Ultracyclisme

Des classes de maths aux routes du Tour de France

À l’occasion, Jessica Bélisle sort du plan de cours de mathématiques pour aborder les défis sportifs qu’elle a relevés dans les dernières années. Elle parle de ses traversées du Canada à vélo ou de son voyage dans les 17 régions du Québec. Elle glisse un mot sur ses records sur un vélo d’appartement ou ses débuts en triathlon, sa nouvelle grande passion.

En face d’elle, il y a bien souvent de la curiosité, voire de l’admiration. « Ça donne un peu la vision qu’il n’est jamais trop tard pour découvrir et réaliser quelque chose. Ça fait toujours parler un petit peu et ça explique bien la personne que je suis », dit la jeune femme en entrevue.

Enseignante de mathématiques au cégep et au secondaire, Jessica Bélisle était une sportive occasionnelle avant de découvrir les joies du vélo à l’âge de 24 ans. Le coup de foudre, puissance 1000, s’est mué en une formidable aventure. Bien plus qu’un moyen de transport ou une simple activité dominicale, le vélo est devenu le compagnon de grandes aventures. À commencer par une traversée du Canada, de Trois-Rivières à Victoria (Colombie-Britannique), en juin 2015.

« Ça s’est vraiment fait sur un coup de tête. J’avais une session à l’université et je n’étais plus certaine de poursuivre dans mon domaine d’études. J’avais besoin d’entamer une réflexion », se rappelle-t-elle. 

« Parallèlement, j’avais toujours rêvé de voir les Rocheuses, mais je ne suis pas fan des voyages en voiture. Je voulais que ça soit différent. Je me suis donné 60 jours pour aller dans l’Ouest. »

— Jessica Bélisle

Avant ce défi, elle n’avait jamais parcouru plus de 100 km à la fois. Du Québec au Pacifique, elle a maintenu un rythme de 213 km par jour et eu une révélation. Son truc à elle, ce sont les longues distances, en solo, et avec un équipement minimal. Elle répète d’ailleurs la traversée du Canada, dans les deux sens, en mai et juin 2016.

Ses aventures ne passent plus inaperçues. Elle s’en rend bien compte lorsque, peu après, elle reçoit un courriel d’un club d’ultracyclisme en France. Des passionnés de longue distance planifient de refaire le parcours du premier Tour de France réalisé en 1903. Elle ne peut pas refuser une participation à cet « Ultra Revival Tour » d’une distance de 2400 km entre Paris, Lyon, Marseille, Toulouse, Bordeaux et Nantes.

Elle poursuit : « Mes défis, ici, ont eu de l’écho jusque-là. Cette idée de reproduire le premier Tour a attiré beaucoup d’hommes, mais aucune femme ne s’était inscrite. Ils ont alors pensé à la Québécoise qui fait de l’ultra. J’ai même été nommée la marraine de ce Tour. […] Je n’avais pas beaucoup de congés et c’est quand même dispendieux d’aller en Europe. Je suis arrivée la veille du départ. Avec le décalage horaire et le dépaysement, la première journée a été très difficile. Je me suis même remise en question pour savoir si j’étais à la hauteur du défi. Les [cinq] autres journées se sont mieux passées et j’ai réussi à me démarquer. C’est là que j’ai compris que l’endurance était vraiment ma force. » 

Au bout du compte, ils ne sont que 11, dont Jessica, à franchir la ligne d’arrivée devant le château de Versailles.

Vers le triathlon extrême

Mis à part le traditionnel chien trop agressif qui essaie de croquer un mollet, Jessica Bélisle n’a jamais fait de mauvaises rencontres sur les routes. Par contre, il est impossible d’éviter les blessures lorsqu’on parcourt autant de kilomètres. En août 2016, elle subit ainsi des fractures à un poignet et à un coude après une chute à vélo. La convalescence est pénible. Pendant trois ou quatre mois, elle ne fait aucun sport et compose sans l’adrénaline et les endorphines qui accompagnent ses longues sorties. Mais, à cette période, elle entend parler d’un record sur vélo d’appartement. À la blague, on la met au défi de battre le record de kilomètres parcourus en 62 et 128 heures.

Elle s’y attaque, dès que l’on enlève son plâtre, avec 1628 km en cinq jours. En mars 2017, elle bat les deux records en parcourant notamment 3109 km en 128 heures. « J’avais une petite table à côté de moi pour manger directement sur le vélo. Je faisais des pauses de deux ou trois minutes toutes les heures ou deux heures. Ça me laissait le temps de me changer ou de passer rapidement sous la douche », explique celle qui fait une maîtrise en mathématiques et informatique à l’Université du Québec à Trois-Rivières.

« J’ai dormi, une fois, pendant trois heures, mais ç’a été très difficile de rembarquer sur le vélo après. Mon corps s’est comme mis un peu en mode veille. » — Jessica Bélisle

L’an dernier, Jessica a fait une petite infidélité au vélo en essayant le triathlon. Si elle avait démarré ses aventures à vélo sans grand entraînement, elle a, cette fois, été méthodique en y consacrant de 15 à 25 heures chaque semaine. Elle a d’abord participé au triathlon Xtreme de Lac-Mégantic – la distance est la même que celle d’un Ironman, mais avec 4000 m de dénivelé positif –, puis à l’Ironman de Mont-Tremblant. Elle y a pris le deuxième rang de sa catégorie d’âge avec un temps de 10 h 48 min 27 s.

« J’ai découvert une autre passion avec le triathlon. J’aime le fait de jumeler les trois sports tout en y allant quand même sur les longues distances et en variant les efforts. Je trouve que c’est aussi un bon monde avec des gens inspirants à rencontrer », dit celle qui participera à un premier ultra-trail, le Gaspesia 100, l’été prochain. « C’est mon nouveau défi. Je ressens de plus en plus le besoin de me renouveler et d’explorer de nouvelles sphères. J’ai quand même quelques défis de vélo en tête même si je consacre une bonne partie de mon entraînement à la course à pied. »

Des rêves

La saison 2019 sera donc faite de nouveautés pour Jessica Bélisle. Elle l’entrevoit avec optimisme depuis qu’elle a récemment subi une opération au genou gauche afin de lui retirer un kyste de Baker. « Le médecin qui a fait la procédure m’a dit que ça devait être assez incommodant. Effectivement, ça faisait six mois que je le traînais. En fait, ça faisait six mois que je m’entraînais en ne connaissant pas autre chose que la douleur. Ça me faisait mal sur les efforts à long terme. Je ne pouvais pas exploiter mon potentiel d’endurance », regrette-t-elle.

Elle prévoit aussi la publication de son premier livre, une « autofiction » pour laquelle elle puisera allègrement dans ses expériences vécues sur les routes du Canada et de France. Et ses rêves ? Elle conserve celui de disputer la Race Across America dont les frais sont, pour l’instant, prohibitifs. Elle se voit bien sur les routes du Pérou dans le cadre de l’IncaDivide ou en France avec le Paris-Brest-Paris.

Dans tous les cas, que ce soit à pied ou à vélo, ici ou ailleurs, elle ne perd jamais de vue ce qui la fait avancer. « Je cherche le dépassement personnel et la fierté d’avoir accompli quelque chose. Je suis compétitive et quand je vois des personnes qui font un exploit ou qui s’entraînent fort pour atteindre un but, ça me donne envie de le faire pour voir si j’en suis capable. Je veux toujours repousser mes limites. »

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