Incendie mortel dans le Vieux-Montréal

« Je visite mes immeubles tous les jours », jure le propriétaire

Le propriétaire de l’édifice patrimonial ravagé par l’incendie funeste de jeudi sur la place d’Youville jure avoir inspecté presque quotidiennement ses immeubles pour éliminer tout risque d’incendie, mais dit avoir eu du fil à retordre avec la sous-location de ses appartements sur Airbnb. Un entrepreneur qui sous-louait illégalement certains logements incendiés s’était par ailleurs dit surpris de la quantité d’argent gagné grâce à la populaire plateforme.

L’avocat Émile Benamor, qui possède l’immeuble incendié où plusieurs personnes manquent à l’appel, a témoigné le 15 décembre dernier à la cour municipale de Montréal, dans un dossier qui l’opposait aux pompiers de Montréal. Des inspecteurs du Service de sécurité incendie s’étaient rendus dans un autre de ses immeubles, rue Notre-Dame, près de l’hôtel de ville, quelques mois plus tôt. En voulant tester un escalier de secours rétractable, l’un d’eux était tombé et s’était cassé une cheville. Un constat d’infraction avait été donné au propriétaire pour avoir maintenu une sortie de secours en mauvais état.

Dans un témoignage sous serment devant la juge Cathy Noseworthy, MBenamor avait assuré tout faire pour réduire les risques d’incendie. « J’ai mes responsabilités comme propriétaire et je prends mes responsabilités très au sérieux. Ce sont des immeubles historiques dont je prends beaucoup soin », l’entend-on marteler sur l’enregistrement de l’audience, consulté par La Presse au tribunal.

« Moi, je commence ma journée à 6 h 30 dans mes immeubles, parce que j’en ai une quinzaine à vérifier », avait-il expliqué, en soulignant que l’immeuble visité par les inspecteurs était « identique » à son autre propriété sur la place d’Youville – celle qui allait brûler trois mois plus tard.

« Je visite mes immeubles tous les jours », avait-il répété plusieurs fois à la juge.

« On vérifie qu’il n’y a pas de cigarettes laissées là, pas d’eau qui coule. Je le fais tous les jours entre 6 h 30 et 7 h 30. La fin de semaine, je me repose, mais la semaine, je passe. »

« On passe par toutes les sorties d’urgence pour vérifier qu’elles ne sont pas bloquées, que les gens pourraient sortir, que les portes ne sont pas verrouillées. Je prends tous les moyens nécessaires. »

— Émile Benamor, dans un témoignage sous serment devant la juge Cathy Noseworthy

MBenamor avait expliqué devant la cour qu’il conservait son titre d’avocat, mais qu’il avait pratiquement cessé la pratique du droit. « Je m’occupe juste de mes immeubles », disait-il.

Dans ce dossier, les pompiers qui avaient inspecté son immeuble de la rue Notre-Dame s’y étaient rendus en raison de soupçons quant à la présence d’une maison de chambres clandestine. Or, il s’agissait plutôt d’un organisme à but non lucratif qui faisait de l’hébergement, avait plaidé le propriétaire. « Ils ont un permis, ils peuvent opérer », disait-il.

La juge avait acquitté Émile Benamor et annulé le constat d’infraction, après avoir constaté qu’il avait rapidement réparé l’escalier de secours non fonctionnel.

MBenamor a refusé d’accorder une entrevue pour discuter de la tragédie de jeudi. L’avocat qui représente ses intérêts, MAlexandre Bergevin, a toutefois assuré qu’il collaborait à l’enquête policière.

Au sujet de l’aménagement intérieur inusité de certains appartements, notamment une unité sans fenêtres vers l’extérieur, où seraient mortes deux personnes qui avaient téléphoné au 911 et s’étaient dites incapables de sortir, MBergevin souligne que l’immeuble avait cette configuration lorsqu’il a été acheté et que les autorités n’ont jamais fait de reproches à cet égard.

Cité comme un exemple de succès sur Airbnb

MBergevin souligne que des locataires de l’immeuble incendié sous-louaient illégalement des logements pour des séjours à court terme sur Airbnb. « Des mesures étaient prises pour y mettre fin », assure-t-il.

