Michael J. Fox résiste et signe

Il y a trente ans, l’acteur star de la saga « Retour vers le futur » apprenait qu’il était atteint de la maladie de Parkinson. Un choc dévastateur. Et le début d’un long combat que cet optimiste raconte dans un livre poignant.

Malgré la maladie, Michael J. Fox, 59 ans, a toujours un visage juvénile et le regard qui pétille. Son élocution est parfois hésitante, ses gestes sont désordonnés, mais on reconnaît encore l’acteur et son agilité, quand il planait sur son skateboard dans « Retour vers le futur ». « Regardez, mes mains ont cessé de trembler ! » s’enthousiasme-t-il en plein milieu d’interview, alors que les médicaments qu’il a pris juste avant commencent à faire leur effet… Pour prouver qu’il ne ment pas, il se lève de sa chaise et se met à claquer des doigts. En 2018, une mauvaise chute a pourtant failli le faire sombrer dans la dépression. Un accident idiot, alors qu’il sortait d’une opération au cours de laquelle on lui a retiré une méchante tumeur à l’épine dorsale… Il raconte à Paris Match comment il s’en est sorti.

Paris Match : Comment allez-vous ?

Michael J. Fox : Je vais bien, j’ai bien dormi cette nuit, je ne sais pas pourquoi, car il y a des jours avec et d’autres sans. La maladie de Parkinson est imprévisible, je prends douze à quinze pilules par jour, quand j’en prends trop je perds le contrôle de mes gestes. A chaque fois que je vois ma vieille mère, je fais très attention à ne pas la renverser. Tout est une question de calcul : quand je me déplace, je mesure mentalement l’espace qui me sépare des gens et je veille à ne pas être trop près. D’une certaine manière, le Parkinson m’a appris la distanciation sociale avant la COVID-19…

Comment votre état évolue-t-il chaque jour ?

Chaque pas en avant est une victoire. C’est dur à comprendre pour ceux qui ne connaissent pas cette maladie. Et c’est très dur pour l’entourage, peut-être plus encore que pour moi. Par exemple, pour me rendre depuis mon appartement new-yorkais dans mes bureaux, qui se trouvent pourtant dans le même immeuble, c’est toute une histoire. Chaque matin quand je me réveille, il me faut une heure pour commencer la journée. Je n’arrive plus à pianoter sur un clavier d’ordinateur, mon écriture est effroyable, donc j’ai dicté mon livre à mon assistante. Les mots me viennent à l’esprit plus vite que ceux qui sortent de ma bouche. Parfois, ça donne des situations cocasses… Autrefois je mémorisais très vite mes scènes, de manière quasi photographique, je n’y arrive plus. Du coup, j’ai pris officiellement ma retraite d’acteur l’an dernier, même s’il ne faut jamais dire jamais.

Comment avez-vous réagi quand vous avez appris le diagnostic en 1991, à l’âge de 29 ans ?

J’avais déjà tendance à trop boire auparavant, mais à partir de ce moment-là j’ai carrément sombré dans l’alcoolisme. Mes symptômes étaient pourtant minimes : je souffrais simplement de douleurs musculaires et d’un léger tremblement de doigt. Mais le neurologue que ma femme, Tracy, m’avait poussé à consulter m’a annoncé que je n’en avais plus que pour dix ans à travailler ! Je n’arrivais pas à comprendre… Et je ne saurai jamais comment j’ai attrapé un Parkinson, c’est impossible à savoir, ce qui est également déstabilisant. J’ai préféré cesser de me poser la question.

Qu’est-ce qui vous a aidé à tenir ?

La meilleure décision que j’ai prise, c’est d’arrêter l’alcool, trois ans après mon diagnostic. C’était un soir, Tracy me retrouve assoupi sur le canapé devant la télé, avec une bouteille de bière vide renversée par terre, j’étais ivre et c’était pitoyable. Je n’oublierai jamais l’expression d’ennui que j’ai lue alors sur son visage. Pire que la colère. « Est-ce vraiment comme ça que tu veux finir ? » m’a-t-elle demandé. Je la décevais. C’est elle qui avait raison. Parkinson et alcoolisme, c’était trop pour un seul homme. Arrêter de boire a été une délivrance. Du coup, Tracy a voulu avoir d’autres enfants, nous en avons eu quatre et cela aussi m’a donné de la force.

