu’il soit injecté à l’endroit où elle le livre, et place dans chacune de ses boîtes un enregistreur de données afin de s’en assurer.

Dès lundi, cinq de ces boîtes arriveront dans les deux CHSLD qui ont été identifiés par le gouvernement du Québec, l’un à Montréal et l’autre à Québec. C’est sur place que commencera la vaccination des résidants et du personnel.

Le ministre québécois de la Santé, Christian Dubé, a affirmé qu’à partir du 21 décembre, il y aurait 20 sites de vaccination au Québec, dont la moitié en CHSLD. « Alors, ça permet de vacciner sur place les personnes qu’on voulait prioriser », a-t-il soutenu.

L’enjeu de la vaccination sera à l’ordre du jour lors de la rencontre entre Justin Trudeau et ses homologues des provinces et territoires, jeudi.

— Avec La Presse Canadienne

L'opposition salue une « bonne nouvelle »

« C’est une bonne nouvelle, et les Canadiens ont besoin d’une bonne nouvelle à l’approche de Noël […]. Je pense aussi que c’est bien d’avoir des échantillons du vaccin de Pfizer, car cela nous permettra de tester nos systèmes [de distribution]. »

— Erin O’Toole, chef du Parti conservateur

« C’est un heureux développement, le vaccin est la seule clef vers une sortie de la pandémie. Mais la ligne d’arrivée est encore floue. Même si le vaccin est approuvé, le nombre de doses qui seront livrées au Canada est toujours très peu significatif. »

— Luc Thériault, porte-parole du Bloc québécois en matière de santé

« L’approbation du vaccin de Pfizer est une bonne nouvelle et on remercie les experts en matière de santé qui ont travaillé sur ce processus d’approbation. Tant qu’il n’y aura pas de vaccin pour tout le monde, le gouvernement doit faire plus pour assurer la sécurité des gens. »

— Jagmeet Singh, chef du Nouveau Parti démocratique

« C’est une excellente nouvelle. Ça nous donne espoir que l’année 2021 sera mieux que l’année 2020. En ce qui a trait à la distribution, j’espère que les critères ne seront pas de nature politique et que ce soit vraiment décidé par les scientifiques et les experts de santé publique. »

— Annamie Paul, cheffe du Parti vert

Le casse-tête de la vaccination

Distribution, désinformation, logistique : les défis que soulève la vaccination qui débutera la semaine prochaine sont nombreux au Québec

La chaîne de froid

« Le maintien de la chaîne de froid est un défi important », explique Nicholas Brousseau, médecin-conseil à l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ). Le vaccin produit par Pfizer et BioNTech doit être conservé à - 70 °C. « Ce sont les congélateurs que l’on a dans les hôpitaux ou dans les instituts de recherche, alors ce n’est pas facile de les transporter dans les régions éloignées », explique Cécile Tremblay, microbiologiste-infectiologue au CHUM. Pour le moment, les lots de vaccin de Pfizer ne pourront être déplacés d’un endroit à un autre, la vaccination se fera donc sur place dans des lieux déterminés en fonction de la clientèle ciblée. « Ça va prendre des congélateurs portatifs pour éventuellement pouvoir acheminer le vaccin dans des zones plus périphériques », dit la Dre Tremblay.

L’augmentation des contacts

Les personnes vaccinées vont se sentir immunisées et risquent d’augmenter les contacts à risque, affirme Benoît Mâsse, professeur à l’École de santé publique de l’Université de Montréal. « On ne sait pas si le vaccin est efficace pour réduire les risques de transmission, donc, même si vous n’avez pas de cas sévère, vous pourriez quand même contribuer à la transmission du virus », indique-t-il. La Dre Tremblay ajoute qu’il faut être prudent, parce qu’au moins une semaine doit s’écouler après la deuxième dose pour qu’on soit complètement protégé. « Ça va prendre plusieurs mois avant qu’on atteigne un taux de protection suffisant pour développer une immunité collective. D’ici là, il va donc falloir continuer d’appliquer nos mesures de prévention », dit-elle.

La désinformation

Deux travailleurs de la santé du Royaume-Uni ayant connu des réactions allergiques importantes ont mal réagi aux premières injections administrées mardi. C’est certain qu’avec les millions de personnes qui seront vaccinés, il y aura des effets secondaires indésirables chez certaines d’entre elles, explique M. Mâsse. « Il faut avoir beaucoup de transparence sur ces cas rares, surtout pour ceux qui ont des inquiétudes face à la vaccination », indique-t-il. La Dre Tremblay est aussi d’avis que la transparence est de mise, pour que les gens aient confiance. Si des évènements anecdotiques se produisent, la population doit en être informée, afin de réduire les campagnes de désinformation, ajoute-t-elle.

Les rappels

« Il y a une question de logistique de rappeler aux gens de revenir pour leur deuxième dose si on veut que la protection soit complète, affirme la Dre Tremblay. Il y a des gens qui vont y penser sans problème, mais pour d’autres personnes, il va falloir faire des rappels. » Le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec indique que le registre de vaccination prévoit l’inscription de tous les vaccins administrés au Québec et contiendra un calendrier prévisionnel qui permettra d’indiquer aux professionnels si une deuxième dose est requise et à quel moment.

Une forte protection après une seule dose

Le vaccin contre la COVID-19 fabriqué par Pfizer et BioNTech offre une forte protection contre la COVID-19 dans les deux semaines suivant l’administration de la première dose. Ces données significatives publiées mardi par la Food and Drug Administration ont démontré que le nombre de nouveaux cas de COVID-19 avait rapidement diminué après la première dose du vaccin, mais continué d’augmenter chez le groupe à qui on avait injecté un placebo. La protection commence donc plus tôt que ne l’avaient prévu Pfizer et BioNTech. « C’est la bonne nouvelle de la semaine », se réjouit Benoît Mâsse. Toutefois, la deuxième dose du vaccin semble essentielle pour permettre d’observer des effets protecteurs à long terme.

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