Riot Grrrl

Anatomie d’un mouvement révolutionnaire

Début des années 1990, État de Washington : armées de leurs instruments et de leurs grandes gueules, de jeunes musiciennes donnent naissance au mouvement punk féministe Riot Grrrl. En creusant leur propre sillon, loin du machisme et des diktats de l’industrie, elles revendiquent une « révolution de filles ». Plus de 30 ans plus tard, Bikini Kill, un des groupes emblématiques de ce soulèvement, s’apprête à fouler les planches du MTelus, ce 12 avril. Et son message résonne toujours.

C’est une accumulation de frustrations et une soif de prendre la parole qui motivent, au début des années 1990, des groupes de filles à se réunir pour faire de la musique et dénoncer moult injustices. Leur but : « rendre le féminisme plus punk, et le punk plus féministe ». Et, au passage, prouver que ce genre musical n’a rien d’une affaire d’hommes.

« Ce qui est intéressant avec Riot Grrrl, c’est que c’est un mouvement de contestation qui a pris vie à l’intérieur même d’un genre musical », explique la musicologue Catherine Harrison-Boisvert. « Les Riot Grrrls ont dit : “C’est ben beau, le punk et ses aspirations révolutionnaires, mais il existe des angles morts et un de ces angles morts, c’est le sexisme”. »

« La musique a la capacité d’articuler des discours de façon efficace et à concentrer et catalyser des émotions collectives fortes. Ça lui permet de faciliter la circulation d’idées contestataires. Elle fait écho à des sentiments de révolte et à une énergie militante et contribue à la création et à la consolidation d’une communauté », poursuit Catherine Harrison-Boiverst, doctorante à l’Université de Montréal.

À l’époque des Riot Grrrls, des femmes qualifient la scène punk de « violente » et multiplient les expériences désagréables lors de concerts. Par l’entremise des zines, petites publications artisanales (des manifestes) et auto-éditées, les langues se délient et les militantes se rallient. Elles y racontent comment elles sont reléguées au fond des salles de spectacles et jamais prises au sérieux au moyen de textes et de collages engagés, faisant parfois dans l’ironie. Un des premiers zines Riot Grrrl à voir le jour se nomme Bikini Kill.

C’est lors des premiers spectacles organisés par Kathleen Hanna et sa bande à Washington qu’on entendra le slogan « girls in the front » pour la première fois. « Le fait que les femmes soient le cœur du mosh pit, c’est dans l’ADN même du mouvement », explique Manon Labry, docteure en civilisation nord-américaine et autrice de Riot Grrrls : chronique d’une révolution punk féministe.

Punk féminin d’ici

Forte d’une expérience de plus de 20 ans dans le milieu musical underground québécois, Rox Arcand reconnaît en ces revendications ce qui l’animait à ses débuts et l’anime encore.

La musicienne originaire de la Vieille Capitale a formé son premier band exclusivement féminin… grâce à une annonce sur le site LesPacs !

« Selon ce que j’observais, il n’y avait pas ou du moins pas assez de groupes punk ou rock de filles, surtout pas à Québec. Et j’avais ce désir-là de rassembler des musiciennes, que la scène soit moins masculine. Mais on n’avait pas les réseaux sociaux ! »

— Rox Arcand

Lorsqu’elle commence à jouer avec des coéquipières, au tournant des années 2000 dans un local loué à l’Université Laval, les regards sont lourds de sens. « On voyait les gars qui pratiquaient dans les autres locaux nous regarder de travers. Ils se demandaient on était qui, qu’est-ce qu’on faisait là. C’était frappant », se souvient celle qui a fait partie des groupes Molly’s Decline et Machinegun Suzie, entre autres.

Même son de cloche chez Catherine Jeanne-D’Arc, qui mène le groupe à saveur féministe Charôgne. « Je m’habille quand même sexy dans mes shows. Disons qu’on est au Quai des brumes, des dudes vont me voir de dos par la fenêtre et ça va piquer leur curiosité donc ils vont rentrer. Mais ils ne se doutent pas que je suis en train de leur hurler dessus dans mes tounes », raconte l’artiste queer, un sourire en coin.

Le groupe formé à Montréal il y a près de 10 ans a commencé en jouant des reprises de chansons iconiques du mouvement Riot Grrrl, puis a finalement divergé vers des pièces originales. Les bands comme Bikini Kill, L7 et Le Tigre – un autre groupe de Kathleen Hanna qui se reformera pour une tournée-réunion à l’été – ont grandement inspiré le style de Charôgne.

Comme Kathleen Hanna, Catherine Jeanne-D’Arc écrit parfois des insultes sur son corps lors de concerts et aime bien provoquer les publics moins avertis.

Selon Lyse Ross, membre du collectif montréalais Les Insoumises, les Riot Grrrls ont démontré quelque chose d’important : les femmes et les personnes de la diversité sexuelle ont besoin d’échanger ensemble. « Ça peut être isolant de ne pas avoir de porte-voix pour communiquer tes frustrations, pour témoigner de ta réalité », explique celle dont le groupe a pour mission de mettre de l’avant la culture punk féministe. « Les zines, c’était exactement ça, un médium pour arriver à toucher des gens qui vivent les mêmes injustices que toi, dans le but ultime de se rassembler et de s’organiser. »

« Ç’a pavé la voie à beaucoup de musiciennes contemporaines. Juste le fait que des groupes comme Bikini Kill se reforment aujourd’hui, ça montre qu’il y a encore une pertinence à ce message-là. Je pense que ça va chercher quelque chose de profond, bien au-delà de la nostalgie », dit Catherine Harrison-Boisvert.

Des revendications féministes, d’hier à aujourd’hui...

« Quand on relit le manifeste Riot Grrrl publié en 1991 dans le zine Bikini Kill, c’est troublant, même malaisant, à quel point il est d’actualité », observe Manon Labry, autrice et docteure en civilisation nord-américaine.

Aux États-Unis

L’invalidation de l’arrêt Roe c. Wade par la Cour suprême américaine en 2022 en est, selon elle, une démonstration criante. En 1992, les manifestations de la part d’opposants se multiplient devant les cliniques d’avortement, ce qui force certains établissements à fermer, mettant en cause l’accès à l’interruption volontaire de grossesse. « Il y avait pas mal de marches à Washington et un peu partout au pays pour dénoncer ça, ce qui a alimenté le désir de lutter de ces musiciennes féministes, dont c’était une des revendications, explique-t-elle. Les zines, la musique, c’étaient des véhicules pour témoigner de leurs expériences, qui intéressait peu les médias de masse. »

En Russie

En Russie, la leader des Pussy Riot, Nadia Tolokonnikova, se retrouve sur la liste des criminels les plus recherchés. Le collectif punk russe, dont le nom est dérivé du mouvement Riot Grrrl, est une des voix les plus importantes qui s’élève contre le président Vladimir Poutine. Un autre constat que les groupes féministes et contestataires ont encore un rôle politique à jouer.

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