Selon les recherches de La Presse, un entrepreneur qui louait plusieurs unités dans l’immeuble afin de les sous-louer sur les plateformes web pour de l’hébergement à court terme se nomme Tariq Hasan, propriétaire de l’entreprise d’hébergement Avenoir Inc., dont certaines des annonces sont toujours visibles en ligne. La Ville de Montréal lui avait d’ailleurs imposé un constat d’infraction à cette adresse en lien avec la présence d’ordures l’an dernier, selon les registres de la cour municipale.

Questionné sur le fait que le propriétaire ait laissé un entrepreneur louer en même temps plusieurs appartements dans l’immeuble, MBergevin a reconnu que celui-ci avait permis à un locataire de sous-louer certains logements pour des locations d’un mois ou plus, ce qui est permis par la réglementation municipale. Il aurait toutefois tenté de se débarrasser de ce locataire lorsqu’il a compris que ce dernier faisait plutôt de la location à court terme pour visiteurs et touristes, ce qui est illégal et causait des soucis au propriétaire.

Une balado américaine destinée aux hôtes Airbnb appelée Short Term Rental Success Stories avait présenté l’histoire de Tariq Hasan et de son entreprise en 2019. M. Hasan y expliquait avoir travaillé en développement des logiciels dans une entreprise à Montréal, mais avoir quitté son emploi pour se consacrer à 100 % aux locations à court terme sur Airbnb et d’autres plateformes similaires.

« Je suis vraiment devenu fasciné par cet espace en raison de l’opportunité formidable pour du cashflow », expliquait-il. Il disait avoir des logements à sous-louer dans plusieurs immeubles, employer un petit groupe d’employés, et parlait de la manne représentée par les touristes pendant l’été, notamment grâce au festival Osheaga.

« J’ai été moi-même surpris des retours sur l’investissement que j’ai obtenus », disait-il.

Il y a deux semaines, sur LinkedIn, M. Hasan s’est toutefois plaint du service offert récemment par la multinationale. « Leur service à la clientèle s’est détérioré significativement. Les usagers, surtout les hébergeurs, sont moins contents de la plateforme », écrivait-il.

Joint par La Presse sur son cellulaire, M. Hasan a refusé de discuter de l’incendie. « Je ne saurais rien à ce sujet », a-t-il laissé tomber avant de raccrocher.

Incendie dans le Vieux-Montréal

Une universitaire américaine parmi les disparus

Les collègues d’An Wu, une universitaire américaine venue assister à une conférence à Montréal, ont peine à croire que la « brillante et dynamique » trentenaire ait disparu dans l’incendie mortel survenu jeudi dernier dans le Vieux-Montréal. La famille de la jeune femme s’interroge sur les causes de cette tragédie, raconte une amie proche.

Les amis de Mme Wu étaient sans nouvelles depuis jeudi, rapporte Enida Gjoni, collègue à l’Université de Californie à San Diego (UCSD). Les deux postdoctorantes se côtoyaient au quotidien depuis 2018. La perte d’An Wu laisse un immense vide alors que ses proches craignent qu’elle compte parmi les disparus, dit-elle au sujet de la chercheuse de 31 ans, qui a immigré de la Chine aux États-Unis pour poursuivre ses études. « C’est une femme brillante, intelligente. Mais elle est aussi dynamique et humaine. »

Les deux amies sont parties de San Diego pour se rendre à COSYNE, un populaire congrès sur la neuroscience tenu à Montréal et à Mont-Tremblant du 9 au 14 mars.

Les ateliers organisés dans la métropole se sont déroulés à l’hôtel Fairmont Le Reine Elizabeth et ont pris fin mardi. Mme Gjoni a quitté le Québec le lendemain. Le vol de retour d’An Wu était prévu jeudi. Elle a donc loué un logement pour une nuit par l’entremise de la plateforme Airbnb, relate sa collègue.

Les amis d’An Wu sont restés sans nouvelles le week-end dernier. Ses proches, rongés par l’inquiétude, ont contacté la police locale. « Elle répond à ses textos en deux secondes. C’était inhabituel. »

« On ne savait pas ce qui se passait »

Comme la famille d’An Wu est en Chine, l’entourage de Mme Wu à San Diego est parti à sa recherche. Ils ont trouvé son appartement vide. Ils ont avisé les autorités frontalières de sa disparition. On les a informés qu’elle n’a jamais traversé la frontière. « On ne savait pas ce qui se passait », poursuit-elle.

