EXTRAIT

Le Tao du tagueur, de Serge Ouaknine

« “En chinois, ce que tu as écrit veut dire : Tchen. L’ébranlement. L’éveilleur de tonnerre. Tu as écrit mon nom. Y avait-il un frère avant toi ? Est-il décédé ?” J’ai sursauté : “Ma mère a perdu un enfant avant ma naissance. Comment le sais-tu ? — C’est ça le Tao. Les signes apparaissent quand on se met en route… Mais je ne parle pas chinois ! — Quand on dessine, on est tous un peu chinois.” Cette fois encore, elle a ri très fort. J’ai posé mes mains sur ses bras. Une force étrange nous enveloppait. »

Entrevue

La beauté du geste

Le tao du tagueur

Serge Ouaknine

XYZ, 176 pages

Serge Ouaknine a touché à tout dans les arts, mais il n’avait pas encore écrit de roman. Voilà qui est fait. Il crée une trace avec Le tao du tagueur, chez XYZ.

On écouterait Serge Ouaknine pendant des heures. Il est intarissable, imagé et imaginatif, passant de Molière à Kandinsky et à la calligraphie chinoise dans un seul geste. 

Il est poète et sait les images. Il est metteur en scène et connaît les gestes. Il est peintre et comprend l’importance de la ligne. Sa vie dans les arts l’a amené à ce premier roman, Le tao du tagueur

« Mon goût d’écriture est né du désir d’une métaphore du monde, explique-t-il. Que ce soit par le geste graphique ou par l’écrit, c’est la même question. Après 35 ans de théâtre, en vieillissant, on mesure que la transmission ne passe pas que par l’éphémère de la parole, mais quand elle se dépose dans l’écriture. »

Sa route l’a mené à Montpellier où il est resté trois ans. Il y a découvert une ville couverte de tags, ces signatures urbaines que l’on retrouve partout de nos jours, symboles d’un drame social qui a suscité sa réflexion.

Son roman raconte une histoire d’amour entre un ex-publicitaire français devenu tagueur, fils de mineur, et une Chinoise amoureuse de la langue de Molière, fille de calligraphe. 

« Mon tagueur a vécu le négoce de l’image en publicité, note-t-il. Il s’en est détaché et est parti à la recherche de lui-même. C’est un loup solitaire qui cherche le geste juste pour sortir du geste mercantile. »

Homme d’arts visuels et de théâtre, Serge Ouaknine parle avec les mains. Il a sculpté un roman sur le langage, la création, le destin. Un homme et une femme liés par l’écriture, dans le geste, tonnerre et éclair d’une même tourmente.

« Le tao nous dit : quand on est à l’heure de soi-même, ici et maintenant dans le lieu, et que l’on fait un geste, si nous sommes à l’écoute de ce que nous faisons, le geste sera juste. » — Serge Ouaknine

Leily et le tagueur, surnommé Panda, devaient se rencontrer. C’est leur vérité. lls la vivent sans trop savoir pourquoi au début. Le récit nous amènera à voir tout ce qu’il y a derrière, dans le passé des personnages, qui les soude et les amène sur un « chemin de connaissance ». 

« Le père de Leily est porteur d’un art ancestral, dit-il. S’il meurt, la langue meurt. Elle décide à ce moment-là d’apprendre une autre langue, le français, à la perfection. C’est un geste de survie. Et elle aidera le tagueur à trouver son ciel. »

GROTOWSKI

Son apprentissage d’artiste, à lui, est passé par le grand metteur en scène polonais Jerzy Grotowski. 

« Il m’a dit un jour : “Essaie d’écouter le bruissement de l’être qu’on n’entend pas. Quand tu parleras aux acteurs, c’est cela que tu dois guider, cette chose innommable.” »

Juif marocain, Serge Ouaknine a étudié les beaux-arts avant de bifurquer vers le théâtre. Il est venu ici à Montréal et est entré à l’UQAM. Il a peint, enseigné, mis en scène. 

Il possède toujours son pied-à-terre ici, mais voyage en ce moment entre des projets à Jérusalem et à Montpellier, un programme qu’il a développé pour des médecins. 

DU TAG AU LIVRE

À ses yeux, il n’y a point de rupture entre ses nombreuses activités. Le geste, son geste, se poursuit. À Montpellier, il a fait 4000 photos de tags qui sont presque tous disparus aujourd’hui. 

« J’ai voulu que le livre soit construit comme un idéogramme. Chaque séquence est autonome. On passe de l’intime à la rue, de la maison aux souvenirs. On voyage dans le temps. Ça m’a pris un temps inouï pour en arriver à un récit et non à une anecdote », décrit-il.

Après une rencontre déterminante avec l’éditrice Marie-Pierre Barathon chez XYZ, il a réussi à transformer ce qui était presque une thèse de doctorat sur le tag. C’est elle qui a trouvé le titre. Il tient à le dire.

« Je souhaite que tout écrivain ait la chance d’avoir une relation pareille avec son éditrice. Ça n’a pas de prix », affirme-t-il.

Et après le roman ? Le théâtre, voyons ! Il écrit une pièce très actuelle dont il ne faut rien dévoiler pour ne pas faire dévier sa main, pour ne rien enlever au risque. 

« La vie m’a appris que chaque fois que l’on plonge vers l’inconnu, il y a une porte du ciel qui s’ouvre, dit-il. La Providence apparaît. Dieu aime les nomades, ceux qui se donnent et s’abandonnent. Pas les sédentaires. »

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