La mort cérébrale est-elle une vraie mort ?

Quand un patient est déclaré en état de mort cérébrale, il est légalement mort. Ses organes peuvent être prélevés. Une minorité de médecins et certains proches de patients contestent cette équivalence. L’Institut neurologique de Montréal l’aborde jeudi soir, lors d’une conférence d’un éminent spécialiste de l’Université Harvard.

Controverse

La mort cérébrale génère de plus en plus de controverses. Il y a eu une jeune fille qui, après avoir été déclarée morte, a « vécu » cinq autres années et a connu la puberté. Et une jeune femme qui, déclarée morte alors qu’elle était enceinte de neuf semaines, a fini par accoucher six mois plus tard.

« La grande majorité des neurologues s’entendent pour dire que si certaines fonctions cérébrales ont disparu, notamment si le patient ne peut pas respirer sans aide mécanique, il s’agit d’un état de mort cérébrale d’où il n’est pas possible de revenir », explique Éric Racine, un bioéthicien de l’Institut de recherches cliniques de Montréal (IRCM), qui organise la visioconférence de ce soir. « Mais une minorité estime problématique que le public et les médias ne comprennent pas que légalement, quand on parle de mort cérébrale, on parle de mort. On ne parle plus d’un patient, mais d’un corps. » Le chercheur invité, Robert Truog, de Harvard, fait partie de cette minorité qui aimerait une autre définition de la mort cérébrale.

Une question de définition

Pédiatre de Boston, Robert Truog pense lui aussi que les critères neurologiques de la mort cérébrale décrivent un état d’où il n’est pas possible de revenir. « Je dis aux parents de mes patients dans cette situation qu’il y a extrêmement peu de chances que leur enfant retrouve un état de conscience, même minimale, dit le DTruog en entrevue téléphonique. Mais il reste que ce n’est manifestement pas la même chose que la mort traditionnelle. Nous devrions laisser les familles décider si cet état est considéré comme une mort. »

Ce changement de définition aurait un impact important sur le don d’organes. Le DTruog pense que les formulaires de don d’organes devraient comporter deux réponses, l’une pour la mort et l’autre pour la mort cérébrale. Plusieurs critiques craignent que les dons d’organes liés à la mort cérébrale, une excellente source de dons puisque le corps est encore fonctionnel, diminueraient alors de manière importante.

L’origine du concept

Le concept de mort cérébrale a été proposé à la fin des années 1950 par des médecins français, puis codifié par des neurologues américains. « Avec les progrès de la médecine, on pouvait garder fonctionnels des corps artificiellement, sans intervention du cerveau, dit le DTruog. Des lois ont codifié la mort cérébrale à partir de là. Mais par la suite, les progrès de la médecine ont continué et il est devenu possible de maintenir fonctionnels des corps déclarés en état de mort cérébrale pendant des années. »

Est-ce que des progrès de la médecine pourraient éventuellement permettre de ressusciter d’une mort cérébrale ? « Récemment, des chercheurs de Yale ont réussi à ressusciter un cerveau de porc mort, dit le DTruog. Mais, dans un état de mort cérébrale, le cerveau se liquéfie. Alors, si on attend trop, de toute façon, le cerveau ne sera plus fonctionnel. Donc, je serais prudent quant aux perspectives d’un changement important dans les pronostics. »

L’exception du New Jersey

Le DTruog fait partie d’une commission américaine qui travaille à une nouvelle définition législative de la mort cérébrale, qui pourrait ensuite être adoptée par les États américains. « Il y a beaucoup de dissensions dans le comité, dit le DTruog. Ensuite, il faudra voir si les États l’adopteront tous. »

Déjà, « le New Jersey est le seul État qui ne reconnaît pas la mort cérébrale, à cause d’un lobby par des groupes orthodoxes juifs pour qui la vie est liée au souffle, précise le DTruog. Des familles transportent au New Jersey un membre déclaré en état de mort cérébrale pour profiter de cette exception. » Le Canada est un peu moins touché par ces débats législatifs, parce que la définition de la mort cérébrale y est plus détaillée au point de vue neurologique, selon M. Racine.

État végétatif

Les controverses entourant les patients ayant des dommages cérébraux ne touchent pas seulement les cas de mort cérébrale, mais aussi l’état végétatif, où les patients peuvent respirer par eux-mêmes. « Dans les cas d’état végétatif, une progression vers des états de conscience est parfois possible, même si c’est rare », dit M. Racine. Terri Schiavo, dont l’histoire a déchiré les États-Unis il y a 25 ans, était dans un état végétatif. Tout comme le petit garçon de 5 ans dont la cour a récemment permis l’extubation à l’hôpital Sainte-Justine (ses parents font appel de la décision).

Écoutez la conférence


EN SAVOIR PLUS

2 %
Proportion des décès qui étaient des morts cérébrales aux États-Unis en 2015

Source: Source : université de Miami

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