Covid-19

Le péril jeune

Ils étaient sportifs et insouciants. Le coronavirus a bouleversé leur vie. Pour Match, ils racontent leur calvaire.

Les vieux, les diabétiques, les obèses. Voilà les victimes des formes critiques du Covid-19. C’est ce que tout le monde pense au mois de mars dernier. Blouses blanches, médias, public. Les jeunes sont des vecteurs possibles, mais ils sont à l’abri.

Quand Elia Fontaine, une Belge de 18 ans, lycéenne et basketteuse de talent, en pleine santé, commence à défaillir le 18 mars, premier jour de confinement outre-Quiévrain, ni elle ni ses parents ne songent au coronavirus. Yeux azur, longs cheveux d’or, petit air de Vanessa Paradis époque « Joe le taxi », Elia est jeune, sportive, mince, elle n’a aucune comorbidité. Et puis ses symptômes ne correspondent pas à ceux des premiers patients de Wuhan. Elle n’a pas de fièvre ; au contraire, elle a froid, elle est gelée, ses mains et ses pieds virent au mauve. Sa température est seulement de 32,4 degrés. Urgences. Nausées. Vomissements. Les médecins suspectent une crise d’appendicite.

Pour exclure le Covid, elle passe quand même un test PCR. Positif. Chez Elia, le Sars-CoV-2 ne s’attaque pas aux poumons. Il ronge son cœur. Littéralement. Et aucun médecin encore aujourd’hui ne peut expliquer pourquoi.

Elle est plongée dans un coma artificiel :

« Quand j’ai perdu connaissance, il y avait quatre morts en Belgique à cause du Covid. Quand je me suis réveillée, il y en avait 4000 »

— Elia Fontaine, 18 ans

Elle raconte son histoire dans les couloirs de l’hôpital de la Citadelle, à Liège, où elle a été soignée pendant de longs mois. Et qui est de nouveau proche de la saturation aujourd’hui face à la deuxième vague.

Trois semaines de coma d’abord, pendant lesquels son pronostic vital est engagé à chaque instant. De lourds appareillages font circuler son sang et le régénèrent hors de son corps. « Plus aucun de mes organes ne fonctionnait, sauf les reins. » L’enfer et l’impuissance pour ses parents et ses deux frères. En plein confinement, malgré les interdictions de visite, sa mère décroche le droit de la voir quinze minutes chaque jour. La vie d’Elia ne tient qu’à un fil. Mais tout le personnel se bat pied à pied contre le virus. Elle sort du coma le 15 avril. La jeune patiente, qui ne cesse de sourire en racontant son histoire, décroche un surnom à l’hôpital : « le petit miracle ». Quand elle ouvre les yeux, des infirmières en tenue de cosmonautes l’entourent. Elle ne comprend rien. Elle ne sait pas que le monde a basculé. Elle ne sait pas que les médecins ont dû lui amputer les orteils. Elle ne sait pas que sa vie a changé pour toujours.

Quand ils lui annoncent plus tard que son pied est mort et qu’il faut l’amputer sous le genou, elle pleure, pense à son basket perdu, mais son père trouve les mots. On ne se morfond pas chez les Fontaine. Elia relève la tête. Il faut sentir la puissance magnétique de cette fille douce qui peine à rester sérieuse pendant la séance photo. Incassable.

Aujourd’hui, après des mois de rééducation, elle joue de nouveau au basket avec une prothèse spéciale. À sa sortie de l’hôpital, aides-soignants, infirmières, médecins lui ont fait une haie d’honneur. Ils ont perdu des centaines de patients. Pas elle. Avec sa cardiologue, Sabrina Joachim, elle a rencontré le roi des Belges au palais royal. Elle est devenue l’ambassadrice du port du masque en Belgique : « Je suis la preuve vivante qu’il faut se protéger. Cela peut arriver à n’importe qui ! »

Personne n'est à l'abri

Cela peut arriver à ceux qui se croyaient plus forts que ce « petit virus », comme Isabelle Fabre, sportive, ingénieure de 33 ans reconvertie en vidéaste de l’extrême et qui poste sur Instagram ses exploits en kitesurf.

Ses plaquettes d’abdos ont fondu, elle a souffert pendant cinq mois des symptômes du Covid. Elle est devenue asthmatique et a longtemps cru avoir perdu pour toujours ses capacités cognitives :

« Je suis devenue débile, j’avais des trous de mémoire, je faisais des fautes d’orthographe, je pensais très lentement. C’est un traitement antidépresseur qui m’a remise d’aplomb alors que je n’étais pas dépressive. »

— Isabelle Fabre, 33 ans

Cela peut arriver à un jeune homme de 19 ans comme Augustin Azuar, étudiant en communication et design digital, qui se sentait lui aussi invulnérable. Dans la maison familiale, à Bourges, il se rappelle cette drôle d’angine qui lui compressait la poitrine et qui résistait à tous les traitements, il se souvient de cet instant à l’hôpital où les machines autour de son lit se sont mises à biper, de ces quatre infirmières qui se sont précipitées autour de lui : « C’était comme dans un film, j’étais dedans et à la mauvaise place. » Jacqueline, sa mère, raconte l’angoisse, la dernière discussion avant l’hospitalisation : « Je lui ai dit que je l’aimais, que j’étais heureuse d’avoir un fils comme lui, qu’il avait une belle vie. »

Cela peut même arriver à Antoine, chef d’entreprise de 34 ans, trois séances de sport par semaine, qui préfère taire son nom de famille pour ne pas inquiéter ses clients. Antoine se dit maniaque, il chérit l’ordre, l’organisation, les choses parallèles, un homme qui contrôle tout, un ingénieur de l’existence qui, lui, a pris le virus très au sérieux dès le début. Son père, diabétique, fait de l’hypertension. Il est sensibilisé.

