Football alouettes

les deux visages de johnny

C’est ce soir que Johnny Manziel amorce officiellement sa carrière dans la Ligue canadienne. Les Alouettes fondent beaucoup d’espoir en cette ancienne gloire du football universitaire américain, qui tente maintenant de relancer sa carrière – et de remettre sa vie sur les rails – au Canada. Qui est Johnny Manziel ? La Presse a joint quatre personnes qui l’ont connu à différents moments de sa vie.

Un dossier de Guillaume Lefrançois

Johnny Manziel

Un avenir prometteur

Décembre 2013. Les Aggies de Texas A&M viennent de passer la saison à terroriser les défenses adverses de la NCAA. Deux futurs choix de premier tour dans la NFL mènent la charge : le quart-arrière Johnny Manziel et sa cible de choix, le receveur Mike Evans.

Les Aggies concluent leur saison au Chick-Fil-A Bowl, mais sont en retard 14-3 à la fin du premier quart contre les Blue Devils de Duke. Manziel rate sa passe et Texas A&M doit dégager. L’attaque est embourbée.

Manziel retourne sur les lignes de côté en courant et se dirige aussitôt vers Evans. Le discours du quart semble passionné, mais son langage corporel est largement positif. Evans, visiblement pas dans le même état d’esprit, tente de faire demi-tour, mais Manziel se remet devant lui et l’agrippe par le casque pour terminer son discours.

Mark Smith regardait la rencontre à la télévision. L’ancien coach de Manziel à l’école secondaire Tivy a esquissé un sourire.

« Il était très mature pour son âge, rappelle Smith, aujourd’hui à la retraite. Les recruteurs venaient le voir au secondaire, et Johnny leur parlait en les regardant droit dans les yeux. Quand ça allait mal, il était le premier à se regarder dans le miroir, plutôt que de blâmer les autres. Le lendemain d’un match, on faisait venir les joueurs à 10 h, et lui arrivait à 8 h.

« Je me souviens de matchs où ça allait mal, et c’est lui qui parlait aux coéquipiers sur les lignes de côté. Il leur disait qu’on devait être meilleurs. Il a fait la même chose au Chick-Fil-A Bowl. Il a parlé à Mike Evans et ils ont explosé. »

Le discours fait effet. Après cette séquence, Texas A&M a droit à six séquences en attaque. Six touchés. Les Aggies l’emportent 52-48 et Manziel conclut en héros une carrière collégiale d’anthologie.

Depuis, Evans s’est établi avec les Buccaneers de Tampa Bay comme un des très bons receveurs de la NFL. Derel Walker, une autre de ses cibles à Texas A&M, en fait autant dans la Ligue canadienne et il se dirige actuellement vers sa troisième saison de 1000 verges avec les Eskimos d’Edmonton.

Manziel, lui ? Indésirable dans la NFL, il obtiendra ce soir son premier départ dans la LCF, après des années chaotiques qui ont mené son père à déclarer publiquement qu’il craignait pour la vie de son fils.

Johnny Manziel

Les premiers signaux d’alarme

Issu d’une famille qui a fait fortune dans l’industrie pétrolière, Manziel n’a visiblement jamais eu à se préoccuper de son avenir financier. Déjà, au collège, il roule en Mercedes, un cadeau de son père qui ne voulait pas « que son fils fasse quelque chose de stupide pour l’obtenir », dira-t-il à ESPN.

Ses succès au secondaire font déjà tourner les têtes, si bien que les universités américaines sont nombreuses à vouloir le recruter. « Un athlète phénoménal, et un grand meneur. Il poussait ses coéquipiers au-delà de leurs capacités », se souvient son ex-entraîneur Mark Smith.

Le phénomène demeure relativement local jusque-là. Mais il prend des proportions nationales quand ce joueur de première année se permet de battre l’équipe classée no 1 au pays, Alabama, le 10 novembre 2012. Il est alors au cœur d’une saison qui lui vaudra le prestigieux trophée Heisman, remis au meilleur joueur universitaire au pays. En près de 80 ans d’histoire, c’est la première fois qu’une recrue l’emporte.

« Après la victoire contre Alabama, il a commencé à avoir de la difficulté à sortir en public, à simplement aller manger un hamburger. Il se faisait constamment demander des autographes », rappelle Smith.

« Mes meilleurs souvenirs de Johnny, c’est simplement d’avoir joué avec lui, de ne jamais savoir ce qu’il allait faire. Il faut l’avoir vu jouer pour comprendre, explique Derel Walker, son coéquipier pendant deux saisons au Texas. En tant que receveur, tu voulais simplement le regarder jouer, mais tu devais aussi te rappeler que tu avais ton joueur à bloquer ! Sinon, tu courais ton tracé, mais il sortait de la pochette et tu partais dans toutes les directions pour demeurer une option. »

C’est à la même période que les premières controverses surviennent, notamment son renvoi de la Manning Passing Academy pour avoir raté des rencontres obligatoires. C’est pourquoi, malgré son grand potentiel, il attend au 22e rang du repêchage de 2014 pour entendre son nom. Les Browns de Cleveland le sélectionnent.

« Il n’a jamais nui à notre esprit d’équipe et c’est ce qui compte. Tout le monde sait qu’il aime s’amuser, mais quand le match commence, tout le monde veut voir Johnny dans le caucus », déclarera Jake Spavital, alors coordonnateur offensif de Texas A&M, au Plain Dealer de Cleveland lors du repêchage.

Quelque chose qui cloche

Mary Kay Cabot a vu neiger. La journaliste chevronnée couvre les activités des Browns depuis les années 90, à l’époque de leur première mouture, avant qu’ils déménagent à Baltimore.

