On a réponse à tout, ou presque

Manger de la viande nourrie aux antibiotiques

L’utilisation d’antibiotiques dans les élevages est réglementée. La réglementation n’est pas la même pour les poulets, les porcs ou les bœufs. Oui, le sujet est complexe, et oui, plusieurs personnes pensent que leur viande est engraissée aux hormones. Alors, quand vous mangez votre steak, vous mangez quoi ?

Toutes les viandes sur le marché sont bourrées d’hormones !

D’abord, on se calme. Au Canada, l’utilisation de stimulateurs de croissance hormonaux naturels ou synthétiques est interdite dans tous les secteurs, sauf dans l’élevage de bovins de boucherie, veau exclu. Mais pas les antibiotiques, qui, eux, peuvent parfois servir de stimulateur de croissance. Et ceux-ci sont toujours permis, à quelques exceptions près. D’ici 2016, Santé Canada souhaite éviter d’étiqueter les antibiotiques comme stimulateur de croissance, sans toutefois interdire leur utilisation. Il y en a une soixantaine de permis actuellement, même si aucun nouvel antibiotique de ce genre n’a été approuvé par Santé Canada depuis 10 ans.

Quand je mange ma viande, je mange aussi des antibiotiques ?

Pour les consommateurs, une période de retrait est toujours exigée pour assurer qu’il ne reste plus de traces d’antibiotiques dans la viande et les produits animaux avant qu’ils soient mis en marché.

C’est bien beau tout ça, mais j’ai entendu dire qu’on donnait des antibiotiques aux animaux à titre préventif, même s’ils ne sont pas malades…

Tout à fait, et ça, c’est inquiétant, particulièrement en raison du risque de résistance bactérienne. Lorsqu’un antibiotique est donné à titre préventif, sa dose est nettement plus faible que lorsqu’il s’agit d’un traitement. Ce faisant, les bactéries les plus « fortes » de la bande peuvent muter de manière à résister éventuellement à l’antibiotique en question. C’est leur mode de survie, après tout.

C’est quoi, le danger pour les humains ?

Prenons l’exemple de la salmonelle. Si un poulet est contaminé par la salmonelle au cours de l’abattage – la salmonelle se trouve surtout dans ses intestins à la base – et qu’une personne fait fi de la cuisson rosée de son haut de cuisse, il se peut qu’elle file un mauvais coton dans les heures suivant son repas. Une fois chez le médecin, on lui prescrit un médicament semblable – dits de catégorie I – à ce que les éleveurs ont utilisé à petite dose à titre préventif. Avec le temps, la salmonelle a pris du poil de la bête et elle sait maintenant comment esquiver les coups de poing dudit antibiotique. Elle y résiste. Ainsi, le traitement de certaines infections, comme celles aux E. coli, C. difficile et S. aureus, peut prendre plus de temps, la durée d’hospitalisation peut être plus longue et les coûts du traitement plus élevés, puisqu’il est plus complexe.

C’est quoi ça, un antibiotique de catégorie 1 ?

Ce sont les types d’antibiotiques qu’on prescrit également aux humains en cas de maladie, d’où l’importance d’éviter que les bactéries développent une résistance. C’est plus clair maintenant ?

C’est clair, mais c’est scandaleux ! Et c’est réglementé, j’espère…

Pour remédier à la situation, qui devenait de plus en plus inquiétante, le Programme intégré canadien de surveillance de la résistance aux antimicrobiens a été créé, en 2002, afin de surveiller l’usage des antimicrobiens et la résistance de certaines bactéries présentes dans la chaîne d’approvisionnement alimentaire. « Depuis le 15 mai 2014, l’industrie avicole canadienne a volontairement cessé l’usage préventif des antibiotiques de catégorie I. […] Les antibiotiques des autres catégories (2 à 4) sont encore utilisés en prévention ou comme traitement », précise Martine Boulianne, vétérinaire titulaire à la Chaire de recherche avicole et professeure titulaire à la Faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal.

Selon la Fédération des producteurs de bovins du Québec, aucun antimicrobien de catégorie I n’a jamais reçu d’homologation pour stimuler la croissance ou pour prévenir des maladies dans la production bovine. Dans le cas du porc, « une sélection de produits de catégorie 1 est étiquetée pour utilisation dans la production porcine. Tous ces produits sont seulement offerts sous prescription vétérinaire. De plus, les étiquettes de ces produits donnent de l’information additionnelle afin de s’assurer que ceux-ci soient utilisés judicieusement », rassure de son côté Catherine Scovil, directrice exécutive associée pour le Conseil canadien du porc. Au MAPAQ toutefois, on précise tout de même que les vétérinaires peuvent déroger de l’indication sur l’étiquette des antibiotiques de catégorie I et en prescrire à titre préventif dans le domaine porcin, s’ils jugent que c’est nécessaire seulement.

Bien que le dossier semble clos dans la plupart des secteurs, le ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation (MAPAQ), M. Pierre Paradis, a soumis à la consultation publique en octobre 2014 un projet de règlement modifiant le Règlement sur l’administration de certains médicaments, afin d’interdire l’utilisation à des fins préventives d’antibiotiques de catégorie I chez les animaux d’élevage de tous les secteurs.

Bon… on fait quoi, alors ?

Il reste à voir s’il n’y aurait pas davantage de changements apportés en amont pour prévenir les infections dans l’élevage conventionnel. Par exemple, en misant sur des pratiques sanitaires veillant à minimiser le surpeuplement animal, comme c’est le cas dans l’élevage biologique, cela aiderait à réduire l’apparition et la propagation de maladies. Les consommateurs peuvent quand même opter pour de la viande ou des produits animaux portant l’allégation « biologique » ou « élevé sans antibiotique » – aucun antibiotique n’est administré de la naissance à l’abattage de l’animal. Si un animal provenant d’un élevage biologique est malade, il sera tout de même traité avec des antibiotiques, mais seulement avec ceux permis par la norme canadienne pour ce type d’élevage. L’animal traité sera aussi soumis à une période de retrait deux fois plus longue que dans le cadre d’un élevage conventionnel avant l’abattage.

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