Pêche

Apprivoiser les poissons de lac

Tous les Québécois, ou presque, ont déjà pêché un crapet-soleil. Mais qui l’a déjà mangé ? Le pêcheur commercial Roger Michaud nous a prouvé que cette prise presque toujours rejetée était en fait délicieuse ! Retour sur une étonnante journée de dégustation au lac Saint-Pierre, qui compte plus d’un trésor.

Roger Michaud, l’un des six derniers pêcheurs commerciaux de la région – ils étaient 42 en 2001, avant le rachat massif de permis par le gouvernement –, se désole du manque d’intérêt qu’ont la majorité des Québécois pour ses prises : barbotte, barbue, meunier, brochet, crapet, écrevisse, etc. « Les Haïtiens, les Chinois et plusieurs autres communautés culturelles de chez nous en raffolent. Mais les Québécois, eux, ils préfèrent manger du tilapia ! », regrette celui qui est également maire de Maskinongé.

Sa femme, Sonia Paquin, nous raconte que seules les personnes âgées des alentours commandent encore de la barbotte. « Au printemps et à l’automne, le téléphone sonne pour la barbotte. Les clients ont des demandes très précises. Ils veulent de la petite ou de la moyenne, en rond [en longe] ou en filet… » Mais la majorité des barbottes prises dans les verveux de M. Michaud sont envoyées au grossiste André Gagné, qui les expédie on ne sait où.

C’est un autre poisson barbu et moustachu que le pêcheur est en train de fileter tandis que nous jasons dans son petit espace de travail. La barbue de rivière commence à faire son entrée dans quelques poissonneries urbaines. On la trouve sur le marché virtuel des fermes Lufa et à La Mer.

Mais avant de goûter à la belle chair charnue de la barbue, M. Michaud nous rappelle la raison principale de notre visite : le crapet. Gênée de se mettre aux fourneaux pour de parfaits étrangers, dont le chef Marc-André Royal, qui nous accompagne, Mme Paquin s’exécute quand même. Quinze minutes plus tard, elle est de retour dans la poissonnerie avec un plat de cuisson rempli de beaux petits filets dorés, salés, poivrés, puis parsemés tout simplement d’oignons frits. En moins de cinq minutes, le plat est vide. Nous n’en avons même pas laissé un seul flocon pour les chatons qui salivent à l’extérieur.

Conclusion : le crapet-soleil est non seulement comestible, il peut être délicieux. Et si facile à apprêter. C’est une solution de rechange tout à fait viable à la perchaude, qui fait l’objet d’un moratoire depuis 2012.

La femme du pêcheur nous sort une barquette du congélateur, qu’elle vend à tous ceux et celles qui sont prêts à se rendre jusqu’à leur maison du rang de la Rivière Sud-Ouest. Rarement a-t-on vu de si parfaits petits filets, adroitement préparés par des mains qui ont touché à des dizaines, voire des centaines de milliers de poissons.

REPAS DE PLAGE

Nous repartons de chez M. Michaud et Mme Paquin avec quatre beaux gros filets de barbue et un sac d’écrevisses, pêchées le matin même. Quelques minutes plus tard, nous voilà sur un dépaysant bout de plage du lac Saint-Pierre, qui évoque davantage le Maine que le Québec, avec ses herbes hautes, son sable fin et ses coquillages.

Marc-André Royal, grand pêcheur devant l’Éternel, sort son poêle Coleman et met une casserole d’eau à bouillir. Le chef du restaurant Le St-Urbain et des deux boulangeries-cafés La bête à pain passe ses étés sur l’eau. Rien ne lui fait plus plaisir que de taquiner le poisson. Il planche même sur un projet d’émission de pêche autour du monde.

Sans façon, il plonge les vigoureuses écrevisses dans l’eau bouillante. Une minute plus tard, les petits crustacés sont prêts. On ne conserve que les queues, qui se décortiquent en un rien de temps et sans danger pour les doigts. Le professionnel des créatures aquatiques a pensé à une présentation incroyablement simple, mais digne des tables les plus élégantes. Il sert les queues d’écrevisses sur une crème montée vinaigrée avec des crudités toutes fines.

La barbue est un poisson qu’il faut savoir préparer. Chez Simmer, grossiste qui distribue plusieurs poissons du lac Saint-Pierre, on a compris qu’il fallait enlever un peu de chair avec la peau, pour éliminer le goût âcre que peut avoir cette espèce.

Pour notre repas de plage, Marc-André Royal coupe les filets en gros cubes et les envoie dans un cari d’inspiration thaïe. Polyvalente, la barbue peut être cuite en croûte d’épices (noircie), à la louisianaise. Elle peut être tout simplement panée et poêlée. On le mangerait bien en soupe ou en gibelotte aussi.

« Ce n’est pas du flétan, mais c’est un beau poisson à chair ferme et c’est économique en plus », se réjouit François-Xavier Dehédin, directeur des opérations à La Mer. La poissonnerie montréalaise a commencé à tenir plusieurs belles prises du lac Saint-Pierre, comme la barbue, l’esturgeon, le brochet, l’anguille (vivante ou fumée) et l’écrevisse.

« Imaginez que vous ne mangiez que des pommes et des oranges », lance le poissonnier, en paraphrasant un chef. Avec la rareté grandissante de certains poissons et les conditions d’élevage un peu douteuses de plusieurs espèces, les Québécois ont tout à gagner à se tourner vers les poissons de leurs propres cours d’eau.

BONNES ADRESSES

Roger Michaud et Sonia Paquin : Maskinongé, 819 227-2706

Poissonnerie Gaétan Desmarais et fils : 22, rue Desmarais, Pierreville, 450 568-6612

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