ATTENTATS À PARIS

Une riposte inadaptée, juge un ex-agent secret

Il y a des années que la France se prépare à un attentat de l’ampleur de celui qui l’a frappée hier. La riposte sécuritaire était pourtant pleine de failles, constate Yves Trotignon, ancien analyste du service de renseignement extérieur de la France (DGSE). De passage à Montréal, où il participait à un colloque sur le terrorisme, ce spécialiste des mouvements djihadistes nous a accordé une entrevue à chaud, hier soir, alors que les événements étaient toujours en cours dans la capitale française.

Comment réagissez-vous aux attentats de Paris ?

C’est un choc. C’est l’un des attentats les plus meurtriers de l’histoire française. C’est un drame, une tragédie, un choc politique énorme. La France est en état d’urgence, les frontières sont fermées, il y a de facto une forme d’état de guerre, déclarée par les autorités. Mais ce n’est pas une surprise. L’idée d’attentats simultanés dans Paris, avec prises d’otages, fusillades et kamikazes, est dans l’esprit des services de renseignement et de sécurité depuis des années.

Pourquoi les services de renseignement s’y attendaient-ils ?

En raison de deux événements majeurs. D’abord, l’attentat de Bombay de 2008, très semblable, sur le plan opérationnel, à celui qui vient de se dérouler à Paris. Ensuite, un projet d’attentat de cette nature a été déjoué à Paris en 2010. Cela fait donc des années que les services de sécurité s’y préparent.

Et la population française aussi ?

Oui. Le terrorisme occupe beaucoup les esprits. En début de semaine encore, le débat portait sur la légitime défense des policiers. La presse française évoquait la possibilité pour les policiers d’ouvrir le feu sur des terroristes sans être eux-mêmes menacés. On avait la certitude que quelque chose de grave allait se passer. Cela dit, on avait tendance à croire que les djihadistes étaient des « bras cassés ». On évoquait le cas du type qui s’est blessé lui-même avec sa kalachnikov (en avril à Paris). On se disait qu’ils étaient tous comme ça. Et d’un seul coup, on se retrouve avec des dizaines et des dizaines de morts. Et on se dit : on n’a peut-être pas seulement affaire à des incapables.

Les djihadistes favorisent désormais les actions isolées et font appel à des volontaires, dans les pays ciblés. Pour les services de renseignement, est-ce plus compliqué de déjouer leurs plans ?

Tout à fait, le défi est extrêmement important. Les modes opératoires ont évolué. Les réseaux ont changé de nature. On n’a plus affaire à de grands groupes très structurés comme il y a une vingtaine d’années. Les réseaux, plus petits, sont constitués localement. Personne n’est venu de l’étranger pour les organiser ; les membres de ces cellules se trouvent déjà à l’intérieur du pays. Évidemment, ils sont plus difficiles à détecter.

Se pourrait-il que les auteurs des attentats de Paris n’aient aucun lien formel avec un groupe terroriste organisé, mais qu’ils aient tout simplement été séduits par sa propagande ?

Pour le moment, il est difficile de porter un jugement sur la nature du groupe. Ce qui est sûr, c’est qu’il y a eu plusieurs attaques simultanées. Il faut donc imaginer que ces personnes ont été soutenues par d’autres. Il faut constater qu’on a affaire à une opération très meurtrière, dont le mode opératoire n’avait encore jamais été mis en œuvre en Europe, sauf peut-être par Anders Behring Breivik, qui avait abattu des dizaines d’étudiants en 2011 en Norvège. Il s’agit ici de la même logique : celle du terroriste mobile qui tue, et qui tue en masse.

C’est pour cela que les terroristes se sont attaqués au Bataclan et au Stade de France ? Pour faire un maximum de victimes ?

Exactement. Ils ont écarté l’idée d’attaquer un bâtiment protégé ou surveillé par les autorités. Ils ont ciblé des bâtiments dont il était relativement difficile de s’échapper. Leur idée, c’était de faire le plus de morts possible.

Comment la France peut-elle se prémunir contre de telles attaques ?

On croyait s’être prémunis ! Après l’adoption d’une loi au printemps, les services de renseignement et de sécurité ont vu leurs moyens renforcés. La France est en mode vigipirate rouge depuis les attentats de Charlie Hebdo. Il y a des patrouilles militaires dans les rues. Mais on se rend compte que la riposte n’est pas adaptée, alors qu’on nous disait qu’elle l’était. Le bouclier a des trous. Il ne sert à rien contre les gens qui nous frappent. Il faut faire autrement.

Mais alors, y a-t-il un moyen de stopper cette menace ?

La logique du terrorisme, c’est de frapper des civils désarmés pour avoir un effet politique sur les autorités. Pour que l’effet politique soit moindre, il faut que les populations soient solides. La résilience, c’est la mobilisation, ce sont les manifestations de janvier à Paris. C’est aussi refuser des mesures précipitées, de céder à la panique ou de considérer tous les musulmans ou les immigrés comme des suspects. La résilience, c’est la capacité de se serrer les coudes. C’est ne pas cacher son émotion, mais ne pas la transformer en effet politique.

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