Vous avez attendu sept ans pour révéler votre maladie au grand public, en 1998. Pourquoi ?

J’étais terrifié. J’avais peur de la réaction des gens et du voyeurisme. Mon premier réflexe a donc été de la cacher. Quand mon doigt se mettait à trembler de manière trop voyante, je glissais ma main dans une poche ou sous ma jambe. Après trois ans, j’étais devenu plus lent dans mes expressions faciales, moins précis dans mes gestes. Les symptômes étaient dès lors impossibles à dissimuler… En fait, dire la vérité sur ma maladie fut un immense soulagement. Cet aveu a été accueilli avec beaucoup de respect et de sympathie de la part du public, ce qui m’a beaucoup aidé par la suite.

Tracy a été essentielle dans votre combat contre le Parkinson…

Oui. Sans elle, je ne pourrais rien. Elle est forte, c’est son côté russe ! Quand je lui ai appris la nouvelle, elle s’est mise à pleurer comme moi, mais elle a fait face. Nous avions déjà notre aîné, Sam, qui avait 2 ans. C’était dur pour elle. J’aurais compris qu’elle me dise : « C’est trop pour moi » et qu’elle finisse par partir… Mais non. Instinctivement, j’ai compris qu’elle allait rester auprès de moi. C’est mon roc !

Vous êtes mariés depuis 33 ans, quel est le secret de votre couple ?

Nous nous sommes rencontrés sur le tournage de la série télévisée « Sacrée famille » en 1985, Tracy jouait ma petite amie. Je suis tombé amoureux quand elle m’a traité de connard après que je lui avais demandé comment étaient ses scampis à l’ail, manière de lui signaler qu’elle avait mauvaise haleine… J’étais une star, personne n’osait me parler comme ça. Cette franchise m’a beaucoup plu. Depuis le premier jour, Tracy me comprend d’instinct. Je me souviendrai toujours de ce moment où je l’ai retrouvée sur le parking du tournage, un an après l’incident des scampis. Ma Ferrari était garée à côté de sa Volkswagen, elle avait la radio allumée et m’a dit : « Tiens, écoute ça ! » C’était la chanson de James Taylor « That’s Why I’m Here », basée sur l’histoire de John Belushi [mort à 33 ans au sommet de sa carrière, NDLR]. J’ai tout de suite compris qu’elle avait saisi mes vulnérabilités, mes démons…

Et c’est là que votre histoire a commencé…

Oui, elle venait de rompre avec son boyfriend.

Et vous ?

Oh, moi… J’étais très occupé avec les femmes. J’avais le monde à mes pieds, je vivais dans une belle maison à Laurel Canyon. Quand une tentation s’offrait à moi, je disais toujours oui. Tout ça aurait pu mal finir. Mais c’était drôle.

Le succès vous était-il monté à la tête ?

Tout est arrivé très vite, trop sans doute. Je venais de nulle part. En 1979, j’ai quitté mon lycée de Vancouver au Canada pour tenter ma chance à Hollywood. J’étais parti pour des années de galère où je mangeais mal et m’incrustais dans les soirées pour boire des bières gratuites… Je me souviens avoir loué un poste de télé noir et blanc minable à 6 dollars par mois pour égayer mes soirées dans mon appartement miteux ! Et tout d’un coup, en 1982, j’ai été pris à une audition pour la série « Sacrée famille » qui a fait un carton. Subitement, je suis devenu l’ami des Américains. Puis, avec le succès mondial de « Retour vers le futur », une star planétaire… A 24 ans !

Regrettez-vous cette période ?

Non. Je vivais un rêve. Quand j’ai laissé mon Canada natal pour Los Angeles, mes parents étaient archi contre, ils me disaient que j’étais fou. Je leur répondais que si je restais à Vancouver, je finirais mal, frustré toute ma vie…

D’où vous vient cet optimisme inébranlable ?

