Chronique

La politique autrement

Vous avez peut-être vu passer la vague, il y a environ un mois. Pas la vague du coronavirus. Une autre sorte de vague, sur Twitter. Pas virulente du tout, celle-là.

Au contraire, c’était une vague… d’amour.

Étonnant, dans une arène de combats comme Twitter.

Mais le plus étonnant, c’est que la déferlante impliquait des politiciens québécois de diverses allégeances. Ils avaient mis de côté leurs rivalités, le temps d’un gazouillis, pour se dire à quel point… ils s’appréciaient.

C’est Marwah Rizqy (PLQ) qui a ouvert le bal avec une confidence inattendue à propos de Véronique Hivon (PQ), « un mélange de rigueur, de coopération et de bienveillance ». Sa rivale politique, a-t-elle écrit, n’était rien de moins que son « coup de cœur à l’Assemblée nationale ».

D’autres politiciens se sont alors prêtés au jeu des révélations. Sonia LeBel (CAQ) aime Harold LeBel (PQ), « un vrai gentleman qui a un amour sincère pour ses citoyens ».

Sylvain Gaudreault (PQ) aime Marie-Claude Nichols (PLQ), pour « sa franchise et son désir d’aider ses concitoyens ».

Paule Robitaille (PLQ) aime Andrés Fontecilla (QS), « un révolutionnaire au cœur d’or ».

Mathieu Lacombe (CAQ) aime Christine Labrie (QS), pour son « engagement politique sincère » et sa « recherche de solutions au-delà de la partisanerie ».

Harold LeBel (PQ) aime Gregory Kelley (PLQ), « un homme qui a le cœur à la bonne place ».

François Legault (CAQ) aime Pascal Bérubé (PQ), pour son énergie et sa « passion du Québec ».

On suivait la vague et… ça faisait un bien immense. D’abord parce que tout cela était manifestement sincère.

Mais surtout parce que ces marques de respect détonnaient de façon spectaculaire. Sur les réseaux sociaux. En politique. Dans notre monde clivé, rageur, vengeur, perpétuellement furieux.

On avait besoin de ça. On en veut encore.

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Cette vague rafraîchissante m’est revenue à l’esprit en lisant l’entrevue accordée à mon collègue Tommy Chouinard par le trio le plus efficace de l’Assemblée nationale.

Marwah Rizqy, Véronique Hivon et Christine Labrie sont porte-parole de leurs partis respectifs en matière d’éducation. Face au ministre Jean-François Roberge, elles n’en laissent pas passer une. Leur secret : la coopération.

Généralement, les députés tentent de tirer la couverture de leur côté. Ces trois élues ont plutôt décidé de faire front commun face au gouvernement. Enfin, elles ne l’ont pas vraiment décidé ; ça s’est fait naturellement.

Malgré les tensions inévitables entre leurs partis, malgré les froncements de sourcils de certains de leurs collègues, elles ont bâti entre elles une solide relation de confiance.

Ce qui les motive, c’est faire avancer les choses en éducation. « Les trois, on est habitées par un même idéal de bien faire notre travail », résume Véronique Hivon dans l’entrevue publiée en écran 4.

C’est tout simple. Pourtant, ça paraît presque radical, comme proposition. On a tellement l’habitude de voir les politiciens se taper dessus et tenter de faire des gains politiques qu’on en a oublié leur fonction première : servir le bien commun.

Ensemble.

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Quand la victoire de Joe Biden a été annoncée, le 7 novembre, Spencer Cox a été parmi les premiers à féliciter le président désigné, se disant prêt à travailler avec lui.

Spencer Cox a lui-même été réélu, le 3 novembre, gouverneur de l’Utah. Gouverneur… républicain. Ce n’est pas un détail, quand on sait (trop bien) que Donald Trump nie encore sa défaite.

Spencer Cox n’en est pas à son premier « coup d’éclat », si on peut appeler ainsi de simples félicitations sur Twitter.

En pleine campagne, il a ébahi les Américains en diffusant une publicité électorale approuvée par lui et par… son adversaire démocrate, Chris Peterson.

Dans la pub, les deux hommes apparaissent côte à côte. « On peut débattre sans se dénigrer. On peut être en désaccord sans se détester », disent-ils à la caméra.

La pub a fait un tabac. Les deux adversaires ont accordé des interviews – ensemble – aux quatre coins des États-Unis et dans le reste du monde. Jamais on n’aura autant parlé de l’Utah lors d’une élection américaine.

La réaction a été unanimement positive, comme si les Américains avaient poussé un soupir de soulagement collectif. Oui, il est encore possible de faire preuve de civisme malgré un climat politique pourri.

Ça change de la vision de la politique de Donald Trump, pour qui tous ceux qui ne sont pas d’accord avec lui sont des perdants, des faibles ou des crétins.

La politique n’a pas à être comme ça.

« Pour faire des progrès, nous devons cesser de traiter nos opposants comme nos ennemis. Ils ne sont pas nos ennemis. »

— Joe Biden, le 7 novembre dernier

Après quatre années d’insultes à tous vents de la part du 45président des États-Unis, on avait un peu fini par l’oublier.

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Au Québec, un électeur sur trois n’a pas voté au dernier scrutin, souligne Marwah Rizqy dans l’entrevue accordée à Tommy Chouinard. La députée libérale y voit le résultat du cynisme des Québécois face à la politique partisane.

En campagne électorale, pourtant, on ne cessait de conseiller à Christine Labrie d’adopter un message clivant. Pour se démarquer, elle devait faire en sorte de diviser profondément l’opinion publique.

La stratégie fonctionne sans doute. Mais elle a un prix. Il n’y a qu’à voir les déchirements aux États-Unis – et ici, dans une moindre mesure – pour s’en convaincre.

Du reste, Marwah Rizqy, Véronique Hivon et Christine Labrie nous rappellent qu’au fond, ce n’est pas la manière de faire de la politique qui compte. C’est le résultat.

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