Le système de santé québécois mis en échec

La vision médicale hospitalocentriste, la centralisation des pouvoirs de gouvernance et l’organisation du travail basée sur l’approche industrielle sont les trois piliers sur lesquels les derniers gouvernements ont édifié l’actuel système québécois de santé et des services sociaux. Or, si, pour évaluer ledit système, on interroge les chercheurs et les associations qui représentent la population desservie et les intervenants, le verdict paraît sans équivoque : le système québécois est mis en échec par ses réformes.

De la réforme Couillard (2004) jusqu’à la réforme Barrette (2015), ce sont la mission hospitalière et la vision médicale curative qui s’imposent aujourd’hui. Alors que les investissements se concentrent au secteur hospitalier, le nouveau mode de financement à l’activité incite les établissements à définir des continuums de soins, à la solde des diagnostics médicaux auxquels l’usager doit correspondre, faute de quoi il se retrouve en liste d’attente de services généraux devenus quasi inexistants.

En fait, les soins et services généraux de première ligne chargés de la prévention s’effritent au même rythme que se développent les services surspécialisés.

Nous constatons également que les groupes de médecine familiale (GMF) écartent les patients non inscrits pour éviter d’être financièrement pénalisés vus les critères imposés par le Ministère. Conséquemment, la vision médicale hospitalocentriste vient créer une fracture entre les besoins de services de proximité adaptés et la réponse surspécialisée offerte, ce qui accroît la vulnérabilité des plus démunis. L’explosion du nombre de cas à la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) n’est-elle pas la triste conséquence de la mainmise du curatif sur le préventif ?

Entre déficit démocratique et monstre bureaucratique

La centralisation des pouvoirs de gouvernance pérennisée par la réforme Barrette (2015) a entraîné la disparition d’instances participatives dont la mission assurait une cohérence entre les besoins populationnels et les orientations ministérielles. Il en résulte un déficit démocratique dans nos institutions publiques.

Sur le terrain, les gestionnaires installés dans les nouvelles mégastructures (CIUSSS, CISSS) sont plus éloignés que jamais des intervenants et de la population.

En contexte de COVID-19, ce modèle de gouvernance axé sur la gestion top-down pose problème jusqu’à compromettre la sécurité des intervenants et de la population. La récente expérience des CHSLD en fait la démonstration. En privant d’un pouvoir décisionnel les directions locales et leurs gestionnaires, la centralisation a pour conséquence de dévaloriser, voire de paralyser toute initiative locale. À terme, ce type de gouvernance démotive, désolidarise et déresponsabilise les acteurs concernés.

La standardisation au détriment de l’expertise

L’approche industrielle comme modèle d’organisation du travail a engendré dans les dernières années une profonde crise au sein des ressources humaines. Les valeurs de performance promues par cette approche s’entrechoquent avec les valeurs humanistes qui déterminent les professions axées sur la relation d’aide. De surcroît, l’approche industrielle, avec ses impératifs technico-administratifs, paralyse l’accès et détériore la qualité des services sociaux et des soins dans la communauté. Pour preuve, le temps qu’exigent ces procédures technico-administratives dépassera bientôt le temps consacré à la population. Ce dérapage technocratique provient du fait que le MSSS développe les soins et les services selon un processus de standardisation. Sur le terrain, toutefois, on constate que l’expertise que les intervenants développent est systématiquement invalidée par un système qui fonctionne principalement par protocoles standardisés.

Un système qui rend malades ses intervenants

La dérive du système québécois est, selon nous, directement responsable de la pénurie de personnel, du problème de rétention et, surtout, du taux historique de congés de maladie chez les intervenants (atteint avant la COVID-19). Les mauvaises conditions de travail et les valeurs industrielles promues par les établissements ont créé une profonde crise de sens chez les intervenants. Rappelons qu’à l’automne 2019, avant la pandémie, nous avons appris que 24 % des intervenants songeaient à quitter définitivement leur profession. En refusant d’abolir le devoir de loyauté et l’imposition d’ententes de confidentialité aux intervenants, le gouvernement actuel perpétue délibérément la culture de la peur (l’omerta) chez ceux et celles qui tentent d’informer la population et les élus via les médias.

Pour se relever de la mise en échec

L’heure est venue, croyons-nous, d’unir et de mobiliser la société civile pour demander au gouvernement du Québec de réformer les trois piliers responsables de la mise en échec du système québécois. La vision médicale hospitalocentriste doit redonner sa place à la santé communautaire et préventive afin que les soins et les services sociaux reprennent leurs rôles auprès de la population. Le modèle de gouvernance doit, lui, opérer une décentralisation afin de redonner un pouvoir décisionnel aux directions locales et réintégrer une démocratie qui soit représentative des communautés desservies. Enfin, l’approche industrielle doit muter vers une gestion participative où, moins que les statistiques et les protocoles, c’est l’expertise des intervenants et l’avis de la population qui doivent servir de paramètres pour développer et assurer la qualité des soins et des services sociaux.

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