COVID-19

« On veut qu’ils se sentent en sécurité »

Coups de fil, lettres... des bénévoles se relaient pour veiller sur des aînés qui vivent dans la solitude

Claudette De Chantigny, 82 ans, n’a aucune famille. Elle est confinée dans son appartement d’une résidence pour aînés de Laval. Les activités sont annulées. La visite est interdite. Les rencontres entre voisins, proscrites.

« C’est restrictif. Je tourne en rond. Heureusement, j’ai mon petit chien. »

Ses bouées de sauvetage, c’est Murielle, Johanne, Marie-Thérèse, Francine.

Ces femmes, toutes des bénévoles de l’organisme Les Petits Frères des pauvres, se relaient depuis la semaine dernière pour lui passer un coup de fil et prendre de ses nouvelles. « Elles m’appellent et on jase. » Sans elles, raconte l’octogénaire, « je manquerais de contacts humains ».

« Je leur dois la vie », dit-elle sans détour.

Les Petits Frères des pauvres aident quelque 1700 aînés de plus de 75 ans au Québec. Tous vivent dans la plus grande des solitudes. C’est la condition pour se qualifier comme ce que Les Petits Frères appellent leurs Grands Amis. Ils ont en moyenne 85 ans. « On parle de gens d’une très grande fragilité », dit la directrice générale, Caroline Sauriol.

Dans le contexte actuel, toutes les activités de l’organisme sont annulées. Les visites des bénévoles aux bénéficiaires, qui se font généralement par centaines chaque semaine, sont interrompues. Que faire, alors, pour éviter que ces personnes ne sombrent durant la crise ? « C’est simple, on a mis sur pied des chaînes téléphoniques », dit Mme Sauriol.

Les bénévoles appellent pour prendre de leurs nouvelles, s’assurer de leur état mental et physique, qu’ils ont assez à manger, mais aussi simplement pour « jaser ». Et ceux qui n’ont pas de téléphone ? « On va leur écrire de belles lettres pour leur dire qu’on pense à eux. »

Souvent, il s’agira de leurs seules conversations.

« Si on n’est pas présents, ils n’ont personne. Il faut maintenir notre présence. Ça va être difficile à vivre, mais les gens sont philosophes. Et quand tu sais que quelqu’un veille sur toi, qu’il va t’appeler bientôt, ça peut soulager un peu », dit la directrice générale.

« Prenez le temps d'appeler »

Francine Charron, 73 ans, est bénévole. C’est elle, la Francine de Mme De Chantigny. Ancienne enseignante de français à la retraite, elle-même confinée à la maison avec son mari, elle passe des journées entières au téléphone.

Essayer de retracer des gens, s’assurer qu’ils ont ce qu’il leur faut, coordonner d’autres bénévoles, c’est plus qu’un travail à temps plein, confie la Lavalloise.

« L’anxiété chez nos personnes aînées va augmenter terriblement. […] Notre but, c’est vraiment de les accompagner par une présence. On veut veiller sur eux. On veut qu’ils se sentent en sécurité », dit-elle au sujet de ses Grands Amis. « Il y en a qui sont confiants, qui disent qu’il faut suivre les mesures, mais tantôt j’ai parlé à une dame qui était hyper anxieuse. Elle a des problèmes respiratoires, des problèmes cardiaques, son chauffe-eau avait éclaté. C’était vraiment un peu la panique. On prend le temps de les rassurer. On leur demande s’ils ont de la nourriture. S’ils vont bien. »

Au bout du fil, elle nous demande si elle peut lancer un appel à la population. « S’il vous plaît, tous ceux qui connaissent une personne âgée, prenez le temps de l’appeler. »

Des iPad pour briser l’isolement

Coupés du monde eux aussi, les CHSLD et autres centres d’hébergement de la province achètent massivement des tablettes électroniques pour permettre à leurs résidants de garder le contact avec leurs proches.

« C’est sûr que ça ne remplace pas les bras de sa fille ou de son petit-fils. On comprend tout à fait ça. Mais dans les circonstances, on ne veut pas les mettre à risque d’attraper ce virus-là, qui pourrait avoir des conséquences désastreuses pour cette personne, mais aussi pour l’entourage, pour les autres résidants de l’étage », explique Ginette Senez, directrice du programme de soutien à l’autonomie des personnes âgées au Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal.

Son CIUSSS a commandé une quarantaine de tablettes électroniques, une pour chacune des unités de vie des 17 établissements de soins de longue durée sous son giron.

« L’idée, c’est d’être capable de contacter les familles pour les gens qui s’ennuieraient. Ce n’est pas parfait, mais c’est mieux que s’ils attrapent le virus et qu’ils en décèdent. »

— Ginette Senez

Même histoire à Laval, où le CIUSSS souhaite « maintenir les communications entre les usagers et leur famille » de manière virtuelle le temps de la crise. Plusieurs autres régions se sont aussi lancées dans les achats de tablettes électroniques.

À Québec, on fait le même exercice « pour tenter de rapprocher, mais de façon différente, de garder près de nous les familles », dit Mélanie Gingras, directrice adjointe au soutien à l’autonomie des personnes âgées au CIUSSS de la Capitale-Nationale.

Les activités de groupe sont transformées en activités individuelles. « Est-ce que c’est un massage, est-ce que c’est une musique qui lui parle, plein de choses comme ça qui vont être individualisées. »

Le CIUSSS a même demandé aux familles de faire des listes de chansons et de pièces musicales que le parent écoutait dans sa jeunesse ou qui lui faisaient du bien.

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