La personne responsable de la location a signalé aux autorités la disparition d’An Wu le soir du drame, dit-elle. « Ils ont ensuite contacté la personne-ressource en cas d’urgence. C’est comme ça qu’on l’a su. »

Les derniers messages envoyés par An Wu à ses proches datent de jeudi vers 2 h. Elle ne serait donc pas sortie, croit Mme Gjoni. « L’appartement lui plaisait, elle n’a mentionné à personne que quelque chose ne fonctionnait pas à l’intérieur. » À sa connaissance, Mme Wu séjournait seule dans l’appartement.

Les parents d’An Wu méritent de savoir ce qui est arrivé à leur fille, croit sa collègue, en contact avec la famille de la jeune femme en Chine. Ils ne peuvent se déplacer au Canada puisqu’ils n’ont pas de visa. « Rien ne va leur ramener An. Mais on espère des réponses de la part de la police, du gouvernement et du propriétaire. »

— Avec Léa Carrier, La Presse

« Une scène difficile et complexe »

Les autorités ont continué de démanteler lundi les deuxième et troisième étages de l’immeuble du Vieux-Montréal ravagé par les flammes la semaine dernière afin de permettre d’accélérer les recherches. Le sol instable et le risque d’effondrement rendent les fouilles manuelles trop dangereuses pour les intervenants. C’est pourquoi un drone et des nacelles sont utilisés dans cette opération. Rappelons qu’à l’arrivée des premières équipes sur les lieux du drame, jeudi dernier, quatre personnes se trouvaient aux fenêtres alors que les flammes se répandaient rapidement. En tout, l’incendie a fait neuf blessés. Deux d’entre eux sont toujours à l’hôpital pour soigner des brûlures. Le corps d’une victime a été extirpé des décombres de l’édifice tandis qu’au moins six personnes manquent toujours à l’appel. Le SPVM et le SIM tiendront un point de presse chaque jour à 8 h pour tenir la population au courant des derniers développements.

La Presse

Incendie mortel dans le Vieux-Montréal

Québec et Montréal veulent obliger Airbnb à bannir les logements illégaux

Québec veut resserrer sa Loi sur l’hébergement touristique pour empêcher Airbnb et d’autres plateformes du genre d’annoncer des logements qui ne sont pas dûment enregistrés, comme le demandent la Ville de Montréal et d’autres municipalités.

« S’il y a des infractions, si le numéro d’enregistrement n’est pas affiché sur les plateformes, il y aura des amendes, non seulement à la plateforme, mais également aux locateurs », a affirmé la ministre du Tourisme, Caroline Proulx, lundi, au cours d’un point de presse devant les ruines de l’immeuble du Vieux-Montréal où un violent incendie a fait au moins sept victimes jeudi dernier.

Actuellement, la loi exige que les logements loués à court terme à des touristes aient un numéro d’enregistrement de la Corporation de l’industrie touristique du Québec (CITQ). Mais rares sont ceux qui respectent cette exigence, puisque les plateformes de location comme Airbnb publient toutes les annonces, même celles qui ne se conforment pas à la loi.

Pour s’enregistrer auprès de la CITQ, un locateur d’appartement touristique doit prouver que les règlements municipaux permettent un tel usage à l’adresse visée.

L’implantation de cette mesure empêcherait donc la publication d’annonces pour des zones interdites aux locations touristiques, comme le Vieux-Montréal.

Cette question se retrouve au centre de l’actualité parce que bon nombre des personnes disparues dans le violent brasier de jeudi avaient loué un logement sur Airbnb dans l’édifice détruit par les flammes, bien que la réglementation municipale interdise ce type d’hébergement dans tout le Vieux-Montréal.

Airbnb « s’en lave les mains »

Un peu plus tôt, la mairesse de Montréal, Valérie Plante, avait fait cette demande, en conférence de presse. Elle réclamait plus d’inspecteurs de Québec afin de faire respecter la Loi sur l’hébergement touristique, mais elle estimait qu’il incombait d’abord à Airbnb de s’assurer que les annonces diffusées sur son site soient légales.

Elle déplorait que le géant de la location en ligne « s’en lave les mains », alors que vient de survenir une « tragédie épouvantable ».

