Littérature Notre choix

Voyages intérieurs en Écosse

Highlands

Fanie Demeule

Québec Amérique/La Shop

192 pages

3,5 étoiles

Avec Highlands, c’est un troisième livre cette année pour Fanie Demeule, après Mukbang, paru au printemps, et Bagels, qui a suivi en août. Un roman court mais prenant, qui entreprend de sonder les motivations derrière le voyage de trois femmes qui se rendent dans cette région d’Écosse évoquée par le titre. En décembre, par ailleurs, alors que « personne ou presque » ne traverse le nord du pays à cette période de l’année.

Ces trois histoires indépendantes qui se superposent prennent des routes séparées, mais elles arrivent toutes à la même destination audacieuse et surprenante.

La première jeune femme s’envole pour l’Écosse malgré les craintes de ses parents qui la croient trop fragile. Elle écoute cette voix qui lui dit que son salut est là-bas, car « l’Écosse et ses ciels et ses lochs et ses montagnes impitoyables » l’appellent. Un pays qu’elle croit capable de lui redonner la force que son ex lui a volée et d’où elle espère revenir de roc.

La deuxième voyage avec son amoureuse qui l’accompagne à un colloque prévu dans le cadre de sa thèse de doctorat. Elles ont fait en sorte de prolonger leur voyage pour passer les Fêtes loin de leurs familles, de ces oncles et tantes « rétrogrades », de leurs questions déplacées et de leur « homophobie inconsciente » qui les égratignent chaque année.

La troisième fait quant à elle, avec son conjoint et son jeune fils, le chemin inverse qu’ont parcouru sa mère et ses grands-parents en émigrant au Québec. À mesure que le paysage se transforme, en quittant les Lowlands, d’étranges échos s’éveillent en elle, comme des souvenirs lointains qui lui font prendre consciente qu’elle est « d’ici ».

Le roman explore de façon singulière la mythologie écossaise et la manière dont elle joue avec l’esprit des voyageuses – et le nôtre du même coup. L’ambiance est glauque et inquiétante, à l’image de la noirceur environnante et de ce brouillard qui rendent les moindres craquements sinistres et inquiétants, alors que des phénomènes étranges se manifestent. Dans ces lieux peuplés par les ombres qui nous entraînent dans un univers de superstitions, on ne parvient plus à distinguer le réel du fruit de l’imagination des personnages.

Et par ces procédés habiles qui suscitent le doute chez le lecteur, Fanie Demeule réussit à maintenir une tension en crescendo qui ne nous quittera qu’après avoir refermé le livre.

Littérature

Le mouvement de l’écriture

Pas un jour sans un train

Robert Lalonde

Boréal

208 pages

3 étoiles et demie

Peu importe la destination d’un voyage, le mouvement inspire. Robert Lalonde relate ici les réflexions qui lui sont venues lors de ses déplacements en train. Il se glisse aussi dans la peau d’écrivains et d’écrivaines célèbres pour imaginer ce que le fil du rail a pu leur inspirer.

Ces carnets de Robert Lalonde pourraient très bien servir de manuel de création littéraire. Le mouvement de la voiture de train sur le chemin de fer incite le crayon à courir sur la feuille dans un espace-temps où l’esprit créatif peut dériver à souhait. Le paysage, les passagers, les songes éveillés, les souvenirs font ainsi émerger des pensées dans la tête de l’auteur. Le train lui donne « la sensation à la fois de renoncer au monde et de le découvrir ».

Ce paradoxe créatif lui permet également d’emprunter l’esprit d’écrivains et écrivaines qu’il admire. Un peu comme il l’avait fait avec Anton Tchékhov dans Le petit voleur, le grand lecteur qu’est Robert Lalonde n’éprouve aucune peine à entrer dans la tête de ceux et celles – Dostoïevski, Colette, Proust, Faulkner notamment – qu’il imagine à un tournant de leur carrière littéraire, mais que l’inspiration guette encore à tout moment.

La plume luxuriante de ce maître ès descriptions que demeure Robert Lalonde parvient à effacer en bonne partie le caractère répétitif du procédé, démontrant, encore une fois, que le voyage en vaut la chandelle.

— Mario Cloutier, collaboration spéciale

Littérature

La jeunesse qui rêvait de révolution

Une autre vie est possible

Olga Duhamel-Noyer

Héliotrope

288 pages

3,5 étoiles

À la fin des années 1970, dans un appartement de la rue Bloomfield, à Montréal, Micheline organise des réunions du Parti communiste. Elle est chef de cellule, sérieuse sans être endoctrinée, et élève seule son fils Valéry. Pendant qu’elle distribue des tracts dans le quartier, organise des blitz d’affichage et discute de politique avec ses camarades, le garçon, toujours sur ses talons, espère lui aussi cette révolution riante et généreuse.

Une autre vie est possible est un beau portrait de ces années, de la ferveur d’une jeunesse qui a voyagé de l’autre côté du rideau de fer et rêvait d’égalité dans un esprit de solidarité, bien loin de la noirceur de la guerre froide. L’enthousiasme de ces jeunes adultes, et celui de Micheline en particulier, en devient presque contagieux. Mais il se voit toutefois obscurci par la part d’ombre que recèle la société et qui menace les femmes depuis toujours. Et qui, au bout du compte, force cette mère courageuse à mettre de côté ses idéaux pour vivre, tout simplement.

— Laila Maalouf, La Presse

Littérature

Tour de magie

Une odeur d’avalanche

Charles Quimper

Alto

162 pages

Trois étoiles

Depuis son très intense premier roman, Marée montante, sorti en 2017, Charles Quimper a publié de la poésie, des microrécits et un album pour enfants. Avec ce cinquième livre qui se situe d’ailleurs à la croisée du roman et du recueil, l’auteur de Québec fait preuve d’un peu plus de légèreté en s’amusant à entremêler les genres, dans un récit multiforme qui se déroule dans le quartier Saint-Sauveur, où il habite. Entre le passé et le présent, le réalisme magique et la chronique et même trois types de typographie, Une odeur d’avalanche est l’histoire tout en douceur, en amour et en étrangeté d’un quartier populaire.

Il y a les cataclysmes, disparitions et invasions de toutes sortes – mouches noires, lézards et autres rainettes rouges s’y abattent comme ils repartent – racontés sous forme d’articles de journal, avec entête et caractères gras. Il y a la rencontre de la dernière chance entre un Cowboy solitaire et une Dame en vert, belle romance improbable pleine de tendresse. Il y a, en écho à cet amour contemporain, le journal intime dactylographié de Jacob, ado des années 1970 qui vit dans un hôtel avec sa mère et son beau-père et qui est amoureux de Pénélope. Autour gravitent le voisinage, la Sainte Vierge et plein d’animaux, et chaque histoire se tisse délicatement, avec une poésie du quotidien comme du surnaturel.

Si au début on a l’impression qu’on fait du surplace, on se rend compte que chaque partie avance à son rythme, et que même si elles sont intercalées et bien délimitées par leur typo – pas une mauvaise idée, mais peut-être un peu superflu à la longue –, elles se répondent et se nourrissent. Le résultat est un livre chaleureux qui n’a pas peur d’insuffler de la magie là où on ne pourrait voir que de la détresse ou de la misère, un petit tour d’humanité et de magie qui fait du bien.

— Josée Lapointe, La Presse

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