Saint-Ubalde — La grande générosité des gens de Saint-Ubalde a ébloui la famille d’Evlyne Haddad et de Hani Hreiz. Plus de 150 personnes ont contribué de près ou de loin à faire de ce parrainage un succès.
Lorsque Evlyne est tombée enceinte, le comité de parrainage n’a pas mis de temps à se réorganiser. Sa professeure de français a organisé pour elle un « shower ». « Tout le monde a travaillé très fort pour accueillir le bébé ! »
Le jour de l’accouchement, c’est Johanne Juneau, éducatrice spécialisée à la retraite, qui a gardé la petite Lamitta. « Sa maman lui avait expliqué qu’elle venait faire dodo chez Jojo. J’ai mis une photo de ses parents sur le frigo. Et tous les jours, je lui disais : “Papa, maman vont revenir.” Ç’a très bien été. Elle se sentait chez elle. Elle comprend tout et elle parle très bien français. » Un français avec un accent « gras » de Saint-Ubalde, observent en rigolant les gens du comité. « Elle s’est super bien intégrée à la garderie », confirme Annie Breault, conseillère municipale et cofondatrice de la garderie Les petites pousses.
Le matin de l’accouchement, un comité d’accompagnement est parti à 5 h de Saint-Ubalde. Même si Hani avait obtenu son permis de conduire et que le couple venait d’acheter une voiture d’occasion, il n’était pas question de le laisser conduire seul avec sa femme enceinte sur une chaussée enneigée. Le jour J, après deux fausses alertes, Loraine Denis et Nathalie Perreault ont accompagné Evlyne et Hani à l’hôpital à Québec. Il faisait - 30 ºC ce matin-là. Nathalie avait mis une belle peau de mouton sur la banquette arrière. Et une pellicule de plastique juste au cas où… « On est des femmes, on avait pensé à tout ! », dit Johanne, en riant.
À l’arrivée à l’hôpital, Nathalie s’est assurée que le couple puisse avoir un accès au WiFi. Evlyne tenait à partager ce moment heureux avec sa famille. Elle a pu joindre ses proches qui étaient au Liban par FaceTime. Après la naissance du bébé, la famille de Hani, qui a été parrainée à Pont-Rouge, à 60 km de Saint-Ubalde, est venue passer quelques jours avec les nouveaux parents. « Nous, on se sentirait envahis. Mais eux, ils ont besoin de ça, constate Rachel. Quand ils accouchent, ça prend plein de monde autour ! »
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Le jour de notre passage à Saint-Ubalde, Evlyne et Hani sont allés présenter leur bébé à Margot Moisan et lui exprimer leur reconnaissance. En prêtant une maison aux Syriens, l’octogénaire a joué un rôle-clé dans le succès du projet de parrainage. C’était la maison de ses parents. Elle était vide depuis plus de deux ans. Margot était heureuse que ça puisse faire le bonheur d’une famille qui fuit la guerre.
« On voulait vous remercier pour votre maison. On apprécie tout ce que vous avez fait pour nous », a dit Evlyne, en s’assoyant aux côtés de Margot.
La dame, qui a du mal à marcher, ne peut pas sortir l’hiver. Elle était ravie d’avoir la visite des Syriens. « Ça va faire un an. Vous aimez ça ?
— Oui ! »
Loraine a placé le bébé, assoupi dans son siège d’auto, au centre de la table, sous le regard attendri de Margot. « Il est beau ! Un beau bébé. Un petit Ubalde ! C’est un beau cadeau. Regarde ça, la petite main en l’air. Oh ! Que c’est beau ! C’est pas tannant ! »
Même si, théoriquement, le projet de parrainage d’un an est terminé et que les Syriens doivent maintenant voler de leurs propres ailes, Margot a accepté de continuer à leur prêter gratuitement sa maison. Ils n’ont qu’à payer l’électricité et les autres frais liés à la maison. « Tant qu’ils voudront l’avoir… Moi, j’ai celle-là où j’habite. Pourquoi je garderais une deuxième maison ? »
Evlyne a écrit quelques mots en arabe à Margot, qui était curieuse de voir à quoi ressemblait l’écriture arabe. Margot a promis de passer leur apporter un bouquet de lilas dès les beaux jours. « Vous allez être là cet été ? »
Elle a encouragé Hani dans sa recherche d’emploi. « Là, il s’agit d’avoir de l’ouvrage ! »
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À Saint-Ubalde, les Hreiz-Haddad ont plusieurs anges gardiens. « Evlyne, n’hésite pas si tu as besoin de quelque chose », dit toujours Loraine.