Pendant de longs mois, il a méticuleusement lavé ses fruits et ses légumes avec des lingettes, porté le masque, respecté les gestes barrières. Il a baissé la garde un seul soir, le 18 septembre dernier à Paris. Il faisait chaud ce jour-là, les fenêtres de l’appartement étaient ouvertes. Dix invités, dont une personne positive qui ne le sait pas. On refait le monde à gorges déployées. Le virus s’en réjouit. Les neuf autres convives sont contaminés. Des formes légères, sauf pour Antoine qui « décroche le gros lot ». Fièvre, difficultés à respirer. Antoine résiste stoïquement mais, au neuvième jour, sa situation s’aggrave. Il titube jusqu’à l’hôpital. Là, il attend pendant cinq heures pour un scanner qui ne vient pas. Les urgences sont saturées. Il s’échappe, signe une décharge de responsabilité et prend rendez-vous le lendemain chez le célèbre radiologue Rodolphe Gombergh, connu pour ses images en 3D animées à l’intérieur du corps humain.

« Après le scanner, il m’a dit de ne plus bouger, j’avais une embolie pulmonaire bilatérale très grave, chaque mouvement pouvait déplacer le caillot et me tuer, j’ai eu la peur de ma vie. »

— Antoine, 34 ans

Le docteur Gombergh renvoie Antoine à l’hôpital en ambulance avec son scanner sous le bras, il prend immédiatement un traitement anticoagulant qui le tire d’affaire. De justesse.

Kyris Eracleous a vécu la même mésaventure. Coiffeur dans la haute couture, ce Crétois de 35 ans est passé entre les mailles lors de la première vague, avant d’être emporté par la seconde.

Lui aussi doit sa survie à Rodolphe Gombergh : « Sans lui, j’étais mort. Il faut dire aux gens que ces techniques d’imagerie, dont j’ignorais l’existence, sauvent des vies. » « Cette embolie pulmonaire est le véritable tueur, elle peut toucher jeunes et moins jeunes et entraîne de grands dangers si elle n’est pas dépistée et traitée rapidement », explique Rodolphe Gombergh. Il existe deux techniques pour cela : la biologie (avec les D-dimères) et le scanner low dose avec injection. Ce procédé cher au radiologue permettait déjà de voyager à l’intérieur des artères coronaires ou de l’aorte. Il peut désormais explorer les artères pulmonaires et côtoyer l’embolie précocement. Une première mondiale.

Les jeunes de 15 à 44 ans ne représentent que 5 % des patients hospitalisés ou en réanimation, mais à l’échelle d’une épidémie hors de contrôle qui frappe entre 50 000 et 100 000 personnes chaque jour, cela fait une foule de patients souvent fauchés en pleine insouciance. Pourquoi certains d’entre eux, comme Elia, Antoine ou Augustin, développent-ils des formes graves ?

« Il existe des hypothèses, pas de preuves absolues », répond Lisa Chakrabarti, directrice de recherche au laboratoire virus et immunité de l’Institut Pasteur. Les mécanismes immunologiques sont complexes, mais des résultats récents délivrent une piste assez sérieuse, au moins pour une partie des patients, raconte la chercheuse :

« La résistance au virus dépendrait de l’immunité innée, une défense ultrarapide mise en place par le corps contre les virus bien avant la production d’anticorps. »

— Lisa Chakrabarti, directrice de recherche à l’Institut Pasteur

« C’est une réponse qui se joue dans toutes les cellules, poursuit-elle, pas seulement dans les cellules spécialisées. Les portes d’entrée du virus sont le nez et les muqueuses de la gorge. Grâce à des protéines appelées interférons, les cellules de ces portes d’entrée peuvent détecter l’intrus et lancer l’alerte dans tout le corps. Les interférons freinent la multiplication du virus. »

Or deux articles publiés fin septembre ont montré des défauts plus fréquents de ce système dans les cas de Covid graves, chez les jeunes comme chez les personnes plus âgées, avec des mutations des gènes impliqués dans la mise en action de ces protéines. Dans 10 % des cas sévères, le corps s’attaquerait même à ses propres défenses, réduisant les capacités d’action des interférons. La vitesse de réaction face à ce virus très spécial est primordiale : « Sur des modélisations de tissus, on a pu montrer que le Covid-19 ralentissait la production d’interférons, contrairement aux autres virus. Lui donnant ainsi un coup d’avance sur le système immunitaire. »

Cet étrange virus, cette « petite grippe », commence tout juste à dévoiler l’étendue des dégâts qu’il peut provoquer avec, parfois, de mystérieuses conséquences heureuses, probablement sans lien avec son action mais qui frappent l’esprit. Pendant ses trois semaines de coma, la jeune Belge Elia a grandi… de 6 centimètres. Sans chercher à comprendre les raisons de cette brusque et tardive augmentation de taille, la basketteuse a choisi de s’en réjouir et de prendre le Covid-19 au rebond : « Maintenant, je suis bien meilleure face au panier. »

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