Opinion

La « business » changeante des méga festivals

La réaction d’evenko/Groupe CH au dévoilement du Plan directeur du parc Jean-Drapeau était prévisible et illustre en soi plusieurs enjeux liés à l’industrie événementielle. La vaste majorité de ces enjeux étaient présents avant la pandémie et sont de mieux en mieux documentés par des recherches internationales. La pandémie n’a fait que les amplifier et y ajouter une couche d’urgence. Il est important de garder cela en tête pour bien comprendre la situation.

Depuis le début des années 2000, les méga évènements ont connu une croissance exponentielle partout sur la planète. Coachella, EDC, Summerfest, Rock in Rio, Glastonbury, Electric Zoo, Burning Man, etc. À Montréal, notre méga évènement est Osheaga. Ils offrent l’avantage du tout en un : des centaines d’artistes regroupés en un seul endroit, une tonne de spectacles en quelques jours avec un seul et unique billet et un branding fort.

Si, de 2000 à 2015, l’industrie a vu une extraordinaire multiplication des évènements d’envergure partout sur la planète, elle s’est depuis consolidée. En 2018, l’Association of Independent Festivals (AIF) sonnait l’alarme en Grande-Bretagne en soulignant que Live Nation était propriétaire de plus de 25 % de tous les grands festivals britanniques.

Le Québec a aussi vécu cette vague de consolidations. D’ailleurs, depuis 2019, Live Nation est actionnaire à 49 % de l’entité du Groupe CH qui regroupe les activités d’evenko et de Spectra. Lors de l’annonce, le gouvernement de François Legault s’était dit « préoccupé » par cette transaction.

À Montréal, cette consolidation est aussi extrêmement importante depuis 2016. Par exemple, le Groupe CH, via ses différentes entités, est aujourd’hui propriétaire d’Osheaga, du Festival Juste pour rire, des Francos de Montréal, du Festival international de jazz de Montréal, de Zoofest, d’îleSoniq, de Heavy Mtl, du Mondial des Jeux, de Montréal en lumière, de Lasso et j’en passe, sans oublier le Canadien de Montréal, bien sûr. Tous ces grands évènements au Québec sont regroupés au sein d’une organisation, le Regroupement des évènements majeurs internationaux (RÉMI). Sur les 31 membres du RÉMI, 15 sont des évènements qui se déroulent à Montréal et sur ces 15 membres montréalais, le Groupe CH est propriétaire de cinq évènements/organisations, soit 33 % du membership montréalais. On peut se questionner sur l’impact d’une telle concentration sur le milieu culturel.

À l’échelle internationale, les méga festivals semblent avoir atteint leur apogée et certains sont en déclin depuis 2018, notamment en raison de la croissance importante de leurs coûts et d’uniformisation de leur programmation. On note maintenant une nouvelle tendance événementielle internationale : les petits évènements indépendants qui offrent une expérience plus nichée, une programmation plus spécialisée et qui permettent aux festivaliers d’avoir une certaine intimité avec les artistes. Ces petits évènements intimistes permettent aux festivaliers de vivre une expérience unique dans un lieu inusité, un moment qui ne peut être reproduit à grande échelle. Même Osheaga n’y échappe pas alors que l’organisation exprimait cette semaine son désir d’avoir six scènes au total et non un seul gigantissime espace événementiel.

Bref, trois ans après sa construction, le nouvel « Espace 67 » ne correspond déjà plus aux besoins événementiels d’evenko et du Groupe CH.

Il sera certainement tentant, au cours des prochaines années, de pointer la pandémie ou un nouveau plan directeur au parc Jean-Drapeau pour tenter d’expliquer la baisse de popularité de certains méga évènements mais il sera important de garder en tête que l’industrie événementielle a toujours été et continue d’être en constante évolution, et qu’une expérience plus intime dans des lieux à forte symbolique pourront constituer un avantage indéniable. Il y a 16 ans à peine, Osheaga n’existait pas. Les choses changent, évoluent, tout comme les goûts des festivaliers d’ici et d’ailleurs. C’est d’ailleurs cette évolution et cette volonté des Montréalais de se réapproprier leurs espaces verts, développer des infrastructures durables et accessibles que reflète le très réfléchi plan directeur 2020-2030 du Parc Jean-Drapeau.

*Julie Bélanger occupe actuellement les fonctions de directrice de cabinet du maire de l’arrondissement du Sud-Ouest et président du comité exécutif. Elle écrit ce texte à titre personnel.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.