Dès les premiers jours du camp, elle commence à douter fortement que Manziel fera cesser la sempiternelle valse des quarts des Bruns. En mai, quand les joueurs sont conviés à trois ou quatre « activités d’équipe organisées » (une sorte de pré-camp), Manziel se permet une escapade de quelques jours à Las Vegas.

« À son retour, on le questionnait sur ses habitudes festives, et il disait que personne n’allait changer qui il était, qu’il allait vivre la vie au maximum. Je n’avais jamais vu un quart débarquer avec ce genre d’attitude, raconte Cabot. Au lieu de dire qu’il allait gagner en maturité, qu’il allait mettre ça derrière lui, il était presque défiant. Ce n’était pas le dévouement attendu d’un jeune qui lutte pour devenir quart partant. »

Johnny Manziel

Les crises prennent de l’ampleur

C’est probablement à Cleveland que les deux visages de Johnny Manziel commencent à être le plus visibles.

« C’était une période difficile de sa vie, mais en tant que coéquipier dans le vestiaire, il était parfait, se souvient Andrew Hawkins, un ancien receveur des Alouettes qui a ensuite joué six ans à Cleveland. Personne n’avait de problème avec lui. Mon fils avait 3-4 ans à l’époque et Johnny était son idole. Et je me souviens que Johnny prenait toujours le temps de venir le saluer, il s’assurait de lui souhaiter bonne fête. »

« À l’époque, dès que ses lèvres bougeaient, il mentait, ajoute la journaliste Mary Kay Cabot. On ne pouvait jamais le croire. Le problème, c’est qu’il était très charismatique, les gens l’aimaient vraiment, ses coéquipiers l’adoraient. Et il était capable de parler. Donc quand il n’allait vraiment pas bien, il disait qu’il allait bien, que tout était beau. Mais on ne pouvait pas lui faire confiance. »

Les crises prennent alors de l’ampleur. Utilisé sporadiquement à sa première saison en 2014, il obtient six départs l’année suivante, mais les résultats se font attendre. Il subit une commotion dans l’avant-dernier match de la saison, et se pousse à Las Vegas lors du dernier week-end de l’année, plutôt que de suivre les étapes normales de réadaptation.

Puis, l’impardonnable. En février 2016, la police ouvre une enquête pour voies de fait à la suite d’une plainte déposée par sa conjointe du moment, Colleen Crowley. Quelques semaines plus tard, les Browns le libèrent.

Johnny Manziel

Le citoyen modèle ?

Johnny Manziel conclut finalement une entente sur sa peine, s’engageant à suivre une thérapie de gestion de la colère et à assister à un panel sur les conséquences de la violence conjugale. Il respecte toutes les conditions négociées.

Voici maintenant Manziel dans la LCF, marié depuis mars au mannequin Bre Tiesi. Depuis son arrivée au Canada, il se comporte visiblement en citoyen modèle. Aucune controverse, si ce n’est d’un quotidien de Hamilton qui a évoqué des rumeurs de retard ou absence à quelques rencontres d’équipe. L’information n’a toutefois jamais été confirmée. Du reste, la LCF l’a admis en échange du respect de certaines conditions, qui demeurent toutefois confidentielles.

Manziel a aussi admis l’hiver dernier qu’il avait reçu un diagnostic de trouble bipolaire, et a assuré être maintenant sobre.

« Maintenant, je crois qu’on peut le croire quand il parle, soutient Mary Kay Cabot. Le Johnny sobre, qui tente de régler ses problèmes de santé mentale, est un gars très cool. Je crois qu’il est déterminé à revenir. »

Aujourd’hui retraité du football, Andrew Hawkins a reçu Manziel pour l’enregistrement d’une baladodiffusion l’hiver dernier. Lui aussi fait partie des optimistes.

« Il a admis ses problèmes, et ce sont des problèmes que monsieur et madame Tout-le-Monde peuvent vivre. Je crois qu’il a le contrôle sur ces problèmes-là. Les gens ici voient ça comme une régression parce qu’il joue maintenant dans la LCF. Mais moi, je suis 10 fois plus fier de lui aujourd’hui qu’à tout autre moment de sa carrière. »

Ses chances de succès ? « Élevées, rétorque Hawkins. Il a les habiletés pour exceller au football canadien. Il me rappelle Doug Flutie. Il devrait regarder des séquences de Flutie pour comprendre quoi faire. Il a le même style. »

Pour son ancien entraîneur du secondaire, les enjeux que vit Manziel débordent toutefois le cadre du football.

« Je me suis déjà inquiété pour lui, avoue Mark Smith. Mais il est maintenant entouré de Bre et de plusieurs personnes qui ont ses intérêts à cœur. Tout est une question d’entourage. Ça restera un combat de tous les jours. Il doit avoir un système de soutien pour le guider dans le droit chemin. Avec les mauvaises personnes, c’est facile de prendre les mauvaises décisions.

« Il doit remettre sa vie sur les rails et le football est simplement une avenue pour y parvenir. Ça lui donne quelque chose sur quoi travailler. Que ce soit la LCF ou la NFL, ça importe peu, du moins à mes yeux. Tant qu’il replace sa vie. »

Reste à voir à quel visage auront droit les Alouettes : le Johnny Manziel bien intentionné du secondaire, ou le Johnny Football capable de tous les excès. Le souhait de Mark Smith est évident.

« J’ai plus connu Johnny Manziel que Johnny Football. Johnny Manziel est un jeune compétitif, respectueux de ses coéquipiers, de ses entraîneurs. C’est une très bonne personne. »

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