Abandon du projet Dawson

Une décision malavisée et à déplorer

Nous y voici. À la suite de l’intense croisade médiatique et politique à l’endroit du projet immobilier de l’agrandissement du collège Dawson, le gouvernement fait volte-face et cède sous la pression : le projet autrefois priorisé est mis au rancart. Alors que le besoin est largement documenté et établi selon les normes ministérielles en matière d’allocation d’espaces pour les cégeps du Québec, il appert qu’il y aura dorénavant deux catégories de collèges publics : ceux pour qui les normes s’appliquent, et ceux pour qui ces normes sont vaines. Autrement dit, les cégeps ayant le malheur de dispenser de l’enseignement en anglais seront traités différemment des autres, et de facto deviendront des établissements de second ordre. Une décision malavisée à maints égards.

Anguille sous roche

L’argument utilisé par le premier ministre pour expliquer cette décision est bancal : il faut donner priorité aux étudiants francophones et, par conséquent, financer d’abord les projets d’infrastructures des cégeps francophones. Pourtant, c’est le gouvernement lui-même qui détermine le nombre d’étudiants pouvant fréquenter tel ou tel établissement. C’est ce qu’on appelle dans le jargon le « devis pédagogique ». Dans le cas du collège Dawson, ce contingent se situe actuellement à quelque 7900 étudiants. Et il arrive que ce nombre génère des besoins en espace de quelque 11 000 mètres carrés additionnels par rapport aux espaces actuellement dévolus au collège.

Veut-on priver les étudiants de Dawson de ce à quoi ils ont droit, et ce, en vertu même des paramètres mis en place par le gouvernement ? Poser la question, c’est y répondre.

Mais il y a anguille sous roche ! En prenant cette décision, le gouvernement fait le pari, conscient ou non, qu’à terme, le plafonnement imposé par la future loi 96 fera son œuvre d’attrition, et que bientôt il n’y aura que les soi-disant étudiants anglophones – les ayant-droits, selon le terme des technocrates – qui accéderont aux cégeps anglophones. Car, c’est entendu, ces établissements sont là d’abord et avant tout pour servir la communauté anglophone ! Funeste erreur.

Bilinguisation et non-anglicisation

La virulence avec laquelle le projet de Dawson, et celui de McGill incidemment, a été vilipendé par les prétendus experts – certains commentateurs et acteurs politiques – au cours des dernières années laisse pantois. Mais cette virulence ne fait pas illusion. La hargne des contempteurs a des relents de ressentiment et repose sur un narratif savamment construit faisant de Dawson (et des établissements similaires) le vilain de l’histoire. C’est connu : un francophone ou un allophone qui a passé deux ans dans un collège comme Dawson s’est anglicisé irrémédiablement ! Dès lors, Dawson et les autres sont coupables de favoriser la substitution linguistique et d’entraîner la louisianisation du Québec ! Plutôt fort en café comme narratif. Comme si ces établissements étaient responsables de l’attractivité de l’anglais dans le monde aujourd’hui.

La vérité est tout autre. Dans les faits, les établissements comme Dawson auront permis au fil des ans à de nombreux jeunes, francophones et allophones, d’obtenir ce qu’ils n’ont pu obtenir ailleurs : la maîtrise de l’anglais, atout indispensable dans un monde qui n’a rien d’unilingue.

Ces jeunes et moins jeunes ont exercé un choix pour leur avenir et n’ont pas abandonné pour la plupart, quoiqu’on en dise, leur identité francophone. Maîtriser l’anglais, devenir bilingue, ça n’équivaut pas à s’angliciser, tant s’en faut !

Les établissements anglophones, comme Dawson et McGill, ont exercé jusqu’ici leur mission avec la ferme conviction qu’ils œuvraient à la constitution d’un Québec moderne, confiant en lui-même et ouvert sur le monde. Ils ont contribué à former des générations de citoyens et citoyennes engagés dans la vie de ce Québec. Ils ont toujours considéré que ce faisant, ils participaient au développement de la société dans son ensemble. De les restreindre dans leur capacité d’action et de les confiner dans un rôle de seconde zone, cela relève d’une vision étriquée qui se fera au détriment du Québec lui-même et de ces milliers de jeunes qui espèrent plus de leur gouvernement qu’une politique réactive de repli sur soi.

Il faut déplorer la décision de l’actuel gouvernement d’enfreindre ses propres règles et, pour des fins et considérations qu’on devine sans peine, octobre approchant, de faire porter à Dawson l’odieux d’une situation qui ne relève pas stricto sensu de sa responsabilité. C’est décidément malheureux, peu judicieux et, à la limite, un peu mesquin.

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