Volodymyr Zelensky

Les mots comme des armes

Le 22 juin dernier, 12 universités canadiennes, dont l’Université de Montréal, se sont connectées avec Volodymyr Zelensky pour un échange d’une heure entre le président ukrainien et des étudiants. Par cet exercice de soft power (le pouvoir d’influence par l’image, les mots et le discours plutôt que par les ressources matérielles), le chef de guerre a fait une démonstration de l’importance de la communication dans sa stratégie de gestion de crise.

« Parfois, les mots peuvent avoir plus d’impact que les armes », a-t-il affirmé, assumant que dans cette guerre, les technologies de l’information et de la communication sont des armes de très longue portée.

Plusieurs observateurs ont déjà remarqué la modernité et l’efficacité de ses efforts de communication. Certains sont même allés jusqu’à déclarer que Zelensky avait largement gagné la guerre communicationnelle contre Vladimir Poutine. Sur quoi s’appuie une telle « victoire » ? On peut relever trois composantes dans son style bien particulier : l’apparente proximité avec son audience, la mobilisation des émotions et la combativité.

La proximité

Devant les étudiants, le président ukrainien a amorcé son intervention en rappelant une visite à Toronto, trois ans auparavant, lors de laquelle il aurait comparé ses réformes ukrainiennes prometteuses à la victoire inespérée des Raptors de Toronto.

Loin d’être innocente, la référence s’inscrit bien dans sa stratégie de personnalisation du discours.

Dans ses allocutions, le président ukrainien a pour habitude d’adapter son message à son public en utilisant des références propres à l’imaginaire de ses destinataires.

C’est une tactique communicationnelle que le politologue français Pascal Boniface a assimilée à des « frappes chirurgicales », ciblées et incisives. Cela lui permet de construire un pont relationnel, un lien empathique entre l’Ukraine et le reste du monde.

Il est allé plus loin en étendant le domaine des pays concernés par la guerre en affirmant que « le sort de toutes les démocraties est en jeu », ce qui donne à ses destinataires le sentiments d’être personnellement affectés concernés par son discours.

Les émotions

À plusieurs reprises lors de son intervention, le président a remercié les étudiants qui lui posaient des questions en prenant le temps d’adapter ses remarques à chaque interlocuteur. En préambule de sa réponse à un étudiant de l’Université d’Alberta, il lui a adressé un compliment sur sa tenue vestimentaire aux motifs traditionnels ukrainiens, suscitant rires et sourires dans l’assistance.

Ce n’est pas anodin.

Sa stratégie de communication mobilise des éléments affectivo-corporels du jeu d’acteur pour stimuler les cordes sensibles de ses destinataires. Le président est un ancien comédien, formé à la maîtrise du ton, de la gestuelle et d’une voix posée correctement.

Il a d’ailleurs suscité des éclats de rire en évoquant son recours à l’humour pour gérer la crise : il a reconnu que s’il n’était pas toujours approprié de rire dans ces circonstances, apprécier quelques mèmes pouvait l’aider à retrouver un semblant de légèreté. A priori triviale, la référence à des artefacts culturels de la vie quotidienne donne au personnage un côté attachant, humain, voire chaleureux : malgré sa visibilité mondiale et son statut de chef de guerre, il paraît accessible.

En cohérence avec sa stratégie de proximité, Volodymyr Zelensky cultive un style « proche du peuple ». Lorsqu’une étudiante lui a demandé qui sont les héros qui l’inspirent, qu’ils soient des figures politiques, littéraires ou autres, le président a désigné les Ukrainiens, en citant plus spécifiquement « le fermier qui conduit son tracteur dans les champs ».

La combativité

Le président a mobilisé des éléments classiques du discours motivationnel, avec des formules inspirantes comme « nous sommes prêts à surprendre le monde » ou encore « nous nous battons contre la deuxième armée du monde, nous nous battons pour notre avenir, pour notre liberté et pour notre terre ».

« Nous sommes devenus le pays aux bottes, aux avions, chars d’assaut et tranchées, notre mode de vie est désormais différent, mais pas notre vision, nos valeurs ; le chemin vers nos objectifs est différent, mais notre objectif ne l’est pas », a-t-il affirmé, en référence aux ambitions de réforme pour l’Ukraine qu’il avait exprimées lors de cette conférence à Toronto en 2019.

En parlant au « nous », Zelensky suggère qu’il parle au nom de son peuple et fort de son soutien. Il s’agit alors de construire son ethos, son personnage : Zelensky se montre bien entouré, soutenu par des valeurs solides et à l’aise dans son rôle de chef de guerre.

Paroles d’orateurs

Par son style travaillé, Zelensky semble maîtriser les trois composantes essentielles du discours d’un bon rhéteur : l’ethos, le pathos et le logos. Dans le triangle de la rhétorique dessiné par Aristote, l’ethos concerne le locuteur, son histoire et ses objectifs, le logos porte sur la rationalité du discours, et le pathos relève du domaine de l’attention à l’audience, à ses valeurs, ses croyances, mais aussi aux émotions et à l’affect.

L’efficacité de la communication de crise mise en place par l’équipe de Zelensky rappelle la formule de l’orateur romain Cicéron : « Prouver est une nécessité, plaire, une douceur, et émouvoir, une victoire. »

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.