Pandémie et relations sociales

Sommes-nous devenus plus fermés d’esprit ?

Depuis presque deux ans, nous vivons dans notre « bulle ». Nous sortons moins, nous fréquentons quelques amis, certains ne voient presque plus leurs collègues, ou alors qu’à travers un écran. Le fait de ne pas (ou moins) croiser des gens différents de nous, de ne plus lancer de débats à la machine à café et de ne plus confronter ses idées a des conséquences sur notre ouverture d’esprit.

« Des études démontrent que lorsqu’on est en contact avec des gens qui proviennent de groupes sociaux différents, âges, cultures et religions variés, on a plus de tolérance, moins de préjugés, mais aussi une pensée plus flexible, plus de créativité et une plus grande ouverture envers de nouvelles expériences », explique Marina Doucerain, professeure agrégée en psychologie sociale à l’UQAM.

Notre capacité à considérer différents points de vue est mise à mal en ce moment.

« On vit actuellement un appauvrissement dans la diversité des liens sociaux, et cette homogénéisation a des effets sur nous, on pense que notre manière de faire est LA bonne, on perd la perspective de comprendre l’autre, car on n’a plus de contacts variés, moins d’échanges et d’interactions. »

— Marina Doucerain, professeure de psychologie sociale à l’UQAM

Muscles atrophiés

Selon la Dre Christine Grou, psychologue et présidente de l’Ordre des psychologues du Québec, nous vivons tous avec une grande fatigue pandémique et nous sommes devenus moins tolérants. « On s’est adaptés à des changements de vie importants et à des restrictions. On a donc une première variable qui est une grande fatigue psychique. Le deuxième facteur, c’est que les gens ont réduit leurs contacts sociaux à l’essentiel. Ils fréquentent quelques proches qui leur font du bien, des relations sans conflits, c’est une façon de se protéger », dit-elle.

Résultat ? Parce que nous sommes fatigués, moins patients, moins tolérants et plus émotifs, une forme de paresse s’installe. « Les relations sociales qui nous demandent plus d’énergie, on va les éviter. On a tendance à trouver refuge chez des amis qui nous ressemblent », estime la Dre Christine Grou. « Même de manière virtuelle, il y a des sujets qu’on n’aborde pas parce que l’énergie n’y est pas », ajoute-t-elle.

Et pendant ce temps, un peu comme lorsqu’on arrête de pratiquer un sport, nos muscles s’atrophient. « Le fait d’avoir une grande diversité dans notre réseau d’amis est lié à un enrichissement cognitif. Une meilleure réserve cognitive est associée au ralentissement de la démence, et notamment de l’alzheimer. Le fait qu’un cerveau est stimulé, qu’il doit s’adapter et entrer en contact avec de nouvelles personnes de divers horizons, c’est une valeur ajoutée qu’on est en train de perdre », explique Marina Doucerain.

Le journaliste français Didier Pourquery, auteur de Sauvons le débat : osons la nuance, cite en entrevue le philosophe Montaigne pour souligner l’importance d’être confronté à différentes idées. « Montaigne disait qu’il aimait converser avec des gens qui ne pensaient pas comme lui, parce que c’est comme ça qu’il apprenait, dit-il. Dans son essai sur l’art de conférer, qui date du XVIsiècle, il est question d’apprendre des choses grâce aux différents points de vue qu’on a en face de soi, il y a une sorte de pédagogie de l’échange, à condition d’écouter l’autre, bien sûr. C’est profond, car Montaigne s’inspire de l’humanisme grec, une sagesse qui vient de loin et qui a un écho encore aujourd’hui. »

Souplesse mentale fatiguée

Selon la professeure Marina Doucerain, il existe deux types de liens parmi les gens avec qui on socialise, les liens forts et les liens faibles, qui nous apportent des formes de capital social différentes. « Les liens faibles sont importants, car ils donnent accès à des idées nouvelles, des ressources différentes et des opportunités qu’on n’a pas dans nos liens forts. Quand on fréquente seulement nos parents, notre sœur, notre frère, à un moment, ça tourne en rond, il n’y a pas de nouveautés. Alors qu’un lien faible, qui est un ami d’un ami, un ami de notre voisin, va nous donner des horizons nouveaux, mais aussi peut-être une idée pour un nouvel emploi, une nouvelle gardienne, des opportunités. En ce moment, on perd ce capital social. »

Tous les experts interrogés estiment que notre souplesse mentale est fatiguée en ces temps de pandémie.

« La souplesse mentale, c’est ce qui nous permet de nous adapter, de bien vivre ensemble, avec les différences, et de tolérer l’incertitude. »

— La Dre Christine Grou, psychologue et présidente de l’Ordre des psychologues du Québec

Elle admet que les occasions de rencontrer des gens sont plus rares, mais si on ne confronte jamais nos idées, on se retrouve dans des chambres d’écho. Là où la pensée s’appauvrit, et ce n’est pas souhaitable. « On a moins de stimulation, moins d’activités, et ça cause un déconditionnement. D’ailleurs, certains ont du mal à reprendre après… », souligne la psychologue.

Pour Marina Doucerain, il faut s’y remettre ! « On a adopté cette mentalité de bulle, même avec l’allégement des mesures. Notre premier instinct n’est pas d’aller rencontrer des gens qui nous sont moins familiers. On reste avec nos proches, et on fréquente les amis en qui on a confiance. Mais il faut s’ouvrir, il faut vraiment s’y remettre », lance-t-elle.

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