Radios francophones

Des tubes anglophones à profusion et, surtout, passéistes

Les stations risquent de se couper de leur auditoire plus jeune en n'accordant pas à la relève musicale la place qui devrait lui revenir

Alors que se tiennent les consultations du CRTC dans le cadre du renouvellement de la Politique sur la radio commerciale, il est légitime de se demander ce qui dicte les choix des radios en matière de programmation musicale. Les radios étant toujours un vecteur de diffusion dans l’offre musicale et accompagnant bien des gens dans leur quotidien, de la voiture au travail en passant par la maison, on aurait tort de penser que l’enjeu du cadre réglementaire entourant leur pratique appartient à une autre époque.

Pour autant que le numérique ait transformé notre relation à la musique, certains médias comme la radio n’ont pas dit leur dernier mot et cohabitent bien avec le numérique, tout en conservant une place de choix dans les pratiques culturelles des Canadiens. À titre d’exemple, les données découlant des études de marché réalisées par Numeris (anciennement BBM Canada) montrent des chiffres s’exprimant toujours par milliers d’écoute à la minute, par exemple pour certaines stations du Grand Montréal.

Dans ce contexte, les demandes de l’Association québécoise de l’industrie du disque, du spectacle et de la vidéo (ADISQ) – mémoire déposé au CRTC la semaine dernière – quant aux responsabilités que doivent assumer les radios de la bande FM face au contenu francophone me semblent tout à fait légitimes. Si tant est que le contenu francophone et local contribue à la diversité culturelle du Canada, ledit contenu doit aussi se véhiculer dans la programmation des radios. Les quotas demandés par l’ADISQ visent donc un juste équilibre dans l’offre musicale et dans la survie de tout un milieu artistique.

On peut en faire chacun l’expérience à titre de mélomane durant les heures de grande écoute des radios francophones du Grand Montréal dont la programmation est axée sur la musique. À l’exception des radios communautaires, universitaires et d'ICI Musique, on constate une omniprésence des chansons de langue anglaise. Il arrive même parfois de traverser la bande FM – par exemple à 9 h pour en avoir fait l’expérience dans les deux, trois denières semaines – sans tomber sur la moindre chanson en langue française.

Quelle place pour la relève ?

Mais il y a plus dans les revendications de l’ADISQ, car le mémoire aborde aussi la présence des musiques actuelles. Ici on touche un enjeu qui est au cœur même du développement des musiques populaires et des goûts qui distinguent chaque époque.

Ce qu’on observe depuis quelques années dans la programmation de plusieurs stations est un fléchissement vers les musiques populaires du passé selon une déclinaison par décennie : les années 1970, les années 1980, etc.

Le phénomène n’est pas nouveau car il a fait le succès de certaines stations, par exemple CHOM dans le Grand Montréal avec la mise en valeur du canon rock (classical rock). Mais alors que les radios francophones avaient tendance à se tourner vers le passé musical davantage dans leurs émissions de fin de semaine, maintenant la logique des méga hits inonde les stations dans les heures de grande écoute et se reflète aussi dans leurs publicités à travers l’allusion aux classiques de la musique. Les radios se tournent donc vers les valeurs sûres des musiques populaires, ces dernières étant limitées au mainstream anglo-américain des dernières décennies du XXsiècle.

En quoi une telle situation pose-t-elle problème ? Pour autant qu’on ne puisse écarter d’un revers de main le plaisir qui consiste à se replonger dans de vieux succès, dans la foulée on ne peut rester indifférent face à l’impasse dans laquelle conduit une telle situation. D’une part, parce que les chansons proposées d’une station à l’autre tendent vers les mêmes succès appartenant aux années 1960 à 1990. D’autre part, parce que l’effet pervers est de ne pas soutenir la relève musicale du moment présent et le développement des chansons qui deviendront à leur tour de vieux succès.

En poursuivant dans cette voie, les radios risquent de se mettre à dos les nouvelles générations eu égard aux sons qui définissent leur époque et à la pluralité musicale à laquelle elles sont exposées sur la Toile. Car si les radios ont été un moyen de développement extraordinaire des musiques populaires au XXsiècle – pensons seulement au rock and roll –, leur programmation actuelle les place en déphasage avec leur époque et pourrait bien leur coûter cher à long terme. Prendre des risques en matière de programmation musicale, c’est donc une façon de fidéliser le public de demain. Autrement dit, on peut aussi se lasser à se voir offrir toujours les mêmes chansons !

* Danick Trottier est l’auteur du livre Le classique fait pop ! Pluralité musicale et décloisonnement des genres (XYZ Éditeur).

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