Science / Médecine

Des secrets médicaux sur les réseaux sociaux

Les médecins discutent depuis toujours de cas difficiles dans des conférences ou informellement à l’hôpital. Mais de plus en plus le font sur les réseaux sociaux, particulièrement sur Twitter, où des informations confidentielles sont diffusées.

Images problématiques

Quand un collègue de Trent Walradt lui a parlé de son usage intensif de Twitter, le gastroentérologue de l’hôpital Brigham and Women’s de Boston a été intrigué par les bénéfices et les problèmes potentiels de cette pratique du XXIe siècle.

« Il a mentionné que dans plusieurs tweets d’autres médecins, il y avait des images problématiques, dit le DWalradt. On pouvait potentiellement identifier un patient. Ou alors un conflit d’intérêts du médecin, par exemple une rémunération par un fabricant d’appareils, n’était pas divulgué. Nous avons décidé d’en savoir plus. »

L’été dernier, dans l’American Journal of Gastroenterology, le DWalradt a montré que dans plus d’une image sur six publiée sur Twitter par des gastroentérologues américains, l’identité du patient pouvait être déduite. « Dans la grande majorité des cas, c’est par la date de l’image, mais on voyait la date de naissance dans 0,8 % des cas, et même parfois le visage du patient. »

Mathieu Nadeau-Vallée, médecin résident au Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM) qui est très actif sur les réseaux sociaux pour contrer la désinformation, confirme que la publication d’imagerie médicale peut être « problématique ».

« Même s’il y a seulement la date et l’hôpital, il y a des gens qui pourraient dire : “C’est probablement mon père”. Mais en même temps, c’est une manière importante de partager les connaissances, même avec le public. Le New England Journal of Medicine publie des histoires de cas avec des images sur Twitter. »

— Mathieu Nadeau-Vallée, médecin résident au Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM)

Quand une radiographie sert de publicité

Signe que la question est de plus en plus brûlante, la revue britannique Frontline Gastroenterology a organisé début novembre un colloque sur Twitter sur la question. « Pour plusieurs médecins, il s’agit d’un outil inestimable de partage de connaissances », dit Richard Hansen, gastroentérologue pédiatrique travaillant dans un centre de recherche écossais. Il a publié un essai sur le problème des discussions médicales sur Twitter, l’an dernier, dans la revue Nature Reviews Gastroenterology & Hepatology.

« Mais les revues médicales ont un système éprouvé pour empêcher que des informations confidentielles sur les patients soient publiées et s’assurer de leur consentement à la publication. »

« Sur les réseaux sociaux, les médecins traitent les images eux-mêmes. Il peut y avoir des erreurs même avec les meilleures intentions. Et les images des réseaux sociaux sont souvent repiquées. Imaginez un patient qui a consenti à ce que son cas serve de façon anonyme à la formation continue. Mais une radiographie de son dossier publiée sur Twitter est réutilisée par un fabricant d’appareils dans ses pubs. Je ne suis pas sûr que le patient serait content. »

— Richard Hansen, gastroentérologue pédiatrique

Selon le DNadeau-Vallée, s’il n’est pas possible d’identifier le patient, ce dernier ne devrait pas être affecté, même si sa radiographie sert à des fins de publicité.

Un cas au Québec

Le Collège des médecins a reçu plusieurs signalements de médecins qui ont dévoilé des informations confidentielles sur les réseaux sociaux, selon la directrice des communications du Collège, Leslie Labranche. Mais une seule a donné lieu à une enquête. Il s’agit d’un médecin de famille de Trois-Rivières, Christian Clavel, qui a dévoilé sur sa page Facebook des informations sur un voisin avec qui il avait une chicane et qui avait été son patient. Le Code de déontologie du Collège mentionne spécifiquement l’importance de la confidentialité des patients sur les réseaux sociaux.

Le tiktokeur de Toronto…

Martin Jugenburg est un chirurgien plastique de Toronto. Il est aussi très actif sur TikTok et Instagram, où il montre des images « avant » et « après » de ses patients. Mais c’est une caméra qui filme à leur insu les patients dans sa clinique qui a attiré l’attention sur son cas, illustrant à merveille les dérives du « Med Tok », le surnom donné aux médecins très actifs sur la plateforme.

« En 2018, CBC a révélé l’existence de ces caméras cachées qui, selon le DJugenburg, servaient à la sécurité », explique Tina Yang, du cabinet d’avocats torontois Waddell Phillips. « Nous avons aussi découvert les dizaines d’images de patients sur les réseaux sociaux et déposé une demande d’action collective. » Le Collège des médecins de l’Ontario a sévèrement puni en 2020 le DJugenburg, avec une suspension de six mois spécifiquement liée aux images diffusées sur les réseaux sociaux. L’action collective est basée sur trois plaignantes, mais pourrait toucher 7200 patientes du DJugenburg.

… et la chirurgienne plastique montréalaise

Quand elle a commencé sa pratique de chirurgie plastique à Montréal, Amanda Fanous ne voulait pas se servir des réseaux sociaux pour se faire connaître. « Ça ne m’intéressait pas du tout d’aller dans cette voie-là, dit la Dre Fanous. Ma philosophie est de servir les patientes, pas de leur imposer un modèle de beauté. Mais je me suis rendu compte que les patientes veulent avoir un contact avec les chirurgiens plastiques avant de les rencontrer, avant de les contacter. Alors je me suis mise sur Instagram. »

Il y a un an et demi, la Dre Fanous a migré sur TikTok. Ne craint-elle pas que des vidéos « avant-après » ne donnent l’impression à certains qu’il faut atteindre certains standards de beauté ?

« Si une femme n’est pas satisfaite de son nez, pourquoi ne pas l’aider ? Une autre femme peut avoir le même nez et ne pas avoir de problème, mais c’est vraiment personnel. »

— Amanda Fanous, chirurgienne plastique

L’une des vidéos TikTok de la Dre Fanous est consacrée aux demandes pour avoir un « visage symétrique ». « Ça ne se peut pas, dit-elle. Il y a eu une étude avec des top-modèles dont on avait modifié le portrait pour dupliquer une moitié de leur visage. Les personnes qui voyaient les photos trouvaient plus belles les vraies photos que les photos des top-modèles avec des visages parfaitement symétriques. » La Dre Fanous demande verbalement – puis par écrit – le consentement de ses patientes avant de publier des images. Le tiers d’entre elles acceptent que leurs images soient utilisées sur les réseaux sociaux. Elles peuvent aussi changer d’idée, et la Dre Fanous enlève alors les images de ses sites. « Ça arrive quelques fois par année. »

35 %

Proportion des mentions d’appareils médicaux sur Twitter qui sont faites par des médecins recevant une rémunération de leur fabricant, sans que ce conflit d’intérêts soit mentionné.

Source : American Journal of Gastroenterology

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