Le syndrome d’Émilie Bordeleau

Au début du XXe siècle, Émilie Bordeleau, jeune fille de campagne, âgée de 15 ans et sans diplôme, est devenue institutrice dans une école de rang. Forte et brillante, elle enseignait aux enfants de tous les âges. On appelait ces jeunes filles les maîtresses d’école.

Les parents les respectaient au plus haut point. Ces jeunes filles s’occupaient des enfants en leur apprenant à lire, à écrire, à compter, à prier, tout en se chargeant de l’entretien des lieux. Elles devaient être célibataires. Elles consacraient tout leur temps à leur mission pour un maigre salaire. Elles avaient le respect de la population. Les parents exigeaient que leurs enfants les écoutent, elles avaient la confiance de tous et l’autorité pour éduquer.

Plusieurs Émilie Bordeleau, tout comme elles, ont arrêté leur carrière pour fonder une famille. Elles avaient été admirables, travaillantes, débrouillardes, dévouées, aimées.

Les choses ont bien changé. Ces femmes ont été les pionnières de l’éducation. Les enfants sont devenus plus nombreux dans les villes et on a ouvert de grandes écoles.

Je me demande parfois si les parents d’aujourd’hui n’auraient pas le syndrome d’Émilie Bordeleau, c’est-à-dire un ensemble de comportements laissant croire qu’ils pensent que les enseignants et les enseignantes ont peu d’instruction et devraient tout sacrifier au profit des enfants de leur école.

Il faut savoir que les enseignants doivent compléter, pour enseigner au primaire et au secondaire, 17 ans de scolarité bien sonnés. Les étudiants font le choix entre les deux niveaux à l’université. À remarquer que c’est autant d’années que pour les avocats, ingénieurs, architectes, notaires, etc. Ma fille a obtenu son diplôme lui permettant d’enseigner autant auprès des petits que des grands. Après un an au secondaire, elle a opté pour le primaire où elle se trouve plus heureuse.

Où est passé le respect ?

La société, dans laquelle se retrouvent les parents, ne réalise pas que les enseignants ont des tâches différentes de celles du début du siècle. Les enseignants ont des compétences multiples et plusieurs d’entre eux ont des maîtrises et même des doctorats. Ce qu’ils ont de semblable à Émilie Bordeleau, c’est la passion et le dévouement. Où est donc passé le respect ?

On ne finit plus de dire que l’on manque de ressources dans les écoles. Je fais confiance à ces professionnels et je les crois. Tout a changé dans les mentalités. Les orthopédagogues, les psychologues, les techniciens en éducation spécialisée, les thérapeutes ne fournissent pas. On a une émergence de troubles et de besoins chez les jeunes. Les enseignants ont besoin de l’appui de plusieurs parents. On sent même parfois de la part des adultes une discrimination entre les opinions sur les enseignants du primaire et du secondaire. Détrompez-vous, ils ont le même nombre d’années de formation. Parfois, ceux du primaire et de la maternelle possèdent même plus de diplômes.

Tout comme dans le temps d’Émile Bordeleau, on leur confie ce qui nous est le plus précieux au monde, nos enfants. Acceptons les changements et considérons leur situation. Je salue le courage de ces premières femmes qui ont fait un grand bout de chemin dans l’éducation. Ne mettons pas de frein dans le perfectionnement du système qui est à bout de souffle. Les enseignants et les enseignantes sont vaillants et amoureux de leur profession. Les Émilie Bordeleau seraient certainement pour plus de ressources. Soyons généreux et respectueux, on a besoin de ces professionnels.

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