Planète bleue idées vertes

Et si on utilisait moins de sel sur les routes ?

Rouler sur de l’asphalte sec en plein hiver a un coût écologique et financier : des centaines de milliers de tonnes de sel et d’abrasifs sont épandus chaque hiver sur les routes du Québec. Sauf sur quelques « écoroutes », qui n’en requièrent pratiquement pas.

Saint-Albert — Il est tombé près de 30 centimètres de neige durant la nuit, mais par ce petit matin de février, on roule déjà sur l’asphalte sur la plupart des routes menant à Saint-Albert, près de Victoriaville.

Sauf sur un tronçon de la rue principale, entre la route 122 et l’intersection au cœur du village.

Un oubli ? Un microclimat ? Que nenni : il s’agit de l’une des 23 « écoroutes » du Québec, où le sel n’est utilisé qu’en dernier recours et les abrasifs, avec grande parcimonie.

« On utilise seulement des manières mécaniques de dégager la route », explique à La Presse le chef des centres de services du Centre-du-Québec au ministère des Transports du Québec (MTQ), Denis Asselin, qui coordonne l’entretien des routes de la région.

Bref, on passe la gratte.

Les abrasifs, comme le sable ou les gravillons, sont réservés aux intersections, courbes et pentes.

Résultat, « la route reste plus longtemps enneigée ».

L’utilisation de « fondants » est tout de même permise dans certains cas, notamment lorsqu’il tombe de la pluie verglaçante, précise M. Asselin.

Une écoroute permet d’ailleurs des économies, souligne Denis Asselin, rappelant que les fondants coûtent environ 100 $ la tonne.

Protéger la rivière et les puits

C’est à la demande de la municipalité que ce tronçon de 3,65 kilomètres a été désigné écoroute par le MTQ, en 2015.

L’objectif était de protéger la rivière Nicolet, qui longe la route, mais aussi les sources d’eau potable de plusieurs résidences de ce village dépourvu de système de distribution d’eau.

« On a une dizaine de puits à moins de 70 mètres de la route », explique le maire, Alain Saint-Pierre.

Le déversement dans la rivière Nicolet des eaux de ruissellement gorgées de sel et de sédiments représentait également un danger pour le fouille-roche gris et le dard de sable, deux espèces de poisson menacées qui y vivent.

« La qualité de l’eau [de la rivière] s’est améliorée dans les dernières années », affirme le maire Saint-Pierre, convaincu que l’écoroute y est pour quelque chose.

« Il n’y a aucun inconvénient, juste des avantages ! »

— Alain Saint-Pierre, maire de Saint-Albert

Le MTQ ne rapporte d’ailleurs aucune plainte ni aucun incident attribuable à l’état de la chaussée depuis que ce tronçon de la rue principale de Saint-Albert a été désigné écoroute.

La sécurité d’abord

Seules les routes où la vitesse permise est d’au plus 80 km/h, affichant un débit de circulation qui n’est « pas trop élevé » et dépourvues de courbes ou de pentes très prononcées peuvent aspirer à devenir des écoroutes, au Québec.

« Il faut absolument une route qui va demeurer sécuritaire malgré un fond de neige durcie », explique l’ingénieur Pierre-Guy Brassard, chef du secteur entretien hivernal et technologies d’exploitation au MTQ.

Il faut aussi que la demande vienne du milieu et que la désignation serve à protéger un milieu vulnérable.

Un panneau est installé pour prévenir les usagers de la route qu’ils s’engagent sur une chaussée où un « mode d’entretien alternatif » est utilisé, et les inviter à adapter leur conduite.

Les écoroutes sont apparues il y a une douzaine d’années, au Québec, mais ce n’est que depuis six ans que leur nombre « a augmenté de façon plus significative », explique M. Brassard.

Le Québec en compte maintenant 23, dont la plus récente s’est ajoutée cet hiver, à Lac-Supérieur, dans les Laurentides : un tronçon de 2,5 km du chemin du Lac-Supérieur.

« Les écoroutes, c’est un de nos outils pour diminuer notre empreinte environnementale », affirme Pierre-Guy Brassard.

Sels toxiques

Quelque 800 000 tonnes de sel sont épandues chaque hiver sur les routes du Québec, selon le MTQ.

En résulte « une atteinte sévère à la biodiversité là où les sels se répandent », affirme Marc Olivier, professeur-chercheur au Centre de transfert technologique en écologie industrielle, à Sorel, et professeur à l’Université de Sherbrooke.

« Sur les premiers deux à trois pieds de chaque côté des routes [où on épand quantité de sel], la végétation qui réussit à pousser là n’est pas la même », note Marc Olivier. Seules les plantes les plus résistantes, comme l’herbe à poux, survivent et prolifèrent, explique-t-il.

L’usage intensif de sel de déglaçage avait aussi rendu impropre à la consommation l’eau de certains puits situés à proximité de l’autoroute 55, à Trois-Rivières, dans les années 1990, rappelle-t-il.

Tout comme il peut transformer en « lac marin » un plan d’eau où sont drainés les sels de voirie, menaçant la survie des espèces aquatiques qui y vivent.

À la maison aussi

L’utilisation de sels de déglaçage à domicile peut aussi avoir des conséquences néfastes à plus petite échelle. « Si je mets du sel, non seulement je me trouve à dégrader la surface des matériaux, peu à peu, mais je suis en train de dégrader les plantes de mes platesbandes », souligne le professeur-chercheur Marc Olivier, qui préconise de limiter l’utilisation de fondants aux « cas extrêmes ». Il a d’ailleurs contribué l’an dernier à la réalisation d’une enquête du magazine Protégez-vous sur les produits de déglaçage vendus en magasin.

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