« Ce n’est pas normal qu’une entreprise ne se préoccupe pas de la légitimité des gens qui font affaire avec elle, et qu’elle déverse sa responsabilité sur les instances municipales et provinciales que les contribuables paient, a fait valoir la mairesse. Quand on y pense, c’est complètement absurde, c’est le monde à l’envers. »

« Oui, on va améliorer les processus, mais les Montréalais et les Québécois n’ont pas à payer, à même leurs taxes, des inspecteurs pour une entreprise privée qui, elle, ne se conforme même pas aux lois. »

— Valérie Plante, mairesse de Montréal

Montréal et Québec semblaient se renvoyer la balle, alors que la ministre Caroline Proulx affirmait que les inspecteurs de Revenu Québec, chargés de faire respecter la Loi sur l’hébergement touristique, n’intervenaient pas dans les cas des logements illégaux à l’extérieur des zones permises, comme pour l’édifice incendié de la place d’Youville. Ses propos laissaient entendre que c’était aux municipalités de s’attaquer à ce problème.

« En dehors des périmètres où l’hébergement touristique de courte durée est permis par les municipalités, c’est leur responsabilité de faire enquête, c’est à elles de dénoncer l’illégalité de ce type d’hébergement là », a-t-elle dit.

Or, son cabinet est intervenu en soirée pour corriger le tir et reconnaître que les inspecteurs de Revenu Québec étaient bien ceux qui devaient intervenir pour sanctionner les locateurs des logements annoncés sur Airbnb sans numéro de la CITQ.

La mairesse Plante et la ministre Proulx ont prévu de se rencontrer rapidement, avec la ministre responsable de l’Habitation, France-Élaine Duranceau, pour discuter de la façon de s’attaquer à la location touristique illégale, qui est aussi dénoncée par les organismes de défense des locataires en raison de son impact sur la crise du logement.

« Équipe de choc »

En attendant que ces changements législatifs soient implantés, trois arrondissements montréalais, Ville-Marie, le Sud-Ouest et le Plateau-Mont-Royal, se préparent à mettre sur pied une escouade qu’ils partageront, pour débusquer les locations illégales.

La coordonnatrice de cette future équipe, qui devrait compter quatre ou cinq inspecteurs à ses débuts, est entrée en poste lundi.

« Ce qu’on veut faire, c’est être capables de monter une preuve béton qui pourra être présentée en cour, et s’arrimer avec le gouvernement du Québec pour travailler de façon concertée. Ça sera vraiment une équipe de choc pour les trois arrondissements », explique le maire de l’arrondissement du Sud-Ouest, Benoit Dorais, qui est aussi responsable de l’habitation au comité exécutif.

Les amendes imposées aux contrevenants seront aussi plus salées, pour ceux qui violent le règlement de zonage, ajoute le maire du Plateau-Mont-Royal, Luc Rabouin. « On est allé au maximum permis, soit 2000 $, pour que ce soit vraiment dissuasif », explique-t-il. Cette amende s’ajouterait à celle imposée par Québec, qui peut varier entre 3500 $ et 25 000 $.

M. Rabouin déplore le « fléau » des locations illégales dans son arrondissement, qui retire des logements du marché de la location à long terme et provoque des nuisances au voisinage. Mais il souligne que les propriétaires qui louent leur résidence principale occasionnellement peuvent toujours le faire, dans tous les secteurs, pourvu qu’ils aient leur numéro d’enregistrement de la CITQ.

Appelée à commenter la polémique et le drame survenu dans le Vieux-Montréal, Airbnb s’est contentée d’une déclaration laconique. « Nous sommes de tout cœur avec les victimes de cette tragédie, avec leurs familles et leurs proches. Nous offrons notre appui à ceux qui sont touchés et nous collaborons à l’enquête des autorités. Nous sommes aussi en discussion avec le cabinet de la mairesse », a indiqué Nathan Rotman, directeur d’Airbnb pour le Canada, dans un message transmis par courriel.

14 000

Nombre d’annonces publiées sur Airbnb à Montréal

Source : Inside Airbnb

2342

Nombre d’inspections réalisées par Revenu Québec dans toute la province depuis le 1er avril 2022

Source : Revenu Québec

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