Le réseau solidaire de Loraine, qui connaît tout le monde au village, est plus efficace et plus humain que le service express d’Amazon. Lamitta a besoin d’un maillot de bain ? Moins de 24 heures plus tard, Loraine avait repéré une jeune mère, Mélanie, qui avait deux maillots à donner. Mélanie est venue apporter les maillots. Elle s’est liée d’amitié avec Evlyne. Et elle a offert de monter un trousseau pour le bébé à naître. « On a mis ça dans le sous-sol de l’église. On a ramassé tout l’équipement de bébé. Ç’a été une belle aventure », raconte Loraine.
Lors de l’arrivée des Syriens à Saint-Ubalde, Nawel Hanchi, jeune femme d’origine tunisienne et seule femme voilée du village, a apporté une aide précieuse au comité de parrainage, en servant notamment d’interprète. Aujourd’hui, Nawel, qui est mariée à un gars du village, est enceinte. Et ce sera au tour du village de l’aider. « J’ai dit à Evlyne de tout garder pour le bébé de Nawel, dit Loraine. On est en train de monter son trousseau ! »
Il est arrivé que des gens sonnent à la porte des Syriens pour leur offrir des choses qu’ils n’avaient jamais demandées. « Vous avez demandé une chaufferette ? La voici… »
En fait, les Syriens étaient à la recherche d’une friteuse. Par un jeu de téléphone arabe, une dame du village a compris qu’ils avaient besoin d’une chaufferette et a envoyé son beau-frère la livrer aux Syriens. Peu importe, Evlyne et Hani, qui ont plus de mal que leur fille à s’habituer aux rigueurs de l’hiver québécois, étaient bien contents.
Après la naissance du bébé, la famille a aussi reçu des cadeaux de gens qu’elle ne connaissait même pas. On lui a notamment fait parvenir une lettre qui l’a touchée droit au cœur. « On ne se connaît pas, mais durant le temps des Fêtes, nous avons eu une pensée pour vous. Nous sommes la famille des Bergeron, Lessard, Morisset, Côté et Lavigne. À chaque Noël depuis des années, nous faisons un échange de cadeaux. Cette année, nous avons changé la formule. Plutôt que d’acheter un cadeau, chaque membre devait trouver une cause, une façon d’aider son prochain. […] Notre famille a été beaucoup touchée par votre histoire, tous ont donc voté [unanimement] pour que vous soit remis notre budget cadeau cette année. Voici notre petite contribution pour vous permettre de continuer votre chemin ici, au Québec, avec courage, persévérance et partage ! »
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Si les Syriens de Saint-Ubalde ont bénéficié de la générosité du village, le village a aussi bénéficié de leur présence, croit Rachel. « Avant qu’ils arrivent, c’était l’inconnu pour les gens. Certains avaient peur. Parce que ce qu’on entendait dire sur la Syrie, c’est qu’il y avait des gens qui allaient s’y entraîner avec l’État islamique. Je me suis fait dire à quelques reprises : “Vous allez faire venir ici un paquet de troubles, c’est épouvantable, ce que vous faites !” Mais quand les gens les ont connus, il n’y a plus eu de commentaires du genre. Evlyne et Hani étaient souriants sur la galerie en avant et saluaient tout le monde qui passait. »
Michelle Dupéré se rappelle avoir eu peur quand, à l’été 2016, des gens de La Meute se sont pointés à une soirée d’information sur le parrainage de réfugiés syriens dans Portneuf. Tandis que des gens du groupe présents dans la salle prenaient des photos des participants à l’assemblée, Éric Corvus Venne, ex-chef du groupuscule d’extrême droite, s’est invité au micro et a demandé aux gens de penser à « la sécurité de [leur] nation » avant d’accueillir des réfugiés. « J’ai écrit à ma chum Nathalie qui était à la réunion avec moi : “Est-ce que tu te sens en sécurité ?” Je me demandais si on ne devait pas sacrer notre camp… Mais après, on s’est dit : “Non ! On ne va pas les laisser gagner. Saint-Ubalde ne va pas se laisser terroriser par ça. Le village est capable d’accueillir des gens.” »
Alors que l’ex-chef de La Meute a vite été interrompu par l’animateur de la soirée qui l’a invité poliment à organiser sa propre conférence s’il le voulait, Nathalie, du comité de Saint-Ubalde, s’est levée pour intervenir : « Juste pour vous dire, monsieur. J’ai 35 ans. Je n’ai pas peur pour ma nation. Je n’ai pas peur pour ma sécurité. Et s’il y a quelque chose qui dérange ici, c’est pas nous. Nous, on veut s’informer. On veut accueillir ces gens-là. »
Le petit village au grand cœur a tenu parole.