De Nana, ma grand-mère maternelle irlandaise qui était une figure dans la famille. Tout ce qu’elle annonçait se révélait généralement exact. Quand j’avais 10 ans, elle disait : « Vous verrez, celui-là, il deviendra célèbre. » Ça m’a beaucoup aidé à avoir confiance en moi. Le risque a toujours fait partie de mon ADN. A l’école, personne ne m’ennuyait à cause de ma petite taille [1,63 mètre, NDLR] : tous ceux qui ont essayé ont échoué, je me débrouillais toujours pour être le meilleur ami du caïd de la classe. Et j’excellais en hockey, un sport national au Canada, peut-être justement pour dépasser mon gabarit. A 13 ans, je me retrouvais dans les équipes de garçons qui avaient de la barbe au menton et deux fois ma taille ou presque ! Donc personne ne m’a jamais harcelé. Ni même la maladie aujourd’hui… J’ai décidé de l’accepter et de coexister avec elle, c’est tout.

Mais votre optimisme légendaire a failli être mis à mal par une simple fracture du bras en 2018. Pourquoi ?

Parce que c’était la chose la plus idiote qui puisse m’arriver ! Et même s’il s’agit d’un accident, j’en étais responsable. Je venais de me faire opérer de la colonne vertébrale, une intervention ultra-délicate et non liée au Parkinson, qui risquait de me laisser paralysé. Il s’agissait de retirer une tumeur. J’en étais sorti guéri et indemne, c’était miraculeux, à une condition : que je ne tombe pas. Et c’est exactement ce que j’ai fait cet été 2018, après avoir dit à ma fille Schuyler, une de mes jumelles alors âgées de 23 ans, que ce n’était pas la peine de rester à veiller sur moi. Je m’en suis énormément voulu vis-à-vis d’elle, car je peux facilement imaginer la culpabilité qu’elle a pu éprouver en me laissant seul à la maison, mais aussi vis-à-vis de ma femme et du docteur Theodore qui a mené l’opération et m’a grosso modo sauvé la vie…

C’est pourtant un accident qui peut arriver…

La vérité, c’est que j’étais tout guilleret car le lendemain je devais tourner une scène dans un film produit par Spike Lee sur Netflix, « See You Yesterday ». C’était génial, ça me rappelait mes jeunes années d’acteur, j’étais flatté qu’on me fasse encore tourner, et j’adore Spike Lee. Sauf que je me suis surestimé. J’avais basculé dans une forme de déni. Je suis très fier de ma fondation, qui a levé plus de 1 milliard de dollars depuis sa création pour financer la recherche scientifique et trouver le remède contre le Parkinson. Peut-être le trouvera-t-on de mon vivant, sait-on jamais… J’étais en paix avec cette maladie qui m’est tombée dessus sans que je sache pourquoi. Mais cette situation, j’aurais pu l’éviter. Et, d’un coup, je me suis demandé : ai-je péché par naïveté ? Par excès d’optimisme ? Et, à travers ma fondation, suis-je devenu un marchand d’optimisme ?

Et comment vous en êtes-vous sorti ?

Le père de Tracy, Stephen, un homme que j’aimais beaucoup, et qui est mort cette même année 2018, me disait souvent : « Ça s’arrange toujours. » Je pense beaucoup à lui depuis cette douloureuse expérience. J’ai développé une forme de sagesse qui s’appelle gratitude. Gratitude d’être en vie. De voir ma femme danser un soir à un concert. Grâce à la COVID-19, par exemple, pour la première fois de ma vie, j’ai vécu plusieurs mois avec mes enfants, dans notre maison de campagne de Long Island, à côté de New York. On a passé des soirées entières à discuter de tout, en particulier des manifestations Black Lives Matter du printemps dernier. J’ai redécouvert mes enfants que je croyais connaître ! Ce que j’appelle gratitude, c’est le fait de reconnaître que la COVID-19 est une période épouvantable qui m’a aussi permis de vivre ces moments uniques.

Avez-vous peur de la mort ?

Non. Je n’y pense pas. L’essentiel est de profiter du présent. Je ne fais aucun plan. Je n’ai aucune idée de la façon dont nous fêterons mes 60 ans en juin prochain. On adore voyager pour les grandes occasions. Chaque réveillon, je le passais autrefois en famille dans les îles Turks et Caïcos, dans les Caraïbes, où je retrouvais mon pote Keith Richards. Mais cette fois, qui sait ce que l’avenir nous réserve ? Nana, ma grand-mère irlandaise, est partie entourée des siens en disant : « Oh la la ! » Ce sont ses derniers mots. Une mort comme celle-là m’irait très bien…

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.