Chronique

Une leçon pour le Québec

Porter un masque ou non ? À Paris, où je me trouve actuellement, c’est la question qui hante les gens et les chaînes d’information depuis que la France vit sous la règle du confinement obligatoire (rien à voir avec le confinement volontaire pratiqué au Québec : ici, toute sortie doit être justifiée sous peine d’amende).

J’avais acheté cet hiver, quand on pouvait encore en trouver en France, quelques flacons de gel hydroalcoolique et des gants de latex. J’avais aussi mis la main sur quelques petits masques de pharmacie, et lors des premiers jours du confinement, quand le climat général de peur a monté de plusieurs crans, j’en portais un pour aller faire mes courses.

À peu près le tiers des gens que je croise dans mon quartier en portent un. Certains s’en fabriquent avec des bouts de tissu ou se masquent avec leur écharpe.

Mais c’est peut-être une protection illusoire, voire contre-productive. À supposer qu’on sache d’abord comment le mettre… et à supposer qu’il ait été aspergé par le virus, on risque de se contaminer pour peu qu’on le manipule en touchant la surface, et encore faut-il le changer souvent. J’ai renoncé, pour m’en tenir aux deux grandes règles de base : un mètre de distance et lavage des mains.

Il y a eu beaucoup de confusion à ce propos. Les autorités sanitaires ont d’abord dissuadé le public de porter des masques… tout en les recommandant à ceux qui se croiraient infectés.

Finalement, le chat est sorti du sac : tout simplement, la France n’avait pas assez de masques. Il y avait pénurie grave.

Il y a donc quelque chose d’indécent à porter un masque, aussi léger soit-il (les masques qui protègent vraiment du virus sont réquisitionnés et introuvables), alors que certains, parmi ceux qui en ont le plus besoin, en sont privés : les travailleurs de la santé et leurs patients, les policiers, les salariés des services essentiels comme l’alimentation ou le ramassage des ordures…

On a vu à la télé des policiers dépourvus de masque et de gants procéder à des contrôles serrés. Plusieurs se sont fait mordre ou cracher au visage. 

Lors de mes petites marches biquotidiennes, je vois encore des salariés de supermarchés qui n’ont ni gants ni masque.

Tragique ironie, ce pays reconnu pour la qualité de ses services de santé se heurte aujourd’hui à une pénurie attribuable à l’insouciance gouvernementale autant qu’à une imprudente mondialisation.

Beaucoup de produits médicaux essentiels – composants de médicaments, gels antiseptiques, etc. – sont fabriqués en Asie. Avant la crise, c’est la Chine qui fabriquait la moitié des masques chirurgicaux utilisés à travers le monde !

Le gouvernement français, aussi récemment qu’à la mi-février, se jugeait si peu menacé par l’épidémie qu’il a envoyé en Chine un don humanitaire de 17 tonnes de fret médical. Un mois plus tard, les médecins généralistes français, désespérés, appelaient au secours parce qu’ils manquaient de masques, de lunettes de protection et de désinfectants.

Les immenses ressources médicales de la France ne peuvent donner leur plein rendement, faute des moyens de protection les plus élémentaires. Sans parler des tests, qu’on rationne à cause de la pénurie du matériel requis.

Le gouvernement a relancé en catastrophe l’industrie paramédicale, et l’entreprise privée met l’épaule à la roue (LVMH fabrique actuellement du gel hydroalcoolique dans ses usines de parfum !). Mais cet effort de guerre arrive trop tard.

L’expérience française est une leçon pour le Québec. La France était, avant la crise, classée au premier rang par l’Organisation mondiale de la santé pour la qualité des services de santé. Le Canada se classait loin derrière, au 31e rang.

En France, sur la plus grande portion du territoire, n’importe qui, en temps normal, pouvait consulter un médecin à quelques heures d’avis ou faire venir une infirmière à domicile par un simple coup de fil. 

La France compte trois fois plus de lits d’hôpitaux, par habitant, que le Canada.

Les salles d’urgence, en France, n’ont jamais été aussi engorgées que les nôtres. L’hiver dernier, une attente de deux heures aux urgences pour un cas bénin constituait un événement si inhabituel que la nouvelle passait au téléjournal. Il y a trois semaines, une amie a amené son enfant à l’hôpital Necker : 10 minutes d’attente, un test, résultat négatif, fin de l’anecdote.

Et quel est donc le pays qui arrivait, avant l’épidémie, au deuxième rang du classement de l’OMS ? L’Italie – sous-entendu, bien sûr, l’Italie du Nord.

Or, tant l’Italie que la France sont débordées par la pandémie. Qu’en sera-t-il au Québec si elle y atteint une virulence analogue à celle qui frappe la France ou l’Italie ?

Le fédéral a lancé un programme de fabrication de masques, de produits désinfectants et de respirateurs artificiels, mais c’est un recours de dernière minute. Quant à la capacité des ressources en place pour faire face au fléau, il faudra plus que les propos lénifiants de la ministre McCann pour se rassurer.

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